31 mars 2014
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L'observatoireArticles

Projet « Jeune Rue » : gentrifiez, gentrifiez, il en restera toujours quelque chose

Le 31 mars 2014 - Par qui vous parle de , ,

Étrange affaire que cette opération « Jeune Rue », qui fait vibrer les gastronomes parisiens depuis quelques mois maintenant. Sur le papier, pourtant, tout est limpide et même séduisant. L’Express Styles, qui a décortiqué le projet dans un article fort complaisant, écrit ainsi :

« Ils s’apprêtent à transformer un quartier entier de Paris en marché arty, gastronomique et écologique. Le fondateur de la Jeune Rue, Cédric Naudon, a choisi L’Express Styles pour dévoiler son projet pharaonique. […] Et quand Cédric Naudon aime, il ne compte pas. En guise de cadeau de mariage, il s’apprête à offrir à la capitale rien de moins qu’un quartier entièrement métamorphosé! (sic) »

Concrètement, la métamorphose en question suppute surtout l’établissement d’une quinzaine de commerces de bouches et/ou boutiques design, réunis sur trois  rues situées dans le Haut-Marais, à Paris. La liste des créateurs impliqués dans le projet est longue et internationale, donnant au projet les contours d’une Babel à peine caricaturale (un bar à huîtres, un marché couvert, un street-food coréen, un bar à tapas, une galerie d’art… on en passe et des meilleurs)

Mais peu importe le contenu, c’est le contenant qui nous intéresse ici. On est en effet en présence d’un projet urbain finalement difficilement attaquable, sinon par son échelle quelque peu démesurée. Mais la tentation est trop grande de gratter sous le vernis, pour s’interroger sur les tenants et aboutissants géo-économiques d’une telle opération. L’occasion de rappeler quelques évidences quant à la manipulation ex nihilo du tissu commercial en milieu dense…

Impossible, en premier lieu, d’échapper à l’évidente problématique de la gentrification. Le phénomène urbain est désormais bien connu, tant des chercheurs que du grand public, et notamment des parisiens pour qui le terme est inévitablement associé à la flambée de l’immobilier. De même, on sait que la simple installation d’un haut-lieu culturel suffit à créer un appel d’air susceptible de stimuler l’embourgeoisement d’un quartier (cf. La ville culturiste, mode d’emploi). Alors une quinzaine de boutiques hype, ouvrant de concert et de manière aussi concentrée ? Le risque pour l’évolution du quartier n’est pas grand : il est immense. Ou, pour le dire plus poliment : « c’est au risque de voir cette petite rue devenir un lieu d’emballement chic et très fréquenté. »

Le second point d’interrogation réside dans la relative homogénéité des commerces prévus, ou plus précisément des publics auxquels ils se destinent. Il s’agit là d’une corollaire du point précédent. En effet, la gentrification se traduit inévitablement par la concentration de commerces au sein d’un espace restreint, portant souvent préjudice à la diversité des aménités du quartier. On pensera par exemple, toujours à Paris, à la concentration des bars rue Oberkampf ou rue de Lappe (emblématique de la « vieille » gentrification parisienne), ou encore à la récente transformation du Faubourg Saint-Denis – situé à deux pas du futur projet.

Ce type de concentration a certes des vertus, d’autant plus qu’il répond à un pragmatisme économique assez évident (et non-corrélé à la gentrification) : installer son commerce dans un lieu connu et reconnu pour ce type de commerces. Certains quartiers ne sont ainsi remplis que de galeries d’art, d’assureurs, de revendeurs électroniques… Sur ce point, la Jeune Rue pourra plaider non-coupable, grâce à la diversité apparente des établissements prévus.

Mais en réalité, le contexte est bien différent : car la concentration des commerces est ici l’origine de la transformation du quartier, et non sa conséquence. Or, cette concentration ne répond (pour l’heure) à aucune demande spécifique du marché. De tels commerces existent d’ailleurs déjà, simplement plus éparpillés dans Paris. Il s’agit donc d’un pari, ambitieux, dont la rationalité économique reste très incertaine.

À l’heure où les tendances de consommation évoluent particulièrement vite (cf. « La vie liquide » de Zigmunt Bauman), le risque est grand de voir cette Jeune Rue ne pas trouver son marché, à plus ou moins long terme. Que se passera-t-il alors ? Comment vivront les baux les moins rentables ? Et si tout les acteurs impliqués quittent le projet demain, que fera-t-on de cette rue en déshérence ? Nous en sommes encore loin, mais il semble nécessaire de prévoir l’échec – même relatif – d’une telle opération, et de l’intégrer dans ses scénarios d’évolution potentiels… de manière à anticiper les dommages collatéraux qu’elle pourrait occasionner.

Ce qui amène à une troisième et dernière question. Qu’on ne s’y trompe pas : sous ses contours enthousiasmants, ce projet se révèle d’abord et avant tout une « opération Monopoly ». Le mot était d’ailleurs lâché, souvent inconsciemment, dans les papiers relatant le projet (exemple dans Omnivore)… mais recouvre des réalités bien différentes selon ceux qui l’emploient. Dans la bouche d’un promoteur immobilier, ou d’un journaliste par l’odeur alléché, la formule souhaite souligner le caractère entrepreneurial et aventureux d’un tel projet, comme pour mieux vanter les mérites d’une telle folie.

De notre côté, on y décèlera plutôt une vision erronée de l’urbanisme et de l’urbanité, qui prétend que « bigger is better ». Or, chacun sait aujourd’hui que ce n’est pas l’envergure d’un projet, tout pharaonique soit-il, qui fera son succès. Au contraire : le risque est d’autant plus grand de le voir échouer, pour des raisons souvent futiles. Si l’on comprend bien les externalités positives d’un tel projet, il est aussi aisé d’anticiper celle négatives qui pourraient émerger en cas de semi-échec (que nous n’avons fait que brosser ici).

On pensera, dans un tout autre style, à la vaste « Opération Phénix » repéré par Joël Gombin à Charleroi. Le projet urbain de redynamisation du centre prenait en effet les atours d’un Monopoly à l’échelle d’une ville entière… A l’origine, la communication du projet reprenait d’ailleurs, pas du tout subtilement, les codes visuels du jeu de plateau. De quoi rappeler, à qui l’aurait oublié, que les investisseurs ne venaient pas pour le plaisir ou l’amour de la ville, mais bel et bien dans une logique de profits…

C’est aussi le cas dans le projet Jeune Rue. Ses porteurs peuvent s’abriter derrière l’amour de la bonne chère et de la capitale, il ne faut pas oublier les motivations sous-jacentes à de tels projets. Compte-tenu des multiples incertitudes du projet en question, et de tous les risques que cela peut générer lorsque l’on fait bouger les lignes à une telle échelle (à la fois hyperlocale et pharaonique), on ne saurait trop conseiller de rester vigilant.

2 commentaires

  • Un article bien minable. Comment chercher le mal là où il n’est pas. Ce monsieur semble ambitieux avec une vrai volonté d’entreprendre et de faire bouger la ville musée. On parle même de ce projet à l’international.
    « Il ne faut pas oublier les motivations sous jacentes », j’imagine que vous faites votre métier bénévolement…
    Quant à imaginer ce quartier en « déshérence » en cas d’échec, c’est très mal estimer le potentiel du 3ème arrondissement. Avec des articles pareil, je comprends que 70% des jeunes rêvent de devenir fonctionnaires.

  • Un commentaire bien minable. Comment refuser de regarder la réalité des projets urbains en face. Avoir une « vrai volonté d’entreprendre » n’a jamais été un synonyme de réussite et il n’y a pas de mal à envisager l’échec, c’est même un signe de prudence. (« vigilant » est le dernier mot de l’article)
    Un bénévole capable de faire la différence entre cause et effets du phénomène urbain de gentrification a non seulement le mérite de savoir utiliser ses neurones mais en plus celui de vouloir en faire profiter les autres.
    Quant à imaginer ce quartier en « déshérence » en cas d’échec, c’est estimer la situation de manière raisonnable aux vues d’échecs comparables. On voit mal la Mairie du 3ème relancer le projet a elle seule si celui-ci capote

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