À en croire l’actualité technologique depuis deux ou trois ans maintenant, les cieux du futur seront assurément peuplés de drones. Des drones par-ci, des drones par-là, en veux-tu en voilà : drones ambulanciers, drones géomètres, drones chorégraphes, et bien entendu drones livreurs de tacos… A cette ribambelle de métiers dronesques s’ajoute depuis peu l’étiquette de drone policier, ou plus précisément de drone « intercepteur », c’est-à-dire un drone capable d’intercepter les autres drones s’immisçant dans l’espace aérien de manière frauduleuse voire dangereuse.
Si ce type d’engin a été testé en divers endroits du monde, y compris en France, il semble que ce soit au Japon que ce nouveau métier soit appelé à s’officialiser. La police tokyoite s’est en effet équipée d’un intercepteur dont elle a démontré les prouesses il y a quelques jours, faisant le buzz sur de très nombreux médias internationaux. Ce « recrutement » a été jugé nécessaire après qu’un militant anti-nucléaire a fait se poser son propre drone au-dessus des locaux du Premier Ministre nippon, en avril dernier, celui-ci transportant une charge symbolique de sable radioactif…
On imagine sans mal qu’avec la multiplication attendue des drones dans l’espace aérien de nos territoires, viendra celle de ces drones « vigiles », en particulier autour des sites dits sensibles (centrales nucléaires ou usines chimiques, personnalités publiques ou politiques, etc.) Mais cela nous a donné une autre idée, plus prospective, ancrée dans nos principes de « design-friction« . Au-delà de ses fonctions sécuritaires, ce type de drone intercepteur révèle en effet une problématique relativement nouvelle sur la Toile : la chasse aux drones. Car il est difficile d’imaginer que des tels engins circulent dans le ciel sans que certains ne se mettent en tête de les faire chuter… C’est du moins ce que nous enseigne la pop-culture, en guise de signaux faibles pour une réflexion prospective sur les problématiques afférentes à la démocratisation des drones.
Pas de ça chez moi !
L’une des plus belles incarnations de la chasse au drone reste le seul, l’unique, le grand Ron Swanson. On l’aperçoit en effet, dans le cinquième épisode de la septième et dernière saison de Parks & Recreation (fabuleuse série plusieurs fois décryptée ici), jeter au sol un drone qu’il vient froidement d’exécuter… et pas n’importe quel drone.
Une petite explication liminaire s’impose. Cette septième saison, diffusée courant 2015, prend en effet place dans un réalité alternative située en 2017. Ce contexte sert en effet de prétexte aux scénaristes pour évoquer les dérives des nouvelles technologies à travers la figure d’une start-up hégémonique, « Gryzzl« , une caricature assumée des GAFA . L’installation de cette start-up dans la paisible bourgade de Pawnee permet ainsi d’évoquer diverses préoccupations d’actualité : big data et vie privée, abus dans les partenariats publics privés… et donc, drones.
L’épisode en question se focalise sur « Gryzzlbox« , un service de livraison par drone de la start-up susnommée. Les scénaristes s’inspirent ici d’une actualité récente et largement évoquée depuis deux ans, dans les médias généralistes comme spécialisés, relatant les tentatives d’Amazon de se positionner sur ce créneau prometteur. Le petit twist vient ici du fait que Gryzzlbox livre des produits aux habitants de Pawnee… sans leur demander leur avis, à partir d’une analyse de leurs goûts grâce à la Big Data. Face à cette immission technologique dans son espace privé, Ron Swanson prend la décision qui s’impose : abattre ce drone intrusif de sang froid.
En réalité, cette séquence fait directement écho à une actualité typiquement ricaine, qui semble ne pas avoir connu de grand écho en Europe, mais qui aura largement animé les médias étasuniens entre 2013 et 2014. Un habitant de Deer Trail, petite ville rurale située non loin de Denver, dans le Colorado, a ainsi tenté de faire passer une ordonnance permettant aux habitants d’obtenir un « permis de chasse aux drones » (cf reportage ci-dessous). Si la mesure a finalement été rejetée en avril 2014, elle a permis de mettre en exergue une problématique forte, liée à la crainte d’une surveillance généralisée (ici par le gouvernement). Le lien avec les écoutes de la NSA est évidemment implicite, comme en atteste l’ordonnance initialement soumise au vote, un texte de 2800 mots particulièrement vindicatif :
« Whereas advanced technological developments have coincided with unprecedented liberalization of state and federal law and re-interpretations of the rights of Americans to be safe and secure in their persons and properties from covert gathering of information and use of such data »
Le personnage de Ron Swanson, version attachante de l’américain bourru, se fait ainsi le reflet d’une certaine conception de la liberté individuelle, consistant à ne pas laisser les éléments extérieurs intervenir dans son espace de vie (le fameux « Not In My Backyard« , ici appliqué aux drones). Si l’on imagine mal une telle vision du monde arriver en Europe et encore moins en France, elle reste néanmoins révélatrice d’une perception du drone comme menace à prendre au sérieux.
Robin des Drones
Si la chasse aux drones présentée dans Parks & Recreation s’ancre donc dans un contexte ricain très particulier, il est possible d’imaginer d’autres scénarios que ce seul abattage généralisé. C’est ce qu’avait d’ailleurs fait le blogueur Henry Michel, dans une nouvelle publiée il y a tout juste deux hivers, en écho à l’actualité d’Amazon évoquée ci-dessus. Pour la petite histoire, c’est précisément cette nouvelle qui nous a inspiré le présent billet… Nous attendions depuis deux ans l’actualité propice, et le Japon nous l’a offerte. Dans ce « conte de Noël écrit sous corticoïdes« , Henry Michel imagine donc une chasse aux drones organisée en guise de relecture moderne de Robin des Bois (pour l’anecdote, l’action se situe aussi en 2017).
« La 5e balle explosa deux hélices latérales du premier drone, il tomba en flèche dans la rue sous les cris des gamins, dont une partie du groupe se mit à tracer comme une meute de bassets anglais en direction du tas de ferraille pulvérisé au sol.
Puis j’alignai les tirs. Un deuxième et un troisième drone se fracassèrent l’un dans l’autre et tombèrent enlacés dans un grincement de dentiste, l’hélice du premier fraisant le cul du deuxième.
Les vingt secondes qui suivirent furent les plus importantes. Sous les cris incessants des gamins et le bruit des hélices, dans le vrombissement de la horde allant crescendo, j’abattis cinq autres appareils. Les opérateurs des drones venaient de comprendre l’embuscade et tentèrent de zigzaguer à travers la ligne d’immeuble, mais y’avait pas meilleur moyen pour m’exciter. »
On ne commentera même pas le pathétisme de cette vidéo : Dan Bilzerian dans toute sa splendeur
On vous laisse évidemment le soin de lire la nouvelle en entier, pour mieux savourer l’idée sous-jacente. Celle-ci offre en effet un scénario aussi enthousiasmant qu’il est d’actualité : si la livraison par drone est amenée à se démocratiser, comment assurer la sécurité desdits drones ? Déjà, certaines compagnies de livraison traditionnelle refusent de déposer les colis dans certains territoires, considérés comme « zones à risques« . En croisant ces deux éléments, la fiction d’un côté et la réalité de l’autre, on peut légitimement se demander si la livraison par drone concernera tous les territoires. Sans parler uniquement de chasse au fusil, il est en effet possible d’imaginer certaines formes de délinquance liées à la livraison de colis précieux, ou même au « kidnapping » de drones pur et simple… Si la police tokyoite peut s’en équiper, qu’est-ce qui empêcherait un groupe de personnes de les imiter ?
La prospective par le drone
Dans ce contexte, quels seront les solutions qui émergeront en parallèle des principales innovations du secteur ? Certes, la chasse au drone reste en réalité un épiphénomène de pop-culture et/ou de yankees fêlés, mais elle révèle un symptôme connu de tous, et pourtant relativement silencieux : la vulnérabilité de ces engins face aux éléments extérieurs. Cela fait d’ailleurs partie de l’équation, qui veut que toute innovation s’accompagne d’un lot de dangers et/ou de failles qu’il convient d’anticiper, à défaut de pouvoir les corriger après coup. En ce sens, cet exemple de la chasse aux drones nous offre une bel étude de cas sur la méthode des « What if / Et si ». Régulièrement utilisée en prospective, la méthode consiste à se projeter dans un futur possible à partir d’un questionnement a priori plausible (basé sur des éléments de veille, donc), comme ici : « Et si dans le futur, les drones de livraison se démocratisaient ? »
A partir de là, il convient de dérouler le fil du scénario, plutôt que de se contenter d’une affirmation qui n’aurait pas de grande valeur sur le plan prospectif. Exit, donc, les sentences telles que « En 2030 il y aura X drones dans le ciel » dont on se fout un peu dans ce type d’exercice. En l’occurrence, il s’agit d’imaginer l’ensemble des conséquences potentielles qui pourraient survenir durant la réalisation de ce scénario. Dans le cas présent : l’émergence d’une forme de délinquance à l’égard des drones, pour les raisons précédemment évoquées. Et bien sûr pour d’autres que l’on pourrait s’amuser à imaginer (n’hésitez pas, d’ailleurs, les commentaires sont là pour ça !)
Ainsi se densifie le scénario de départ, faisant émerger de nouvelles problématiques auxquelles il conviendra de répondre, en fonction de leurs probabilités, et des priorités qu’on souhaite leurs accorder. Par exemple ici :
– quelles normes sécuritaires pour les drones de livraison ?
– quelles assurances pour les consommateurs ?
– quelles conséquences territoriales ?
– etc.
On voit ainsi comment, à partir d’un simple fait d’actualité et de quelques éléments de pop-culture, il est possible de réfléchir aux futurs possibles de notre monde… Croyez-nous, c’est ce qu’on s’attachera à faire tout au long de l’année qui vient ! En vous souhaitant d’excellentes fêtes, on revient en début de semaine prochaine avec une jolie surprise :)
🎄🎅🎁⛄🐧
Chouette article!
On peut aussi imaginer, le prolongement d’un « journalisme » sauvage et opportuniste. Croisé avec les canaux de diffusions en Streaming, la ville surveillée du ciel sera accessible aux yeux de tous. Lorsque qu’un incendie, un accident ou autre délit/crime sera observé, le maillage matériel de la compagnie « drone’s new channel » sera prêt à prendre son envol pour diffuser les premières images.
Génial. et Je suis comme tout le monde fan de Ron Swanson.
Ron for president.
D’ailleurs dans le genre « Tirons sur les drones pour défendre la vie privée », je vous recommande Johnny Dronehunter, defender of privacy :
https://youtu.be/jIXwQVFt8Ho
https://youtu.be/Vz5QrVmWU-I
oui oui, c’est pour une marque de silencieux pour fusils à pompe. voila voila.