Ca fait bien depuis les débuts de pop-up que l’on gravite autour du même écosystème avec Geoffrey Dorne, ce talentueux designer indépendant aux multiples casquettes. Le lancement récent de son joli projet d’ouvrage « Hacker Citizen » – un condensé de veille urbaine qui compile tous les petits détournements citoyens à reproduire chez soi ou dans son quartier -, sur la plateforme de financement participatif Kickstarter, nous aura ainsi décidés à lui tendre la main… vers le blog !
Ci-dessous on lui lègue donc la plume, pour vous plonger dans cet univers où hacking et partages ne sont jamais loin. Et si ça vous donne envie de bricoler, n’hésitez pas à soutenir ou faire tourner le projet :-) Bonne lecture !
Pouvez-vous nous présenter votre projet Hacker Citizen, ainsi que votre parcours ?
Pour me présenter en quelques mots, je suis designer depuis une dizaine d’années et fondateur de mon atelier Design & Human. Hacker Citizen est né lorsque j’étais étudiant à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. En pleine loi Hadopi, je décidais alors de faire de mon diplôme un projet anti-surveillance. Le temps a passé, les idées ont grandies, le mouvement s’est développé dans d’autres directions (vers l’écologie, vers le bien commun, le partage de la culture, l’anti-publicité, etc.) et avec d’autres acteurs (plasticiens, hacktivistes, designers, urbanistes, etc.). J’ai donc décidé de faire ce livre pour proposer 50 hacks (des détournements) à réaliser soi-même ! Le studio d’édition Tind m’a proposé de m’éditer, nous avons donc lancé un Kickstarter pour proposer le projet au plus grand nombre et le faire vivre. J’invite d’ailleurs chacun à aller y jeter un oeil et pourquoi pas soutenir le projet.
Dans la présentation sur Kickstarter, vous partez du postulat suivant : la surveillance en ville se généralise et il existe des moyens de contourner ce manque de liberté publique. Autrement dit, vous reprenez le sens originel du “hacking” appliqué à la ville.
D’après vous, quels imaginaires le grand public entretient-il avec cette “culture hacker” ? Quels sont les ponts possibles entre ces cultures extérieures à la ville et les disciplines plus classiques de l’urbain ?
Il y a quelques années, j’ai travaillé en tant que designer chez Mozilla. J’ai eu la chance de côtoyer Tristan Nitot qui était alors fondateur et le président de l’association Mozilla Europe. Fervent défenseur de la culture hacking en tant que bidouille, détournement, j’ai tout de suite accroché à sa vision et à sa culture du hack (voir cette traduction que je publiais en 2010). Cette culture du détournement est, selon moi, très proche du métier de designer que j’exerce ou encore de l’ethnographie une pratique de recherche sur l’humain qui m’anime au quotidien.
Comme vous le dites, même si chacun à sa propre définition du hacker, on retrouve encore souvent l’image du pirate informatique solitaire (je suis fan des films de hackers ceci dit). Les ponts entre cette culture du hack et le monde sont gigantesques. Que ce soit au travers de la ville, des gens, de leurs usages, du partage, tout est sujet à être observé autrement et à être repensé, recréé, souvent détourné.
Pour vous qui ne venez pas directement de la sphère “urba”, quelle place accordez-vous à ces petits détournements citoyens dans l’espace urbain ? Quels nouveaux usages le hacking urbain apporte concrètement aux citoyens d’aujourd’hui dans les espaces qu’ils fréquentent ?
Vous en appelez à la créativité de vos potentiels lecteurs… Quelles nouvelles manières de fabriquer la ville peut-on alors imaginer pour demain ?
Derrière ces détournements parfois anodins, il y a cette idée en trame de fond qui est de changer le quotidien, de changer ses usages, ses habitudes, sa façon de consommer, sa façon d’être. Pour moi, cela fait écho à l’An 01 avec cette idée de “faire un pas de côté” et de redécouvrir le monde qui nous entoure.
Ces pas de côté, j’aime les observer, les créer, voir qu’il y a des gens (artistes, designers… ou simples citoyens) qui les créent tous les jours. Si la première étape est la prise de conscience de son environnement, la seconde pourrait alors être l’action de le modifier et la troisième serait la diffusion de cette idée pour que chacun puisse reprendre cette action à son compte, la modifier, la “hacker”, et la repartager ensuite. C’est également par la suite que ces usages parfois marginaux doivent être entendus par les communautés, les villes par ceux qui construisent le vivre ensemble pour, peut-être, transformer ces signaux faibles en nouvelles façons de vivre. Il y a des gens qui inventent d’autres façons de faire de l’agriculture, d’éduquer, de construire, d’écrire, de partager, de consommer, etc. Ce sont ces personnes moteurs qui me donnent envie de me retrousser les manches et d’inviter chacun à le faire.
Si vous deviez en choisir 3 quels seraient selon vous les modes de détournement les plus notables qui ont émergé ces dernières années ?
Parmi les sujets du livre, il y en a trois qui se développent particulièrement et se généralisent. Le premier c’est la surveillance et les actions qu’il est possible de faire pour aller à son encontre. On ne se comporte pas de la même façon lorsque l’on se sent écouté, épié, filmé. Dans le livre, sont présentés différents projets à faire soi-même dont par exemple un t-shirt qui brouille les algorithmes de reconnaissance faciale.
Un autre sujet c’est l’écologie et le retour de la nature au sein de la ville. En Norvège par exemple, ce sont des actions que les municipalités mettent en place régulièrement. À Paris, il y a eu des concertations citoyennes avec par exemple le projet Réinventer.paris ou encore les projets du Grand Paris. Un exemple à ce sujet qui figure dans le livre est sur la création de nids urbains pour faire revenir les oiseaux (les moineaux, les gobemouche gris ou encore les fauvettes…) qui quittent les villes suite à la destruction de leur habitat.
Enfin, le dernier sujet qui se développe beaucoup en ce moment est un sujet qui prête à controverse : le unpleasant design. Ces dispositifs urbains servent souvent à chasser ou déplacer les populations indésirables de certains lieux, certains quartiers. Ils se traduisent par des pics ou des galets collés pour ne pas s’asseoir, des accoudoirs très plats pour ne pas dormir sur les bancs, etc. Un des hacks du livre propose de réutiliser ces pics afin d’en faire une petite galerie d’exposition d’art dans la rue. C’est quelque chose que j’ai vu en situation dans le nord de Paris et que j’ai trouvé très élégant. Bien sûr le livre aborde aussi les sujets comme le partage, la culture, la publicité, etc.
Enfin, d’un point de vue plus critique, ces bricolages – en tant qu’appropriations d’usages et d’espaces – ne peuvent-ils pas générer des frictions au sein de la sphère publique ? Si oui, lesquels, et comment les minimiser ?
Oui, certaines frictions peuvent parfois apparaître et font écho avec ces espaces infra-minces dans lesquels ces projets s’inscrivent. Comme le sujet est avant la ville, la cité, le dialogue et l’action sont à mes yeux les éléments essentiels dans la construction du vivre ensemble.
Certains chercheront justement ces frictions pour provoquer le dialogue, pour provoquer la pensée pour la réaction, d’autres tenteront de minimiser ces frictions en agissant uniquement de façon très locale, chez eux, dans leur voisinage ou leur jardin ou encore en lissant certaines rugosités des hacks les plus “bruts”. Chacun pourra ainsi adapter, détourner, fabriquer les projets à son image, avec ses moyens, ses idées mais aussi ses idéaux.
Merci beaucoup pour votre article :)
Salut Geoffroy et merci à toute l’équipe de Pop-up urbain dont j’apprécie le travail de veille. Cette publication s’inscrit dans un lignée éthique liée au Do It Yourself et au hacking qui me semble salutaire à ce que j’ai pu en lire sur le Kickstarter.
En terme d’éthique justement, de partage et de fair use intellectuel, je me demandais (puisque je n’en vois à ce jour aucune mention), si tu allais opérer une filiation avec les gestes que tu reprends à ton compte – graphique – et dont certains sont réalisés par des auteurs (l’illustration du ride en europalette est une rotoscopie de la vidéo Pallet de Tomáš Moravec par exemple) ? Non pas que le fait de diffuser et ouvrir l’adresse d’un geste me pose un problème – les idées appartiennent à tout le monde), mais plutôt qu’il me semble que dans les démarches d’intervention urbaine attenant à l’éthique du Libre, il est de bon ton de rattacher les sources à leurs auteurs premiers (s’il en est) comme on le fait en Creative Commons ou en licence art Libre.
Bonne continuation.
MT
@Mathieu : merci pour cette question que tu m’as fait également parvenir par e-mail. Je suis en train de te répondre mais rapidement (et pour aussi participer à ce commentaire), toutes les idées présentées qui viennent d’auteurs (artistes, plasticiens…) sont sourcées et citées dans le livre et les auteurs ont été (et seront) contactés pour avoir leur accord, autant sur le fond que sur la forme. L’idée est justement, dans ces idées d’en connaître la source (et la licence) pour aller vers l’avant, et comme tu le dis, diffuser ces idées.
Mais je réponds à ton mail de ce pas ;-)