On les appelle « Matatu » (Kenya), « taxi-brousse » (Afrique de l’Ouest), « Dala-dala » (Tanzanie), ou « Kombi » (Afrique australe), parmi de nombreux autres. Autant de déclinaisons locales d’un même concept, qu’on retrouve dans tous les pays pauvres : le taxi collectif. Il s’agit d’un taxi assez différent de ce qu’on a l’habitude de trouver en Europe occidentale, puisque ce moyen de transport est adapté à un contexte de pauvreté et de quasi-absence d’autres moyens de transport en commun.
Face à une clientèle pauvre (les riches prennent leur voiture), et considérant que la plupart des chauffeurs de taxis sont également issus d’une population très pauvre, donc incapables d’investir beaucoup d’argent dans leur activité, le principe est de réduire le plus possible les coûts, ou du moins de maximiser le rendement du véhicule. Ce qui fait que le principal objectif du conducteur de taxi sera non seulement de ne pas rouler à vide, mais d’être toujours plein…
En ce sens, il y aurait peut-être beaucoup à apprendre de ces transports collectifs, à mi-chemin entre informel et institutionnel, pour ce qu’ils ouvrent comme horizons sur ce que pourrait être la mobilité de demain.
T’as pris le taxi, Matatu compris
Aussi, oubliez la douce quiétude d’un transport en solitaire d’un point A vers un point B après avoir donné au chauffeur l’adresse où vous allez. Tout d’abord, vous ne serez pas le seul client, loin de là. Dans la plupart des cas, on ne s’embarrasse pas de notions telles que la sécurité ou le confort : on fait entrer autant de passagers/bagages/poulets/chèvres que possible dans le moindre espace disponible, le tout pouvant générer des scènes… surprenantes pour un européen.
De plus, les taxis collectifs se limitent aux grands axes, puisque c’est là qu’ils ont le plus de chance de ramasser des clients, et que la plupart d’entre eux connaissent mal la ville. Bien sûr, pas de compteur, on paie à la course : les prix sont généralement fixes (par convention tacite ou fixés par la loi… en théorie). Et le trajet s’effectue rarement par le chemin le plus court : quand il ne vous fait pas visiter toute la ville avant d’arriver à destination, le taxi organise son trajet en fonction de la nécessité de ne pas conserver de sièges vides. Enfin, vitesse excessive, conduite dangereuse et véhicules vétustes font partie du folklore. Par contre, voyez le côté positif : c’est un très bon moyen de rencontrer des locaux et d’engager la conversation.
Un chaos sous contrôle
Si la débrouille et la flexibilité dominent, le chaos apparent est généralement un minimum organisé. Les taxis sont ainsi officiellement contrôlés (par le gouvernement, sinon par leurs pairs), et les chauffeurs observent entre eux un certain nombre de règles : ils s’organisent par exemple pour se répartir les clients, notamment en restant interconnectés via leur mobile. Dans des pays où il s’agit du principal, voir du seul moyen de transport accessible à la majorité de la population, les chauffeurs constituent une corporation influente, qui n’hésite pas à faire pression sur les politiques de transports, notamment par la grève, quand il s’agit de défendre ses intérêts.
Evidemment, les situations locales varient énormément d’un Etat à un autre, voire d’une ville à l’autre. Les taxis collectifs, comme dans toute économie de survie, contournent les règlements dès qu’ils le peuvent, et nombreux sont ceux opérant à la limite de la légalité et du secteur dit « formel ».
Un modèle transposable ?
La crise aidant, un certain nombre de moyens de transport alternatifs, plus économiques et plus respectueux de l’environnement, émergent en France et en Europe, dont le covoiturage… et les taxis partagés. Ce moyen de transport partagé et les dérives qu’il peut engendrer ne sont pas sans rappeler certains aspects des taxis collectifs. Pourtant, il est important de signaler plusieurs différences qui font que le taxi collectif ne s’est pas développé en France (du moins pas sous la forme africaine décrite ici) :
- Les pays occidentaux, contrairement aux pays du Sud, possèdent un réseau de transport très dense et diversifié, dans lequel le taxi n’occupe logiquement pas la même place.
- Les pays occidentaux, même si une partie de la population est aujourd’hui précarisée par la crise, ne connaissent pas une pauvreté structurelle susceptible d’amener les citadins à bricoler pour survivre, et d’adapter les transports en fonction.
- Enfin, les règlement et les contrôles sont beaucoup plus stricts dans les pays « du Nord », moins corrompus et plus riches : les chauffeurs et leurs véhicules y sont très contrôlés, hors de question de réduire les coûts en bradant sur la sécurité et l’entretien du véhicule.
Pour autant, il serait ponctuellement possible de s’en inspirer, notamment pour réduire les coûts là où c’est possible : le principe d’un trajet plus long, mais avec un véhicule toujours rempli est par exemple envisageable. Reste à voir s’il est économiquement viable… et comment.