design fiction : « utilisation délibérée de prototypes diégétiques pour rompre avec la défiance [l’incrédulité] à l’égard du changement », selon la définition de l’écrivain Bruce Sterling.
Ou, pour le dire dans un français plus abordable, le « design fiction » décrit l’utilisation de procédés narratifs pour présenter de manière *réaliste* l’utilisation potentielle d’objets et de services futuristes, le plus souvent sous forme de courtes vidéos. Comme le précise Bruce Sterling, il ne s’agit pas de fiction, mais bien de design, avec toutes les limites et contraintes que cela implique : quelle faisabilité technique ? quel interaction-utilisateur ? quel modèle économique ? etc.
Une sorte de design du potentiel, qui le distingue en ce sens de la science-fiction traditionnelle, où la narration n’a pas nécessairement une vocation d’exploration « pratico-pratique » des innovations présentées (souvent brossées en quelques lignes seulement) :
Bad design fiction would be just bad design—like, gee, wouldn’t it be great if I could flap my arms and fly to the moon? No one’s going to aspire to emulate you because your idea’s stupid. They would just sort of fall dead. It’s a goofy imagination that doesn’t have any ability to compel.
En ce sens, les vidéos (ou autre) de design fiction se révèlent « une puissante addition à la boîte à outil de la prospective », comme l’écrit le chercheur Noah Raford :
It is therefore of particular importance for practicing futurists to use these approaches in combination with other forms of research and analysis. Even better, practicing futurists should work closely with new entrants to the field to help improve everyone’s practice. Such a synthesis would reinvigorate futures practice while bringing new rigor and insight to the design process.
Alors forcément, quand un chercheur du talent de Nicolas Nova (qu’on adore) planche sur une vidéo de design fiction, on ne peut que s’y intéresser. Respectant les prérequis méthodologiques évoquées plus haut, ce court-métrage s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche sur les « curieuses gestuelles » qui parsèment nos interactions homme-objet dans la ville hybride.
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De cette observations des « petits riens » du numérique urbain, est née le projet A Digital Tomorrow. Une vidéo de design fiction qui prend à contre-pied la tendance malheureusement récurrente du design fiction à présenter le futur de manière *futuristique*.
Dans cette superbe vidéo (on doit confesser être secrètement tombés amoureux de l’héroïne), Nicolas Nova et ses compères chercheurs se sont débarrassés de tous les habituels clichés qui nuisent à la qualité du design fiction. On est ici à l’opposé d’une vidéo à succès telle que Sight, dont les blip-blip à gogo rappellent les heures les plus sombres de la réalité augmentée (250 000 vues… pour ça ?!). Le futur ne ressemblera pas à la manière dont on l’imagine depuis des lustres, comme l’a si bien résumé Yogi Berra, dont la sainte-parole sert de titre à ce billet. Il serait bon que le design fiction s’en souvienne plus souvent.
En explorant ces dispositifs de manière pragmatique, à partir d’interactions véritablement observées dans le présent, A Digital Tomorrow réussit avec brio ce tour de force. Il ne se contente pas de raconter un futur possible : il nous permet de comprendre le présent, sur lequel s’agencera nécessairement l’innovation à venir. Une sorte d’utopie « pudique » voire « laïque » de la prospective, qu’on ne peut que féliciter.
En creux de cette vidéo se dessine donc le « Nouveau Normal » de notre monde hybride, avec toutes les frictions qui peuvent en émerger ; un mérite qui lui vaut les louanges du grand Warren Ellis :
And, as in A Digital Tomorrow, has things both speculative and critical to say about the approach of the next New Normal. In the way that core science fiction, which acts as social fiction, speaks to the potentials of the present and the strange weather of the future.
Excusez du peu.
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Bonus : Julian Bleecker sur le design fiction, lors de Lift Asia 2009 :
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