Il n’est jamais trop tard pour vous faire découvrir une oeuvre de pop-culture un peu datée, à partir du moment où elle met mieux en scène la ville et ses complexités que n’importe quel grand maître de l’Urbanisme ou du Transport… Après avoir déterré Amer Béton d’entre les plus beaux animés oubliés, c’est aujourd’hui à 5 cm Par Seconde (秒速５センチメートル, Byōsoku go senchimētoru) que l’on consacrera la petite collection d’urbanités qui suit. Ecrit et réalisé par Makoto Shinkai, sorti en 2007 sur grand écran, ce film d’animation japonais figure parmi les petits bijoux du genre. S’il n’est plus à prouver qu’il n’y a pas que les studios Ghibli dans la vie, on ne se lassera en tout cas jamais de le rappeler par le prisme des imaginaires urbains.

Après visionnage de la bande annonce ci-dessus vous comprendrez donc assez rapidement que 5 cm Par Seconde constitue une fresque poétique et mélancolique traitant d’amour, de temps et d’espaces (ces questions étant intimement imbriquées, donc)… Du point de vue de sa structure, le film est construit en trois épisodes qui racontent chacun, chronologiquement, les périodes de la vie d’une petite poignée de personnages. Et c’est particulièrement le premier d’entre eux qui nous a tapé dans l’oeil, intitulé « Ōkashō » ( 桜花抄, « Essence de fleurs de cerisier »). Il raconte l’amitié amoureuse de deux collégiens, contraints de vivre loin l’un de l’autre suite à des déménagements respectifs. Et amenés à se retrouver pour une soirée, intense en émotions (et en retards de trains).

En route pour les retrouvailles, après 1 an d’attente et des dizaines de lettres enflammées

Toute l’intrigue de ce petit film de 20 minutes tourne ainsi autour de cette question de distance, du point de vue le plus pragmatique à l’allégorie la plus sentimentale. Et c’est notamment le temps de l’action qui ajoute une palpitante dimension de lenteur au processus, puisque la romance qui affole le coeur des deux jeunes héros prend place en 1990… Epoque où le téléphone portable et les outils de communication du genre ne sont pas encore démocratisés (et encore moins pour des enfants de 13 ans).

C’est donc un frémissant échange épistolaire qui se met en place, ponctué de conversations téléphoniques à la cabine du coin, et conclu par un voyage interminable en trains locaux.

Plus de secrets pour le train japonais

Que ce soit dans la mise en place de ce tête à tête à distance, dans l’organisation de la visite finale, ou à travers le vécu détaillé du trajet en question : le déplacement en train y tient une place particulièrement frappante. Si vous aimez ce moyen de transport autant que les Japonais eux-mêmes, le film est fait pour vous… On n’y compte plus les plans spécialement dédiés au roi des voies ferrées, impliqué sous toutes les coutures. Voyez par vous-même, avec cette sélection d’illustrations non exhaustive :

L’intérieur du train local comme habitacle : une allégorie de la solitude du héros

Des rails à l’infini, la distance amoureuse comme horizon insaisissable

Le train qui passe > le temps qui file

Le train local (普通 futsû) : « le plus lent de tous, mais offre en contrepartie une desserte exhaustive puisqu’il stoppe à toutes les stations »

A l’arrêt ou sur le quai : le sentiment d’attente n’est que trop palpable

La fenêtre de l’ennui et la plateforme claquante, des éléments essentiels de ce décor maussade

Autour de tous les éléments constituant le train, on retrouve évidemment les mille et uns visages de la gare, imposante (Shinjuku à Tokyo) ou plus modeste (la petite gare de campagne, station d’arrivée) :

Florilège de gares, tout en contraste

**pique-nique porn* : le bento, cette petite boîte magique pour transporter de délicieux repas sur le pouce, ou le parfait en-cas pour des retrouvailles tardives dans la gare la plus lointaine.

Ne sont pas délaissés non plus les aménagements et petits équipements propres aux infrastructures de transports japonais. Vous savez bien, ces petits services qui font du train japonais le meilleur moyen pour se déplacer au monde… Pourtant, chose intéressante, aucun de ces aménagements dédiés au bien être et au passe-temps des passagers-voyageurs n’est ici utilisé par le personnage principal. Dans le cadre d’un voyage aussi long (retardé et retardé encore par les intempéries hivernales), le non-usage de ces grands symboles du confort pourvu par les institutions ferroviaires constitue un choix d’écriture notable. Ainsi, l’angoisse de ne pas arriver à temps au point de rendez-vous laisse Takaki sombrer dans une morosité profonde que rien (à part retrouver Akari) ne pourrait soigner… Même pas une canette de Pocari Sweat ou un ramen fumant.

Ramen à quai, pour patienter en dégustant un plat chaud… Vu que nos gares se mettent peu à peu aux ekiben, peut-être aura-t-on bientôt le droit d’engloutir une soupe de nouilles brûlante avant de grimper dans le TGV…

Des milliers de distributeurs de boissons pour un maillage du territoire placé sous le signe de la praticité

Les tampons de gare : meilleur concept de marketing territorial et de ludification urbaine ever

Tracer son chemin… et le retrouver

Mais à côté des équipements afférents à l’institution ferroviaire, « 5 cm Par Seconde » ne manque pas d’évoquer dans sa narration la préparation au voyage, ainsi que d’autres petits détails croustillants relatifs à ce type de trajets. Et c’est tout l’intérêt du film. Car en plus du florilège d’ambiances et des plans ultra précis centrés sur la traversée sur rails, l’épisode 1 consacre notamment un segment non négligeable aux actions et objets de repérage. Signalétique, plans, cartes, et itinéraires gribouillés sur une feuille de papier se glissent alors un peu partout dans cette fresque romantique.

Bribe d’une lettre d’Akari à Takaki

En montrant ce morceau de l’échange épistolaire entre les deux héros, le film affiche clairement le trajet en train comme point central de l’intrigue (sentimentale). De la main d’Akari, on retrouve donc l’heure et le point de rendez-vous, ainsi que les détails de l’itinéraire (directions, stations, correspondances), accompagnés de petits dessins informatifs (le kiosque à ramen illustré précédemment etc.)…

Rien de tel pour se préparer au voyage que de le visualiser en traçant le circuit à main nue… ce que nous fournissent d’ailleurs aujourd’hui nos bons vieux outils numériques de calculs d’itinéraires géolocalisés !

Sans les applications GPS à la Google Map, une seule solution : représenter la trajectoire, ses étapes et ses horaires avec des signes (mots, chiffres et ↓). Une alternative simple à la cartographie !

Prendre le train au Japon : mode d’emploi… Si vous n’en avez pas eu assez, on vous conseille une petite balade du côté d’Anime Signage, un Tumblr rempli de captures d’écran de panneaux de signalisation et autres interfaces de repérage urbain, puisées dans les dessins animés japonais.

On aime : le mouvement de caméra simulant le regard du héros, impatient d’arriver à bon port…

On jalouse : la ponctualité légendaire du système ferroviaire nippon

Le premier chapitre de « 5 cm par seconde » incarne donc l’un des meilleurs films sur le train japonais, bien que la thématique ne soit traitée que de façon transversale. A l’inverse d’un jeu vidéo comme Zelda Spirit Tracks, ou d’un film comme L’Île de Giovanni – qui mettent clairement en exergue la passion ferroviaire ancrée dans la culture japonaise -, le film de Makoto Shinkai se sert en quelque sorte de la romance vécue par les protagonistes pour parler de ce moyen de transport… Qui, rappelons-le, constitue le mode de déplacement le plus pratique et apprécié au Pays du Soleil Levant ! Dans Souvenirs Goutte à Goutte ( (おもひでぽろぽろ, Omoide poro poro) d’Isao Takahata déjà, le voyage au long cours se trouvait être le décor des rélexions personnelles de l’héroïne.

Si dans notre veille quotidienne, les questions relatives au monde ferroviaire sont majoritairement traitées du point de vue de la performance, de la vitesse et de l’innovation (j’en place une pour le Maglev et ses frères), bien des oeuvres de pop-culture nous rappellent que le train lent et vieillissant porte en lui un charme fou… Et qu’il permet plus qu’aucun autre de narrer les sentiments humains, de la mélancolie à la passion amoureuse des premiers temps. Alors servons-nous donc de ces histoires fictives pour se souvenir que l’existant (ici, l’un des champs des mobilités les plus décriées : à savoir le train local un peu bancal) mérite toute notre considération.