Une fois n’est pas coutume, on parlait d’amour il n’y a pas si longtemps encore. Vous savez, celui qui serpente dans nos rues de mille et une manières. Ce n’est aujourd’hui pas la thématique des applis de dating qui sera évoquée, mais celle d’une ville dans son ensemble. On connaît de Berlin son aura particulière de liberté, de créativité, de fête etc., par comparaison avec les villes européennes de composition comparable. Presque inévitablement, la question des relations amoureuses dans ce contexte enjoué a alors récemment été posée par deux amoureux de la capitale allemande, et on vous livre ci-dessous la voix féminine du duo.
Le documentaire « Berlin Way of Love » – réalisé par Salama Marine et Matthieu Do, diffusé pour la première fois en mars dernier, et sélectionné au Berlin Short Film Festival 2016 – porte bien son titre. Dans ce petit film, il s’agit d’observer « l’amour, le multiculturalisme et la notion d’engagement comme on le voit à travers le prisme de la vie contemporaine à Berlin ». N’ayant pas pu assister à l’une des séances, et happés par une promesse aussi cool, nous avons donc voulu en savoir plus sur ce produit culturel. Au plaisir, donc, de vous confier ci-après les réponses de Salama à nos questionnements indiscrets…
Pouvez-vous nous présenter le projet “Berlin Way of Love” ? Quels sont vos parcours respectifs, et surtout votre rapport personnel à Berlin ?
« Berlin Way of love » est un documentaire que nous avons réalisé avec Matthieu Do, Art Director à Berlin et ami de longue date. Le projet est né suite à une idée que j’ai eu en 2014 après avoir observé et entendu un grand nombre d’histoires d’amour et de (des)amours autour de moi. Je souhaitais dans un premier temps mettre sur papier mes ressentis et observations, sous forme de livre ou d’un long article. Mais écrire un livre nécessite une discipline que je n’avais pas encore à l’époque. De plus, Matthieu, qui avait déjà réalisé des clips et des cours métrages, voulait passer au long ou moyen métrage, nous avons donc décidé de s’unir pour mettre en image ce projet, et de parler d’amour à Berlin.
Ce projet a été pour nous un an de travail acharné, j’insiste sur ce terme car Matthieu et moi ne venons pas du tout du milieu du journalisme – lui graphic designer, moi psychologue – nous avons dû tout apprendre : de l’écriture du scénario, des interviews, mais aussi en ce qui concerne les aspects techniques.
Après un an donc, nous avons eu la chance, grâce à Melissa Domingues, notre assistante de production, de pouvoir présenter ce projet lors d’une soirée à soho House, devant un peu plus de 200 personnes. Beaucoup d’inconnus s’étaient présentés lors de cette séance, étant attirés seulement par le nom, c’est là que nous avons réalisé que le sujet pouvait vraiment plaire. Chose confirmée par la suite, à l’occasion d’autres séances, et du festival Boddinale (en quelque sorte le off de la Berlinale) où les réactions enthousiastes du public, et le prix reçu, nous ont permis de définitvement comprendre que nous avions touché un sujet sensible à Berlin, et que les berlinois se reconnaissaient dans ce projet.
Lorsque l’on vit à Berlin il y a une expression qui dit « give something back to Berlin« . En effet, étant extrêmement chanceux de vivre dans une ville aussi incroyable, les berlinois se doivent de rendre quelque chose à la ville. Au vu des réactions du public, nous pensons avoir rendu un petit peu de ce que la ville nous a offert.
L’angle choisi, à savoir parler d’amour à travers une ville – et parler d’une ville sous le prisme de l’amour -, permet d’aborder la capitale allemande avec un regard plus subtil que les habituels sujets focalisés sur la vie nocturne, la musique, le multiculturalisme… même s’ils sont bel et bien présents dans le doc.
Comment traduiriez-vous ici votre réflexion sur le sujet, avant et après enquête ? Comment est venu cet angle d’attaque ? Comment avez-vous travaillé pour traiter un thème aussi vaste, complexe et subjectif qu’est l’amour ?
Comme je l’explique souvent, ma volonté avec ce documentaire n’était pas d’apporter un regard objectif sur ce qu’est l’amour à Berlin en 2016. Je n’ai pas la prétention d’être capable d’explorer toutes les facettes d’un sujet aussi complexe. En revanche, j’ai souhaité raconter une histoire, qui est un peu la mienne, mais aussi celle de beaucoup d’expatriés qui se retrouvent à vivre des histoires d’amour avec des personnes sur le départ. Berlin est une ville de transit, où il est rare de s’installer pour de bon. Nous passons nos weekends à dire au revoir à des amis. Ainsi, la problématique principale fut celle-ci : comment construire une relation amoureuse longue et stable dans un ville où les habitants ne restent pas ?
De cela en a découlé d’autres problématiques propres à Berlin : comment construire une relation, lorsque l’on évolue dans le milieu de la fête ? Lorsqu’aucun des deux partenaires ne parle sa langue natale ? Et l’utilisation des applications de rencontres dans une ville aussi vaste ? etc.
Je ne sais pas s’il y a réellement un avant et un après le documentaire, car ma volonté n’était pas non plus d’apporter des réponses aux questions qui y sont posées. Mais plutôt d’exposer différents avis sur le sujet. D’ailleurs il n’y a pas de conclusion fermée dans le documentaire, je reste moi même dans le doute encore aujourd’hui sur ces sujets.
L’un des aspects essentiels de la problématique à laquelle vous vous êtes attaqués semble s’incarner dans certaines contradictions : en gros, à Berlin on s’aime beaucoup, mais dans des conditions, contextes, cadres et formes particulières, dictés par la ville elle-même.
Comment exprimeriez-vous ce lien à la fois fort, électrique, souvent éphémère qu’il existe entre Berlin et la sphère amoureuse ? En d’autres termes, quels sont les “imaginaires amoureux” propres à Berlin ?
Berlin est une ville incroyable de part son éclectisme, son multi-culturalisme, c’est un véritable melting-pot, très enrichissant au quotidien. Tous les weekends, un nombre insensé d’avions de touristes atterrissent et ajoutent à ce melting-pot une autre dimension, encore plus grande. On arrive donc à un mix aussi génial que frustrant.
Que ce soit des touristes qui ne viennent que pour faire la fête ou des habitants de longue date, nous partageons tous quelque chose de fort et d’unique, un amour inconditionnel pour cette ville. Berlin est plus forte que toutes les relations qui s’y construisent, éphémères ou non. Cet amour est beau, mais peut créer des frustrations : beaucoup souhaitent vivre la ‘Berlin expérience’, et la répéter jusqu’à l’épuisement (faire une rencontre, très forte, qui ne durera que le temps d’un weekend).
Ainsi, on aura beau faire la plus belle rencontre de l’année, se sentir amoureux comme jamais deux ou trois jours consécutifs, on sait qu’il est possible de répéter cela la semaine suivante avec une personne différente si on le souhaite. Et cela peut être frustrant pour une personne souhaitant construire une relation stable : il faut s’assurer que la personne rencontrée n’est pas là que pour six mois… Et qu’elle ait la volonté de s’investir, évidemment. Ce qui complique réellement les choses !
Peut-on aller jusqu’à dire que l’amour, le sexe, l’érotisme et les rencontres au sens large, représentent un aspect significatif du marketing territorial mis en place pour attirer les visiteurs à Berlin ?
Avez-vous des exemples de campagnes, de projets valorisés comme tels ? Si non, pensez-vous que le “branding amoureux” devrait être mieux mis en valeur ?
Devraient ? Non. Mais je pense que ça pourrait arriver, si cela n’a pas été déjà fait. Clairement, Berlin se vend comme la ville de l’expérience de la fête. Que ce soit par la ville elle-même ou par les publicitaires, Berlin en tant que « ville ultime de fête » fait rêver. Regardez peut-être du côté des dernières campagnes de la BVG – opérateur de transports local -, ainsi que celles d’Air Berlin. Les deux institutions peuvent prendre l’amour comme prisme commercial.
Pour ouvrir un peu ces réflexions, pensez-vous que cette question de l’amour urbain corresponde presque exclusivement à la capitale allemande, ou bien qu’elle pourrait être posée dans n’importe quelle ville ou presque ? Y a t-il des villes du globe qui mériteraient à vos yeux une enquête analogue, ou au contraire des espaces pour lesquels la question serait complètement superflue ?
Beaucoup de personnes nous demandent si l’on pense transposer ce projet dans une ville comme Paris. Je pense que cela serait compliqué.
Alors bien sur il y a des communautés d’expatriés à Paris mais dans des proportions bien moins grandes que Berlin. Ainsi les dynamiques, en terme de relation amoureuse sont complètement différentes. Il faudrait penser à des villes comme Londres, ou Hong Kong, ou se côtoient nombreuses nationalités et locaux.
Mais je pense aussi, qu’en se penchant un peu plus sur la question, l’amour dans les grandes villes aujourd’hui appelle a des problématiques communes, peu importe le continent sur lequel où l’on se trouve.
Bonus : vous travaillez aussi sur les sites de rencontre, si j’ai bien compris ? Dans quel cadre ? Comment ces enseignements ont-ils nourri Berlin Way of Love ?
Je travaille en effet pour le site de rencontre Elite Rencontre, où je donne régulièrement des conseils, notamment sous forme d’articles aux personnes inscrites, et où je mène des études sur différents sujets concernant l’amour et les relations.
Ce travail m’a permis de me découvrir une nouvelle passion pour les sites et applications de rencontres, qui sont en passe de devenir l’unique moyen de rencontres pour les célibataires – on le constate de jour en jour dans les grandes villes.
Ainsi je consacre dans le documentaire une part de réflexion à Tinder. Il y a tant de réflexions à exposer sur ce sujet, que cela pourrait faire l’objet d’un second documentaire ;)
D’emblée je n’avais pas osé m’aventurer sur ce lien sur Berlin qui dans mon imaginaire ne me parle vraiment pas d’amour.Puis je me suis décidée ce matin. Je crois que la transposition dans toute autre ville, tout autre pays est tout à fait possible car lorsque l’amour nait ou semble naître entre deux êtres, bien fort celui qui pourrait dire qu’il sera durable sous quelque latitude que ce soit, réciproque … Enfin, ce document a le mérite de me donner l’envie de m’intéresser à cette ville.