Comment partager avec le grand public les concepts parfois complexes de la géographie ? Le processus de gentrification d’un quartier [« boboïsation » en mauvais français, ou « embourgeoisement » en un peu mieux français mais guère plus convaincant] est l’un de ces objets d’étude géographiques dont il est parfois difficile de rendre compte, tant dans ses origines que dans ses conséquences. Surtout, comment rendre palpable les conflits larvés souvent induits par la gentrification d’un territoire ?
Les « placemakers » néerlandais du collectif Gulfstromen en sont bien conscients, et c’est sûrement pour pallier ce déficit qu’ils ont imaginé cette animation d’inspiration 8-bit présentant un jeu (fictif) au nom évocateur : « Gentrification Battlefield »
Délectable, n’est-ce pas ? Comme l’expliquent les auteurs du « jeu » sur The Pop-Up City (think-tank dont ils sont les initiateurs),
« To give insight in how the gentrification evolves, we decided to present the process as if it were a battle. In collaboration with animator Coen Rens we created the official Amsterdam-Noord Gentrification Battlefield Map. The result is an animation which shows a simulated isometric real-time-strategy game where the old and new inhabitants are fighting over possession of the land. »
Tout est résumé dans cette dernière phrase. En effet, le processus de gentrification peut se résumer ainsi (c’est évidemment très caricatural) : une poignée d’individus appartenant à la « classe créative », chère à Richard Florida, s’installe progressivement dans un quartier populaire et parfois marginalisé (ou du moins, en sale état) ; le quartier devient peu à peu tendance, attirant davantage et davantage de hipsters en quête d’encanaillement… et provoquant la hausse inévitable des loyers, et donc l’éviction progressive des « anciens » habitants du quartier.
C’est précisément sur ce dernier point que Gentrification Battlefield tente de mettre l’accent :
« Amsterdam-Noord is slightly changing. Not everyone is happy with this. The battle of Noord is a fight between traditional inhabitants defending their positions, and new ‘Noorderlingen’ discovering this district as a new frontier. »
Les auteurs du jeu ne manquent pas d’humour, et reprennent les clichés traditionnels de chaque « camp » comme personnages jouables :
« Who wins Gentrification Battlefield? Play this strategy game with hipster Timo and his freight bike and Volkswagen van! Cross the IJ river and fight your way through the North. Or play with traditional Sjaan and her Canta car to defend affordable housing and save good old Dutch ‘gezelligheid’. »
Caricatural, mais aussi très vrai. Car la gentrification est source de tensions, entre anciens et nouveaux habitants d’une part, mais aussi entre habitants et « pratiquants » du lieu (souvent festif, cf. plus bas). Et comment mieux restituer cette guerre de tranchées qui se joue entre les rues d’un quartier qu’avec un jeu de guerre,grossissant de facto le trait par son binarisme ?
A ce titre, il convient de féliciter les auteurs pour leur brillante utilisation des codes traditionnels des RTS (real-time strategy game). Un juste retour des choses, quand on connait les ressources qu’offrent ces mêmes jeux, en termes d’imaginaires, pour réinventer de nos rapports aux territoires et à leurs représentations. Pour en savoir plus, jetez un oeil à la page « Ludotopies » au billet « Si les gamers cartographiaient le monde ».
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Pour aller plus loin sur le sujet :
J’ai pour l’instant assez peu écrit sur la gentrification, à mon grand regret. Le sujet m’intéresse pourtant depuis longtemps, ayant passé mon adolescence à me hipsteriser sur le Canal St Martin ; j’en ai d’ailleurs tiré un mémoire de M1, avec un titre qui amusera sûrement ceux qui connaissent mon sens aigu du travail de terrain : Analyse socio-spatiale des pratiques ludiques en milieu gentrifié. Les lieux de convivialité sur le Canal St Martin (autrement dit, les bars ! :D).
J’y avais analysé les conflits naissants, non pas entre anciens et nouveaux habitants, mais entre anciens et nouveaux gentrifieurs (ce que j’avais baptisé, avec la fougue de ma jeunesse, « processus de post-gentrification »). Rien à dire, la gentrification est un vrai sport de combat. A quand Gentrification Battlefield II ?
[PS : s’il y en a qui sont intéressés par le-dit mémoire de M1, je peux tenter de remettre la main dessus, il suffit de cliquer ici. C’est loin d’être parfait, évidemment ; mais j’y avais proposé un débat sur la sémantique à utiliser dans les études académiques qui avait fait tilter mon jury (de même que la conclusion, assez offensive vu les thèmes de travail de mon directeur ^^). Que choisir pour évoquer le phénomène, entre « gentrification« , assez imperméable, « embourgeoisement« , qui ne recouvre élude une grande partie du processus, et « boboïsation« , bourré de défauts et de contresens, mais mieux inscrit dans l’imaginaire collectif ?]Intérêt pour le sujet oblige, j’ai tout de même produit un billet gentrifié à lire sur pop-up urbain (et je dois avouer que je l’aime beaucoup) : Gotham City : la gentrification est un super-vilain. Comme toujours, n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires et réactions ! :-)