[ Avant-propos : Et voici le huitième épisode d’URBAN AFTER ALL :-) Le lien original est à lire par ici, et c’est par là pour nous suivre sur facebook ! Les chroniques précédentes :
- S01E06 : Faut-il repenser la ville pour les gros ?
- S01E07 : Le tiers état des tiers-lieux
- S01E08 : Le monorail, une mono-solution à l’avenir des mobilités ? ]
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Ces dernières semaines ont relancé un éternel débat : faut-il en finir avec la pollution visuelle que nous impose la publicité aux abords et dans les centres de nos villes ? Deux exemples témoignent de cette actualité, à quelques jours d’intervalle. Au Ministère de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet annonce fièrement “la fin des couloirs publicitaires dans les entrées de ville” dans un communiqué relatif au projet de “décret portant sur la réglementation nationale de la publicité, des enseignes et des préenseignes”, mis en consultation publique jusqu’à vendredi dernier.
De même, la révolte gronde dans à Paname, qui souhaite réduire de 30% l’affichage publicitaire des rues de la capitale. Des annonces qui n’étonneront personne, et qui ne devraient d’ailleurs pas rencontrer grande résistance auprès des citoyens, qui (il me semble) n’en peuvent plus de cette fameuse “France moche” que dénonçait (non sans troller) Télérama l’an dernier.
La ville, nouveau champ d’action des “Mad Men”
La crise n’est pas seulement d’ordre visuel. Et si c’est le vice-Président de TBWA France qui le dit, à propos des résultats du dernier baromètre “Publicité et Société”, c’est que ça ne doit pas être très faux…
“Depuis les années 90, le citoyen a commencé à comprendre et apprendre, les mécanismes des messages destinées à son intention, à savoir que les promesses de tous ordres, sont enrobées d’un peu trop de symbolique, de rêve, de mots “vains” (selon certains), comme pour expliquer, en l’absence d’idées tangibles, pourquoi le produit en question est intéressant à acheter…
La publicité était regardée comme un spectacle, parce que créative, mais finalement, le citoyen avait parfois du mal à croire ce qu’on lui racontait, puis constatait que le produit ne remplissait pas ses promesses, d’où la construction de la méfiance.”
Dit autrement : les Mad Men (comprendre : des publicitaires tels qu’on les a connu / représenté dans la seconde partie du XXe siècle) se cherchent donc un nouveau souffle. Si Michel Hébert mise sur “l’innovation du produit à défendre”, d’autres choisissent de s’attaquer à la forme même du message publicitaire. Autrement dit, à quitter le périmètre de la communication traditionnelle, panneaux y compris, pour conquérir de nouvelles terres encore vierges : la ville elle-même, avec l’essor du street-marketing.1
Au temps des colonies publicitaires
Le concept est simple : intégrer les publicités dans l’environnement urbain, le plus souvent de manière ludique et/ou surprenante (quelques exemples). Comme l’expliquait le consultant en communication Tarek Chemaly sur un blog de France 24 :
“Depuis 2003, ces publicités [hors-médias traditionnels] connaissent un succès croissant. Présentes dans un premier temps dans les grandes villes du continent américain (Rio de Janeiro, New York), elles ont depuis envahi l’Europe et font une entrée fracassante au Moyen-Orient. Dans les grandes agences publicitaires, un département est désormais spécialement consacré aux publicités hors-média et le festival international de publicité Cannes Lions leur réserve même une catégorie.”
Ces pubs se distinguent souvent par leur bon “succès” sur la toile et les réseaux sociaux. “Puisqu’elles sont accrochées dans des endroits inhabituels, les gens ont le sentiment de faire une ‘découverte’ et confient donc le ‘secret’ de leur trouvaille à leurs amis. Les pubs hors-médias profitent ainsi de la force du bouche à oreille et d’un marketing viral véhiculé par des milliers d’internautes”, continue l’expert.
Même le vénérable OWNI, que l’on peut difficilement taxer de “fils de pub”, participe au mouvement en vantant les mérites de ces publicités urbaines qui savent “aussi parfois se montrer très inventive, s’appropriant les éléments de la ville pour servir leur message”. Sans surprise, le billet peut se targuer d’un certain nombre de “likes”. Je ne fais pas mieux de mon côté, me laissant souvent charmer par le chant des sirènes du marketing urbain. Et c’est justement en partant de ce constat personnel (moi qui suis d’habitude plus critique à l’égard de l’invasion publicitaire) que j’en suis venu à m’interroger sur la place de ces nouveaux médias urbains.
Comme l’explique Tarek Chemaly, ces créations originales et débridées “réussissent ainsi à duper nos mécanismes de défense”, ces “réactions immunitaires” à l’égard des pubs traditionnelles. C’est là la clé de son succès, mais aussi de son vice. Un commentaire laissé sur Owni témoigne des horizons pervers qu’un tel engouement (surtout s’il n’est pas remis en question) peut laisser craindre. D’autant que la ville n’est aujourd’hui pas armée contre la multiplication probable de ce “hacking urbain” souvent réussi : selon Tarek Chemaly, “comme partout dans le monde, les lois ne sont pas en phase avec les nouveaux médiums. Ce type de publicité échappe donc à tout contrôle et profite d’un vide juridique en la matière, comme ce fût le cas durant des années pour la publicité sur Internet.”
Street-marketing : le réenchantement néo-libéral ?
A l’heure où les politiques tentent avec force décrets de limiter les méfaits d’un certain laisser-faire à l’égard de la publicité en ville, il me semble nécessaire (et urgent !) d’ajouter le street-marketing dans le débat (ce qui ne me semble pas encore le cas), et d’appeler un chat un chat : aussi originales soient-elles, ces créations restent des publicités occupant l’espace public. Où s’arrête la légitimité d’acteurs privés à intégrer l’espace public ?
Mais la question peut aussi se poser dans le sens inverse. Ainsi, si l’on est cohérent, la condamnation du street-marketing devrait aussi s’accompagner d’un rejet des affiches musicales qui peuplent nos murs vierges, par exemple. On serait aussi en droit de s’interroger sur la légitimité d’une campagne associative comme celle d’Act-Up sur les selles Vélib’ en 2007, et de bien d’autres types de “détournements” urbains plus traditionnels : affiches électorales et autocollants de regroupements politiques et associatifs, etc.
Une critique trop hâtive du street-marketing reviendrait-elle, sans le vouloir, à plébisciter une certaine aseptisation de la ville ? La question mérite d’être mise en débat. Dans leur ouvrage de “docu-fiction” “No Pub – Le jour où la pub s’était arrêté”, deux spécialistes de la communication rappelaient ainsi (en trollant pas mal au passage) les vertus d’un monde “colonisé” par la pub :
Deux autres semaines [après une grève générale des acteurs du secteur], la France était K.-O. La vie quotidienne avait basculé dans une grisaille inattendue. Et c’était avant tout l’absence de la partie la plus visible de la pub, celle du décor de la rue, qui choquait le plus.
En effet, et les créations originales proposées par le street-marketing à travers le monde, la publicité participe à sa manière au réechantement des espaces urbains. A São Paulo, où le maire a mené une véritable croisade anti-pub en nettoyant la ville de tout affichage en 2007, certains visiteurs trouveraient ainsi que la ville “fait penser à Berlin-Est avant la chute du Mur, ou à une ville fantôme”. On a connu plus réjouissant. Comble du cynisme, les créatifs qui se proposent d’exploiter pour une campagne abribus et passages piétons participent même au détournement subversif de la ville, ouvrant ainsi la voie à d’autres imaginaires alternatifs pour s’approprier la ville et donc à d’autres urbanités non “codifiées”. Ca me fait mal d’écrire ça, croyez-moi. Et pourtant…
C’est en tous cas une vision qu’il me semble légitime de discuter. Je vous invite donc à donner votre avis en commentaire. Faut-il jeter le street-marketing avec l’eau du bain ?
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Crédit photos : Tous droits réservés par olll, série abandon publicitaire / advertising abandonment, avec son amical accord :-) Merci !
- Il s’agit ici de la partie “physique” de l’espace urbain. Mais l’espace “virtuel” s’annonce d’ores et déjà comme “nouvelle frontière de cet expansionnisme publicitaire”, comme je l’écrivais tout récemment. [↩]