Le jour tant attendu est arrivé : les résultats du premier concours organisé sur ce blog sont enfin arrivés, deux mois jour pour jour après la fermeture des contributions. Pour rappel, ce concours invitait à raconter le futur de la ville sous forme de flash fiction, ou micronouvelles, c’est-à-dire de saynètes prospectives limitées à dix mots. Un challenge de taille !
Nous tenons d’ores et déjà à remercier tous les participants, qui ont fait preuve d’une inventivité dépassant toutes nos espérances. Le billet suivant vise à restituer le meilleur des 90 contributions reçues, toutes plus brillantes les unes que les autres, au travers d’une sélection commentée qui reflète à merveille les grandes tendances actuelles de la prospective urbaine. Nous annoncerons les gagnants en fin de papier…
Oui, leS gagnantS, tant nous avons eu du mal à choisir entre les pépites envoyées… Nous avons donc pris le parti de féliciter plusieurs contributeurs ! Et si cette lecture vous stimule les neurones, n’hésitez pas à nous faire part de vos coups de cœur ou de vos propres inspirations en commentaires… en attendant un prochain concours, qui sait ?
La ville hybride est lisse
Parler du futur de la ville, c’est forcément parler de cette ville numérique (ou « ville hybride« , comme nous aimons à l’appeler) qui envahit nos vies sans qu’on n’en mesure toujours bien les contours. Cet inévitable équation aura logiquement inspiré nombre de contributions, qui résonne avec de nombreux enjeux contemporains. La réalité augmentée et ses multiples devices auront par exemple nourri la créativité de nos participants, tous comme les mille-et-unes perspectives de la data. Jugez vous-même :
Les banlieues manifestent pour un élargissement des zones de réalité augmentée.
[error 401] Vous n’avez pas le droit d’afficher cette ville.
(Jh)
(Emile Hooge)« Flash info » : Antivirus en grève, ralentissements prévus sur la bande passante.
(GarBanZOMagic0)Les ponts éoliens soufflent leurs recharges en murmures pour que l’on crache des données.
(Davy Mada)
Dans ce monde urbain toujours plus « smart » et connecté qui se dessine entre ces lignes, la question se pose notamment de savoir ce qu’il adviendra de nos villes lorsque les technologies buggeront… Heureusement, nos contributeurs semblent avoir une réponse prête à l’emploi. Et à les croire, ce ne sera pas si compliqué, il suffira de rebooter !
Nouvelle faille de sécurité: de nombreuses villes contraintes de redémarrer.
(Terric)Pour réinitialiser la ville, maintenez le bouton appuyé 5 secondes.
(Emile Hooge)
Enfin, l’une de nos contributions favorites fait un joli lien entre d’enchanteurs mondes virtuels, et la réalité plus austère du monde physique. La ville hybride de demain sera-t-elle un heureux remix entre ces deux réalités ?
Oculus en panne, ai dû subir la réalité du monde.
(Terric)
L’habitat et son nouvel habitus
Ce qui vaut pour l’échelle de la ville, vaut aussi pour celle de sa cellule la plus fondamentale : le domicile du futur. La question du logement était au cœur de nombreuses contributions, explorant les nouvelles facettes de cet habitat au sein duquel le numérique transforme toutes nos habitudes. On retrouve ainsi, pêle-mêle, la présence de diverses références aux mondes numériques, telles que les antivirus, les plateformes d’applications, etc. Des réflexions qui font écho à une tendance actuelle en pleine ébullition : celle de l’immixtion des acteurs du numérique dans l’industrie du BTP.
Attention, antivirus du logement bientôt périmée. Merci de le mettre à jour avec Google.
(Le Bug Urbain)L’accès à votre maison n’est plus disponible sur l’App Store.
(Hubert Guillaud)Je quitte la suburbia pour l’Americatown de Mumbai. #GoogleApartment
(NadsatZmoloko)
Et notre petit chouchou, signé @nicolasnova :
Sa maison était hantée par le fantôme de MySpace.
(nicolas)
De même, les imprimantes 3D auront inspiré plusieurs participants, ou plus exactement participantes dans le cas présent. Là encore, les contributions illustrent la prégnance d’une actualité bel et bien réelle, derrière laquelle se dessine une potentielle « ville à la demande » qui dépasserait la seule échelle du mobilier urbain pour aborder celle du bâti. Une utopie concrète ?
Maison 4 pièces : fin de l’impression prévue dans 30 minutes.
(Le Bug Urbain)Votre SimCity est en cours d’impression.
(AlexiaHOB)
D’autre part, une des contributions mêle judicieusement cette thématique de l’habitat du futur avec celle de la réalité virtuelle, déjà évoquée dans la partie précédente. Et pointe par là même la brûlante question du logement et du prix de l’immobilier :
Vends appartement. Surface réelle : 5 m², surface virtuelle : 50 000 km².
(Jh)
Enfin, certaines jouent la carte de la poésie, suggérant davantage qu’elles ne décrivent, emportant le lecteur dans un récit qu’il complétera lui-même :
Les fenêtres numériques traquent le regard, jusqu’à vitrifier ses couleurs.
(Davy Mada)
La ville est un humain comme les autres
Toutes ces technologies déshumaniseraient-elle la ville ? C’est tout le contraire, à en croire nos contributeurs et contributrices qui font le pari de la personnifier. Le résultat est tout bonnement fascinant, entre divorces et prises de conscience humanisées pour la ville. On notera par exemple cette délicieuse proposition de notre complice Emile Hooge :
– Moi : … (peur)
– Ville : je serai toujours là pour toi
(Emile Hooge)
Mais qu’on ne s’y trompe pas : la ville « humanisée » n’est pas forcément « humaine » à proprement parler. La Smart City du futur sera-t-elle dotée d’une véritable « intelligence artificielle », préfigurant l’avènement de cette « ville-cyborg » qui ne fait pas que des envieux ?
Depuis l’éveil des cité-IA, tout le monde voit Terminator autrement
(Jh)SimCity realise qu’elle n’est qu’une simulation…
(Emile Hooge)Intelligente ce matin je me suis réveillée. Chaos est revenu.
(Régis)
Dystopiques et pic et colégram
Force est de constater qu’une bonne partie des futurs ici décrits ne s’avère guère réjouissante. Certains des contributeurs n’ont d’ailleurs pas peur d’exprimer leur anxiété vis à vis de l’avenir des urbanités. Comme ici, sous la forme de regrets :
Le futur de la ville, j’y croyais ! J’avais tort…
(Emile Hooge)Le futur: c’était mieux avant.
(loju)
Il faut dire que la ville de demain inquiète, souvent pour des raisons écologiques.2
On retrouve ainsi les grands schèmes de l’imaginaire post-apocalyptique, entre pollution et réchauffement climatique :
Aller au parc dans des bulles en verre d’air respirable.
(julillustre)Perth, 11AM, les premiers eucalyptus commencent à s’embraser.
(Patrick)Retrouvé saumon fumé agrippé face nord Grand Palais.
(Anne)Derrière la bulle la tempête, les parois s’assombrirent, le soleil© s’alluma.
(Terric)
Étrangement, de tels pessimismes ont finalement peu inspiré nos contributeurs. A l’inverse des questions de surveillance et de préservation de la vie privée, qui auront été mentionnées à plusieurs reprises. Au programme, l’épitomé des dérives qui effrainte chaque jour notre actualité auront été pointées du doigt. En tête de fil figurent logiquement les problématiques de surveillance dans l’espace public :
Abonnez-vous à CrimeTV, la Chaîne des caméras de surveillance.
(gv)Bilan vidéosurveillance totale : prostitution -90%, arrestations +110%, tourisme -25%, consommation -35%, traffic reseau +35%
(Jh)
Ainsi que la question des données personnelles dans un monde dominé par les services numériques :
Suite à votre condamnation sur Hadopi, vous avez été désabonné de votre médiathèque.
(Hubert Guillaud)Votre diversité relationnelle n’est pas assez forte pour vous autoriser à pénétrer dans ce bar.
(Hubert Guillaud)
Ceci jusqu’à imaginer les géants du net dans la peau de véritables agresseurs urbains, colons numériques sans pitié :
« Ageômetrètos mèdeis eisitô » Google sourit… et envahit la ville !
(Emile Hooge)
Ce sont enfin les questions économiques qui semblent susciter de vives inquiétudes… En effet, plusieurs contributions mettent l’accent sur ce qu’on pourrait qualifier de « dystopies économiques ». On retrouve ainsi d’intéressantes propositions d’achats-ventes, qui nous rappellent un papier en « what if » que nous avions écrit il y a quelques temps : et si les villes étaient cotées en bourse ? Quoiqu’il advienne, de telles perspectives ne peuvent que laisser songeur…
Rockstar Games3 vient de racheter L.A.
(MB)Gazprom prolonge son OPA hostile sur la ville de Paris.
(Emile Hooge)Nouveau décret : pas de boulot, pas de réseau.
(Jh)
Cette dernière contribution nous rappelle d’ailleurs le cas Longyearbyen, une ville norvégienne où il est tout simplement interdit de résider si l’on n’a pas de travail. Dans cette perspective, la proposition de Jh est finalement plus réaliste que prévu…
Le monde en chamboule-tout
Attention à ne pas se laisser abattre par le pessimisme des précédents messages ! D’autres contributions se font plus optimistes, et même plus oniriques, se focalisant sur les nouveaux horizons que nous offrira peut-être la mobilité de demain. On retrouve d’ailleurs tous les grands archétypes du transport : vélos volants (c’est quand même mieux qu’une voiture volante), voitures intelligentes, voyages à l’hypervitesse…
Mon vélo volant creva juste avant de heurter la tour.
(Denis Caraire)Deux minutes le Paris – Tokyo. Mais où est le respect.
(Markhy)« Oui j’arrive, ma voiture passe me chercher dans cinq minutes! »
(Adrien)
On a aussi craqué pour cette contribution qui illustre parfaitement la figure de la « ville-mobile » si présente dans l’imaginaire populaire (on pensera évidemment au Monde Inverti, de Christopher Priest) et architectural (et les nombreuses utopies héritières d’Archigram)
C’est l’hiver : notre ville a mis le cap au sud
(Johann)
Mais notre coeur bat encore plus pour cette jolie prophétie fluviale : et si tous les fleuves du monde entamaient une ronde autour de la terre et ne faisaient plus qu’un ?
Il se laissa couler dans la Seine et regagna la surface du Gange.
(Mathilde F)
Et pour finir sur une note plus légère avant les résultats, on en profite pour vous partager celle qui nous aura rendus le plus hilares :
Ce bébé a un visage en forme de logo Google !
(nicolas)
Résultats & remerciements
Et voici donc venu le temps d’annoncer les grands résultats… Comme expliqué en introduction, nous avons choisi de récompenser trois contributeurs : deux prix du jury (Margot et Philippe), et un grand gagnant. Nous avions prévu, à l’origine, d’offrir au gagnant une sélection « urbanophile » parmi quelques classiques de science-fiction. Les deux prix du jury gagneront la même chose, comme cela : pas de jaloux !
Prix du jury (Margot Baldassi) :
Une superbe contribution d’Emile Hooge, à la fois triste et pleine d’intelligence, qui peut d’ailleurs laisser songeur quant aux horizons prospectifs qu’elle décrit. Et si demain nous étions littéralement attachés à nos villes ? Emile relate ici le divorce entre un citadin et « sa » ville, mais on peut aussi imaginer ce qu’il s’est passé avant cette rupture : flirt, mariage et qui sait, peut-être des enfants ?
J’ai quitté ma ville… Je lui verse une pension.
(Emile Hooge)
Qu’on la regarde côté noir ou côté rose, cette contribution nous aura inspiré un billet sur les enjeux et perspectives de l’appartenance à un territoire, que l’on publiera à la rentrée…
Prix du jury (Philippe Gargov) :
Ce second prix du jury se veut une prime à la poésie, avec ce joli détournement de Guillaume Apollinaire, aussi simple qu’efficace. Tout y est : le réchauffement climatique et la nostalgie d’un monde obsolète, la musicalité des mots et l’originalité du format…
Sous le pont Mirabeau
Ne coule plus la Seine
(gv)
On pourrait presque croire à un haïku, ce qui était en quelque sorte l’un des objectifs de ce concours !
1er Prix :
Enfin, nous avons décidé de remettre la palme de ce premier concours à cette contribution de Jh, pour une simple et bonne raison : en cinq petits mots seulement (soit la moitié de la limite requise !), elle réussit l’audacieux pari d’imaginer le futur de la ville… sans la ville !
Ville, nom féminin. Anciennes constructions
(Jh)
Eh oui : nous avons l’habitude, dans nos milieux, de penser que la ville est éternelle et que le futur sera nécessairement « urbain ». C’est vrai pour les quelques décennies qui viennent… mais qui nous dit que cela se vérifiera dans un siècle ou un millénaire ? La proposition de Jh ne donne ici aucun indice sur la nature de cette « post-ville » : est-ce un futur post-apocalyptique ? un changement du modèle de développement humain ? ou une toute autre cause pouvant expliquer ceci ?
Quoiqu’il en soit, cette simple définition laisse entrevoir mille scénarios, et c’est précisément ce que nous attendions de ce concours. Merci donc à lui, et à tous les contributeurs et contributrices pour leur étonnantes propositions : vous nous avez ravi le cortex. Nous espérons que vous aussi, lecteurs et lectrices, y avez trouvé matière à réfléchir. On vous dit à bientôt, pour d’autres concours de ce type, en vous laissant sur cette autre contribution de Jh qui fait office d’alternative à celle primée :
Maman dis, pourquoi avant les gens ils vivaient tous au même endroit ?
(Jh)
- Les amateurs apprécieront la jolie référence aux « Google Glassholes« , que l’on pourrait traduire par « trouducs à Google Glass » [↩]
- Cela dit, l’imaginaire inverse d’une ville fertile et potagère n’a pas échappé à votre fantaisie, on s’en réjouit ! Comme ici :
Abondante récolte de fruits cette année sur la Promenade des Anglais » (Nice Matin, 29 novembre 2027)
(YR)
La ville-béton c’est so 2014. Vive la ville-forêt !
(Johann [↩] - Rockstar Games est un éditeur et développeur de jeux vidéo, notamment connu pour la série mondialement connue Grand Theft Auto [↩]
Super interessant ce concours, j’espère qu’il y en a aura d’autres. Je ne suis pas satisfaite de ma contribution, j’attends ma revanche.
La lecture de ces haïkus urbano-futuristes ont rempli ma jauge de poésie pour la journée. Plonger dans la Seine et reprendre son souffle dans le Gange est mon favori, la beauté de l’imagination de l’être humain l’inspirera toujours. Aller je vais dessiner !