[ Avant-propos : URBAN AFTER ALL se met au vert… et contre tous ? Le lien original est à lire ici, et vous pouvez aussi nous suivre sur facebook ! ]
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La nature a horreur du vide, dit l’adage. Et si la nature avait aussi horreur du “plein” que représente la ville ? La question se pose, au vu des nombreuses œuvres culturelles mettant en scène une nature hostile à l’égard de la civilisation et de son principal avatar, la ville dense (cf. exemples ci-dessous, qui mêlent films catastrophes ou jeux écolo).
Bizarrement, assez peu d’architectes et urbanistes semblent vouloir se saisir de cette problématique. Ainsi, alors que l’occasion s’y prêtait à merveille, l’exposition “La ville fertile” (qui se tient en ce moment à la Cité de l’architecture, et à qui j’emprunte cette formule) n’aura jamais abordé cette face sombre de la nature urbaine, à mon grand regret / étonnement. Il y aurait pourtant énormément à en dire. Comment expliquer la profusion de ces visions post-apocalyptiques dans lesquelles la nature reprend ses droits sur l’Humain (à l’image de ces diaporamas ou de cesillustrations) ? Et surtout, qu’est-ce que cela traduit de notre rapport à la nature urbaine ?
De Phénomènes à Princesse Mononoké
Les exemples sont légion dans la culture populaire, notamment dans la seconde partie du XXesiècle, qui mettent en scène la révolte de la nature face à l’homme moderne. La multiplication de nanars impliquant plantes carnivores et animaux enragés en est un excellent témoin. Le site “Agressions animales” recense d’ailleurs ces œuvres de série B, avec un sous-titre on ne peut plus explicite : “La revanche de la Nature sur l’Homme. Animaux tueurs et catastrophes naturelles au cinéma.”
Plus subtil mais pas forcément meilleur, le récent Phénomènes, de M. Night Shyamalan (2008) s’inscrit lui aussi dans cette voie, en expliquant le suicide massif de nombreuses personnes comme “une revanche de la nature, qui sécréterait des toxines atteignant le cerveau humain et engendrant dépression et envie immédiate de mettre fin à ses jours. […] Faux film catastrophe, Phénomènes parvient à instaurer de la tension en ne filmant que des arbres ou de l’herbe qui bouge au gré du vent” (Merci @Belassalle)
Loin des nanars et blockbusters hollywoodiens, on pense aussi et surtout à la conclusion de Princesse Mononoké (1997), dans laquelle le Dieu-Cerf, aveuglé par la colère, détruit la colonie humaine pré-industrielle dont les ruines finiront recouvertes par une flore plus apaisée… (à partir de 7′05″)
Le Studio Ghibli, célèbre pour ses penchants écologiques, est d’ailleurs coutumier du fait. DansPompoko (1994), un tribu de tanukis [esprit de la forêt dans la mythologie japonais] tentent ainsi de lutter contre la croissance d’une ville nouvelle. On pense aussi à Ponyo sur la falaise (2008) et ses vagues destructrices, ou au Château dans le Ciel (1986) recouvert par la flore après la disparition de ses habitants.
Encore au Japon, l’épilogue de Final Fantasy VII (1997) pose le même constat d’une nature qui finira tôt ou tard par recouvrir les restes de la civilisation humaine (merci @LeReilly). On y découvre ainsi Midgar, principale agglomération du jeu, recouverte par une flore envahissante 500 ans après le dénouement “officiel” de l’histoire. Une reprise à peine subtile de “l’hypothèse Gaïa” de James Lovelock (voire surtout “La revanche de Gaïa”, 2001), la ville de Midgar étant tristement célèbre pour son réacteur puisant sans vergogne l’énergie “Mako” de la planète…
Cette liste est évidemment loin d’être exhaustive (on aurait ainsi pu évoquer les récents I Am Legend ou The Road (via @NicolasNova, mais ce dernier est un peu à part), la série The Walking Dead, le jeu vidéo Enslaved (via @LeReilly) ou encore L’Armée des 12 Singes qui mériterait presque une chronique entière). N’hésitez pas à proposer vos propres références en commentaires !
Se faire pardonner les erreurs d’une industrialisation ravageuse
Chacun des exemples évoqués ci-dessous évoque, avec plus ou moins de violence, la vanité de la civilisation (représentée par la ville et la société industrielle) face au réveil de Mère Nature. La profusion de telles images dans la culture populaire aura ainsi grandement nourri une relation de méfiance, voire de défiance, à l’égard de la nature (quitte à tomber dans le délire new age au goût douteux). Ce parallèle entre La Planète des Singes (1968) et le récent séisme nippon symbolise presque à lui seule toute l’importance de cet héritage culturel dans notre imaginaire collectif (via @sandiet)
Sans tomber dans la psychologie de comptoir, comment expliquer cette situation ? Après deux siècles d’industrialisation décomplexée, l’humanité se trouve confrontée à un double retour de bâton : l’épuisement des ressources naturelles ainsi que le réchauffement climatique remettent en cause les fondements mêmes des sociétés modernes. À défaut de pouvoir réparer ses erreurs, ou même de pouvoir en stopper la dynamique (décroissance), l’humanité chercherait ainsi à faire le dos rond face au courroux de Mère Nature.
Le constat est d’autant plus flagrant en Occident, dont la culture judéo-chrétienne (profondément urbaine) évolue peu à peu sous l’influence (entre autres) des pop-cultures orientales. Comme s’en inquiétait le pasteur Eric George sur son blog :
On voit en effet réapparaître, sous maints aspects, l’idée d’une nature vivante, sacrée qu’il nous faudrait respecter sous peine d’encourir sa colère. […] Pikachu et consorts sont une version à peine modernisée des esprits des eaux et des forêts. Je pourrais évoquer le succès (mérité) de dessins animés bien plus poétiques et subtils tels quePrincesse Mononoke ou Le voyage de Chihiro. Une part non négligeable du discours écologique me paraît donc s’accompagner d’un retour à la personnification et à la vénération de la Nature.
Maquillage maladroit
Pour le meilleur, diront certains. Mais peut-être aussi pour le pire, si l’on considère que cette sacralisation excessive de la Nature a des répercussions sur la manière dont les acteurs urbains tentent de l’exploiter. C’est en tous cas le sentiment que j’ai lorsque je vois les propositions de “villes fertiles” exposées à la Cité de l’architecture. À trop vouloir “s’excuser”, on finit par frôler l’absurde en tentant de maquiller les erreurs du passé à coups de jolies plantes vertes. J’évoquais notamment les cas du Plateau de Saclay (une hérésie sur le plan des mobilités durables, puisqu’une voiture est indispensable pour se rendre sur place), et du périphérique parisien “reboisé” (on est ici clairement dans le camouflage, voire le peinturlurage, sans jamais remettre en question la pertinence de l’automobile en ville). À la sortie, l’effet est bien souvent contraire à l’objectif initial, détournant les esprits d’autres solutions moins clinquantes, mais potentiellement plus efficaces (télétravail et tiers-lieux, par exemple. On retrouve ici la fameuse “panne d’imaginaire” déjà évoquée par Nicolas dans son analyse des monorails).
Comment sortir de cette logique pernicieuse ? Il me semble que la clé réside (comme souvent) dans la question des imaginaires, et notamment des imaginaires “dystopiques” (ou plus largement négatifs). Ceux-ci devraient être abordés de front plutôt qu’évacués au profit de leurs pendants involontairement “bisounours” (ou volontairement “greenwashés”), à l’image des designers-urbanistes de Terreform qui n’hésitent pas à se réappropier des visuels “post-apocalyptiques”… souvent avec talent. Nous aurons l’occasion d’approfondir cette face sombre de la ville fertile dans une prochaine chronique, qui complétera ce premier tour d’horizon.
Il semblerait ainsi que la contre-utopie permette ainsi, bien mieux que l’utopie, de penser les mutations du monde en ouvrant le champ des imaginaires à d’autres horizons créatifs. C’est en tous cas le pari de Tomorrow’s Thoughts Today avec ce clip titré Productive Dystopia (via Transit-City) :
Arrêtons donc de placer la nature urbaine sur un piédestal, et transformons la crainte qu’elle nous inspire en déférence productive.
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PS : Pour la petite anecdote, c’est un commentaire d’Antoine T. sur notre première chronique Urban After All qui nous a inspiré l’idée d’un tel sujet :
Un joli préambule à la réflexion, une piste importante manquante selon moi : l’aspect environnemental. On voit venir de plus en plus de scénarios dont l’histoire siège au sein d’un monde climatiquement bouleversé. Le film de zombies, c’est l’homme contre l’homme, oui mais pas seulement. C’est aussi la nature qui regagne sa place au sein des film et l’homme qui retouve sa condition de lutte pour la survie quotidienne (cf. I Am Legend, Walking Dead)…
La boucle est bouclée… Qu’il en soit remercié, et tous les commentateurs avec !