Vous le savez, ce blog repose sur une certaine « foi » en la pop-culture comme vectrice de nouvelles pratiques urbaines (cf. mon crédo), et que j’aime résumer avec cette citation de The City Fix :
« And where pop culture goes, we can hope, so will the masses. »
Et justement : où va la pop-culture ? S’il serait difficile de la « condamner »1 lorsqu’elle promeut les mobilités douces (grâce aux Lego ou aux séries), d’autres directions sont par contre plus critiquables. Il en va ainsi de la gentrification (embourgeoisement) des quartiers populaires, dont l’une des conséquences indirectes est l’éviction progressive des habitants plus précaires (cf. La gentrification est un sport de combat).
Pour schématiser, le processus de gentrification est marqué par l’arrivée de population issus des milieux créatifs… catégories justement très valorisées dans la culture populaire (« la bohèmeuuuu… »). Dernier exemple en date : le jeu Pokémon.
La ville de Maillard, troisième bourgade de Pokémon Noir & Blanc, se présente comme la « ville des arts » grâce à la présence de jeunes créatifs, installés dans des entrepôts réhabilités (que l’on peut voir sur l’image ci-dessus, avec les rames de l’ancienne voie ferrée). Comme l’explique un habitant interrogé :
« Les usines et les entrepôts de confection à l’abandon ont été réhabilités par des jeunes gens pleins d’espoir, qui en ont fait des ateliers. C’est comme ça que Maillard est devenue la ville des arts. »
On retrouve ici un processus extrêmement classique de gentrification (entrepôts transformés en loft…). On peut même déguster une mousse dans le « Warehouse Café » qui accueille les bobos en goguette ! Une touriste rencontrée sur place est d’ailleurs sous le charme :
« C’était que des vieux entrepôts miteux. Et c’est devenu super à la mode… J’en suis toute retournée ! »
Enfin, un habitant résume tout en vantant les mérites de cette situation :
« Maillard a une excellente réputation et est admirée de tous ! Comme quoi, parfois, la simplicité est payante ! »
Effectivement… sauf que cette simplicité s’accompagne de l’inévitable déplacement des populations « indigènes ». Aucun des habitants interrogés n’aura d’ailleurs voulu répondre à mes questions sur le sujet… HUM HUM.
Je trouve relativement douteux (ou en tous cas, questionnable) de présenter ainsi la gentrification aux enfants et adolescents (voire plus vieux ^^). Je n’ai aucun doute quant à la bonne foi des auteurs / traducteurs, que je ne pense évidemment pas associés au lobby immobilier :-) Mais le fait de présenter ainsi la gentrification me parait témoigner d’une certaine complaisance à l’égard d’un processus qui mériterait parfois davantage remis en question. Heureusement, il reste Batman :-)
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PS : Pokémon est un jeu paradoxal : militant d’un côté en faveur d’un certain « retour à la nature » (cf. Jésus VS Pikachu, et surtout la biographie de son créateur), mais vantant le bonheur des villes denses (cf. Doublonville, « La mégalopole pleine de vie » – « La ville festive qui fleure bon la bonne humeur », et Féli-Cité, « Ville de la joie »). C’est donc avec impatience que j’attends d’arriver à Volucité, quatrième ville du jeu et figure de la mégalopole par excellence, pour voir comment les dynamiques urbaines y sont traitées (le sous-titre de la ville : « Gratte-ciels et gens pressés »…)
PS : le merveilleux titre de ce billet est l’oeuvre d’Edouard F. :-)
- Encore que… [↩]
Très bien vu, surtout que de souvenir, les villes des premiers Pokemon n’étaient pas présentées de cette manière du tout ; on était davantage dans le modèle classique centres commerciaux/siège de grandes entreprises (la Sylphe SARL Tower !).
Il est bien ce nouveau Pokémon sinon ? J’hésite à ressortir ma DS
Je le trouve plutôt excellent, relativement ardu et moins monotone que ses prédécesseurs. Et même si c’est pas du Spinoza, l’intrigue basée sur l’éthique des dresseurs et le Bien/Mal est intéressante.
Je suis enfin arrivé à Volucité avec mon calepin d’anthropologue urbain ^^ Comme je m’y attendais, c’est une critique assez féroce de la ville dense, contrairement aux précédentes mégalopoles du métavers ! Exemple : les grandes avenues sont remplies de gens qui marchent sans jamais s’arrêter, donc tu ne peux pas discuter avec eux…
Je prends des notes, et je vais essayer de trouver des screenshots évocatrices :-)
Bon courage dans tes aventures Pokémonesque Philippe ! Encore un excellent billet !
Ce pokémon est vraiment bon, jamais autant accroché à un jeu « offline » depuis je sais plus. J’ai obtenu tous les badges, et affronté le E4 d’ailleurs, enfin je vais pas raconter l’intrigue. Mais je rêve d’une évolution du jeu où l’on peut choisir de devenir un entraineur anar, proche des mouvements blackblock type Team Plasma plutôt que de se coltiner le chemin doré de l’élite pokémon imposé par Nintendo.
Habitude des aventures Pokémon, ton personnage qui avance sur les rails du scénario ne lâche toujours pas un mot sauf des « ! ». Ce qui a le paradoxe de nous laisser, intérieurement, parler pour notre avatar tout en nous empêchant un libre arbitre des décisions sur le bien et le mal.
(À Volucité dans les rues où les gens ne s’arrêtent pas, tu peux prendre le temps d’y rester et de choper ici et là des dialogues qui volent, des échanges qui « pop » sans que tu les demandes. C’est très bien vu.)
Entièrement d’accord avec ton analyse de cet opus. Mais je suis plutôt défaitiste de mon côté quant à l’avenir du jeu :-) C’est Pokémon après tout, et on est pas le coeur de cible (même si c’est notre génération qui fait fonctionner les sites de stratégie et cie.)
Pour Volucité, j’ai été soufflé par la mise en scène de ces grands boulevards passants. Le fait que les passants s’écartent, que tu ne puissent pas les arrêter… les bribes de conversations… etc. Un prochain billet sur la question, sois-en sûr !
Densité urbaine et retour à la nature ne me semble pas -forcement- opposé (preuve en est, l’étalement urbain, qui détruit le paysage, plus qu’il ne permet aux population d’avoir un mode de vie respectueux envers le processus naturel.)
Biensur, dans la pop-culture, toutes les dérives sont souvent incarnées dans des villes hors normes et déshumanisées. Mais j’aimerai au contraire trouver un exemple ou densité d’habitation est associé à une vie en harmonie avec les processus naturels.