Je sors tout juste d’un stimulant Forum Chronos sur la marche… et la ville qui va avec. Je ne reviendrais pas en détail sur les contributions des intervenants ET de la salle, riche d’enseignements, que Chronos se chargera sûrement de diffuser dans les prochaines semaines. Je me contenterai de quelques retours et remarques rapides :
Premier constat : la marche est dans la place. Collectivités, transporteurs publics et même constructeurs automobile, tous s’accordent sur ses vertus : lenteur et pacification de la ville, réenchantement et réappropriation des lieux, etc.
Pour autant, attention à ne pas trop vite « enfermer la marche » dans une catégorie monolithique ; la tentation n’est jamais loin. Or, et tous se sont rappelés à le dire, la marche est fondamentalement plurielle.
Comme l’a rappelé avec justesse Jean Grébert1, il faut distinguer la marche choisie et donc propice à la dérive et à la contemplation (la marche « fun« ), de la marche subie et nécessairement « dynamique » (voire ‘sous pression’ ; pour aller plus loin, lire mon hommage au ‘slalom urbain‘, ou quand la marche devient un sport de course). J’y reviendrai d’ailleurs dès demain dans un texte publié sur Owni, dans lequel je tenterai de contourner le « mythe » de la lenteur salvatrice que sous-tend un discours trop axé sur la marche… Mais ceci c’est une autre histoire ;-)
D’ailleurs, doit-on parler de marcheur ou de piéton pour désigner ce ‘nouveau venu’ dans le paysage de la mobilité ? Georges Amar2, jamais en panne d’inventivité, propose le néologisme du marchant. Car, à l’instar de son homonyme commerçant, le marchant a autant à acheter qu’à vendre : son regard sur la ville est précieux car ‘inédit’, tant pour les collectivités, les fournisseurs de services ou les marques.
Georges Amar utilise d’ailleurs la métaphore de la « cellule-souche de la mobilité » pour désigner la marche : à la fois capable de « réparer » les morceaux brisés de la mobilité, et capable de se diversifier en n’importe quelle type de mobilité (le marchant étant aussi et à la fois un cycliste, un métronaute et un conducteur, etc.)
Dans la même veine créative, je retiendrai les différentes pratiques de la marche évoquées par Sabine Chardonnay3, dont les jolis noms évoquent aisément les formes de « dérive » qu’elles induisent : marche « en peigne », « en pieuvre » ou en « nuage ».
Enfin, pour ma part, j’ai profité du micro pour compléter l’intervention d’un auditeur. Celui-ci posait le constat de l’inexistence actuelle de « lobby piéton » en France. Voici en substance ma courte réponse :
S’il n’existe effectivement pas de « groupe de pression » en faveur de la marche, il ne faut pas négliger le « lobbying passif » qui s’effectue par le biais de la culture populaire. Cinéma, littérature, ou même jeux vidéo (cf. Mirror’s Edge) peuvent promouvoir la marche aussi bien (voire mieux) qu’une institution ou qu’un groupe de pression, en participant à l’inscrire durablement dans l’imaginaire collectif des mobilités. La mode populaire n’est pas en reste, comme l’écrivait tout récemment The City Fix (Can Pop Culture Push Sustainable Mobility, déjà cité ici) :
« The fashion world may be catching on as well. Clothing mega-producer Gap recently introduced a new line of women’s shoe called the City Flat. This “Walkable” shoe is designed for “the girl on-the-go”. Yesterday, GOOD posted about shoemaker Rockport’s new shoe line and ad campaign called WALKABILITY [= « marchabilité » en français], centering on a commercial that features attractive city dwellers sitting in bus stops, passing up taxi cabs, and, well, walking everywhere. »
Le titre de l’article de GOOD est d’ailleurs révélateur : c’est officiel, « Walkability is now a buzzword » :
« Forget pheromones or sports cars; walkability is the new aphrodisiac. Rockport shoes new campaign features two incredibly attractive 20-somethings walking the streets of New York, ultimately meeting up for a latte, attracted no doubt by each others’ comfy shoes. »
L’imaginaire érotique de la mobilité est désormais dans nos pieds, et Rockport ne s’y trompe pas en intitulant sa campagne « Hot Commute » !
Voici pour ma contribution, estampillé « culture pop&geek », as usual. Je remercie chaudement Chronos et plus spécialement Caroline pour leur invitation ;-)
Note : si l’on en croit Wikipedia, le marchand de sable du Moyen-Âge vendait de quoi rendre le sol moins glissant… D’où le clin d’oeil, en titre de ce billet, au « marchant », porteur du sable nécessaire pour favoriser une meilleure « accroche » du citadin à la ville !
- Expert systèmes de transport & mobilité Renault [↩]
- Responsable de la prospective et du développement de l’innovation à la RATP [↩]
- Ecole d’Architecture Paris-Malaquais, donc prof de mes collègues d’un jour ? [↩]
A propos de l’inexistence de « lobby piéton » en France, un coup d’oeil à la Suisse peut être intéressant : http://www.mobilitepietonne.ch Structure nationale, qui a fusionné d’anciennes associations à l’échelle de la ville, comme l’Union genevoise des piétons (UGP).