Il y a une vingtaine de jours, on vous livrait un billet rempli de références pop, consacré aux représentations de l’habitat dans la fiction. Ladite sélection se présentait comme une introduction inspirante pour appréhender les mutations – passées et en cours – de nos espaces d’habitation…
Nous dressions alors la liste illustrée des grandes typologies de foyers mis en lumière, détournés, rendus “pop” etc. dans une poignée d’oeuvres de fiction. Cette première approche ne constituait évidemment pas un travail exhaustif. C’était simplement un moyen de vous partager notre intérêt pour cette problématique, et surtout : de vous faire appréhender au mieux notre méthodologie, fondée sur les imaginaires. Comme nous l’exprimions alors, le domicile forme un objet d’étude complexe, à la fois stéréotypé (dans ses différentes structures d’aménagement, définies par un contexte économique, pratique, socio-culturel et temporel) et exposé à une multitude de prismes de personnalisation (nichés dans les choix individuels d’ornements et d’équipements). Au coeur de cette complexité, de riches archétypes s’esquissent, et il faudrait sans doute une vie entière pour en comprendre tous les rouages.
Et c’est pour aprofondir ce postulat que nous revenons aujourd’hui, en se focalisant sur l’un des archétypes d’habitat pop volontairement omis dans le premier article sus-nommé. Considérez donc la présente note comme un recueil de pistes de réflexions sur les liens entre la figure fictive de la maison hantée et l’espace domestique connecté. Si l’association d’idées peut paraître étonnante, elle a le mérite d’ouvrir des perspectives concernant l’une des conceptions dominantes de l’habitat de demain. D’ailleurs, un article similaire de TechHome Builder tissait, il y a quelques mois, des liens entre le contrôle magique dans l’univers d’Harry Potter avec le contrôle numérique opéré via nos objets personnels connectés.
De nos jours la maison du futur est encore et toujours perçue comme un espace qui s’autonomise, au profit de ses occupants – ainsi libérés de telle ou telle tâche. Depuis les années 1960 au moins, le marché de l’habitat et l’imaginaire collectif semblent en effet s’accorder sur le fait que l’innovation de cet espace personnel passe par la robotisation de son équipement. Car qui dit objets autonomes dit forcément émancipation de ses utilisateurs puisqu’ils se déchargent d’une action par ce biais. L’achat d’une machine à café c’est a priori l’assurance d’un café rapide et bien fait, au quotidien… On appareille la maison avec un certain nombre d’automates dans le but d’optimiser une routine. Ils nous font gagner du temps et facilitent notre quotidien, pour un meilleur confort. Dans les faits, tous ces petits objets mécanisés ont en quelques sortes une vie propre, même si la plupart ont besoin d’un petit coup d’index pour se mettre en route.
Par analogie, quel topique pop-culturel cultissime se fonde justement sur un espace domestique qui prend vie ? La maison hantée, bien sûr. Depuis plusieurs siècles, les esprits de la maison nous terrifient mais on continue à injecter par-ci par-là du savoir-faire à notre mobilier – par essence inanimé. Ce rapprochement est certes capilotracté, mais avouez que le contraste est cocasse et intriguant ! Qui ne s’est jamais inquiété du bruit douteux émis par un vieux radiateur ? Heureusement que les ingénieurs ont eu la présence d’esprit de faire dire “bip-bip” aux ordinateurs au lieu de les faire imiter des sons associés au vivant (gémissements d’enfants, râles graves etc.) ! L’observation sommaire de n’importe quelle interaction homme/machine montre ainsi qu’on passe notre temps à “ressusciter” l’inerte, et plus particulièrement les objets un minimum robotisés. Ainsi, on insulte plus facilement le ventilateur qui ne se met pas en route lorsqu’on en a besoin que le balais tombant bruyamment…
Dans un court article décryptant une pub Homelive – l’offre domotique d’Orange -, nous posions alors les bases de la critique de l’habitat connecté et ses risques (non sans illustrer notre propos à coup de références pop). Ainsi, les dysfonctionnements et piratages plausibles de nos futurs smart homes (annoncés par tous les gourous de l’innovation un minimum lucides) forment a priori les esprits malfaiteurs de l’espace domestique de demain… Pour illustrer cette analogie, une petite sélection d’images animées assez parlantes :
Sympa le nouveau portail automatique des voisins
Et si vous deviez éloigner vos enfants de la toute dernière console de salon à la mode parce qu’elle propose un système d’interaction trop flippant ? (in Poltergeist, film culte sur un pavillon de suburbia américaine construite sur un ancien cimetière…)
Le détecteur de mouvements du système lumineux domestique en plein délire
Smart punition pour avoir augmenté la facture d’électricité ce mois-ci (in Hausu)
« Merde, j’ai oublié la télécommande de l’escalier intelligent dans la cuisine !«
1/ La bibliothèque-porte coulissante qui s’ouvre en un seul choc bien senti : une innovation de première nécessité pour réinventer le boudoir de demain
2/ Qui n’a jamais impressionné ses aînés par la diffusion de musique sur la chaîne centrale en y connectant son smartphone via bluetooth ?
(in The Ghost and Mr. Chicken, 1966)
Quand t’as réussi à faire le ménage sans recharger la batterie de ton aspirateur robot « DIRT DEVIL Fusion M611 »1
Bref, on s’arrête là pour l’instant sur le rapprochement symbolique entre l’occupation fantasmée d’un lieu d’habitation par une âme tourmentée, et l’âme que l’on donne nous même – de différentes manières – aux équipements et objets d’une maison. Beaucoup de pistes d’interprétations peuvent ainsi être dégagées sur ces sujets. Cet égarement visait simplement à montrer que mettre en lien certaines tendances d’aménagement existantes avec certaines représentations collectives peut amener à d’éclairantes réflexions sur nos modes de vie futurs.
The Haunted House (1908)
En attendant le remake de Paranormal Activity où les caméras de surveillance prennent vie pour massacrer les occupants de la maison, on retourne hacker des réfrigérateurs à l’aide de notre planche de Ouija connectée.
Du reste, nos commentaires ci-dessous restent ouverts (ainsi que le hashtag #HabitatPop sur Twitter) si vous souhaitez partager vos expériences et les oeuvres horrifiques qui vous ont marquées, ou faire la liste de vos plus grandes peurs de l’habitat automatisé. Et si vous avez besoin d’inspiration, le Forum des Images à Paris ouvre son cycle Home Sweet Home le 14 décembre prochain !
- Dans Luigi’s Mansion comme dans Ghostbuster, la chasse aux esprits malfaiteurs s’effectue à l’aide d’une sorte d’aspirateur… objet domestique associé à une tâche ménagère si ennuyeuse qu’il méritait bien son détournement pop, tout comique-horrifique qu’il soit ! [↩]