Le présent billet fait suite à un premier, publié il y a plusieurs semaines dans nos colonnes. Le principe est toujours le même : partager avec vous une petite sélection de quelques scènes et objets insolites croisés lors de notre voyage au Japon, en août dernier. Pour ce faire, nous sommes allés piocher dans nos photos de vacances, afin de vous concocter ces modestes assortiments de singularités urbaines proprement japonaises.
Il est de coutume de dire que le Japon est terre de contrastes. Loin d’être un cliché, cette Japanese touch se vérifie au quotidien dans les villes nippones, et c’est précisément ce que nous avons souhaité partagé. Mais qu’on ne s’y trompe pas : sur place, ces contrastes se fondent parfaitement dans le décor ; et c’est à travers nos yeux d’occidentaux étonnés qu’ils prennent toute leur saveur…
Au Japon, on a pas peur des contrastes (Hiroshima)
Le premier volet de cette courte série d’articles consacrés aux singularités urbaines japonaises, dressait alors le portrait de deux concepts nippons ayant trait à des lieux de transit ferroviaire. Le billet qui suit fait la part belle à l’habitat nippon, tantôt étonnant par son architecture disparate, tantôt garni de mille et un ornements. L’architecture et l’urbanisme n’échappent en effet pas à la règle citée en introduction : nous sommes bel et bien revenus surpris (et émerveillés) par la rue japonaise et les bâtiments qui la composent, parfois sans même s’en rendre compte.
En effet, pour d’évidentes raisons géographiques, l’architecture japonaise du quotidien doit sans cesse repousser les limites de son imagination. Ainsi, comme l’expliquaient d’autres récents voyageurs-blogueurs en terrain nippon, le logement y est sans cesse réinventé :
« Les architectes peuvent oser, et construire en réinventant parfois les concepts mêmes de la maison. A Tokyo, nous avons eu la chance de pouvoir suivre les pas de Ryue Nishizawa et de Sou Fujimoto. Deux architectes de renom, et deux maisons qui montrent l’incroyable vivacité de l’expérimentation et de l’innovation japonaise. Des architectures qui peuvent être subversives, tendres, pleine d’humour, parfois décalées, nous découvrons un pays qui ouvre en grand le champ des possibles. Les architectes japonais sont en train de questionner et presque de réinventer l’habitation. »
(in « Japon, le pays des possibles » par Architecture by road, sur Demain la ville)
Une maison tokyoïte tout en asymétrie de pigments fluo (rencontrée dans une ruelle résidentielle ne payant pas de mine)
Duels d’urba
Les contrastes nippons dépassent évidemment les centre-villes, et se retrouvent presque sublimés en périphérie. La photographie ci-dessous montre ainsi, grâce à son angle élargi, deux paysages urbains qui se confrontent en un un seul plan. Au centre, la route remonte sur quelques mètres puis se divise en deux : d’un côté continue une autre route au trafic routier rapide, de l’autre se dessine un chemin de forêt étroit mais toujours goudronné. Une seule vue pour deux paysages, voici le Japon contrasté que nous sommes venus chercher.
Choisis ton camp (Kyoto) – Crédits [pop-up] urbain : cliquez pour agrandir
Les deux décors semblent au premier abord s’opposer : à gauche, la moue triste d’un parking bétonné surplombé par sa route aérienne ; à droite, la quiétude d’une baraque surplombée par un sanctuaire shinto dans la pénombre du sous-bois. Ainsi, les deux tableaux se contredisent par divers biais.
Par l’ambiance générale de chacun d’eux, aussi : quand l’un des espaces représente un espace vide de stationnement sans âme, le second forme un lieu de vie, rempli de petits aménagements symbolisant l’habité et l’intime. Le « clash » débordant jusque dans le style des barrières qui encadrent la route centrale… d’ailleurs elles-mêmes symboles de l’abîme urbanistique creusé entre les deux décors.
Pourtant, un effet de « miroir déformant » assez frappant peut être saisi entre les deux mises en scène. Une certaine symétrie est ainsi créée par le chemin goudronné sillonnant au centre et coupant le plan en deux, et ensuite par le rappel de deux structures présentes de part et d’autre de la photo.
Comme deux portes ouvertes – l’une vers l’époque contemporaine, l’autre vers un héritage culturel plus traditionnel -, se répondent ainsi ces deux objets immaculés. Qui, de l’arche formée par les deux piliers de béton soutenant la route suspendue, ou du torii sacré en bois peint, choisirez-vous comme portail pour pénétrer dans le Japon qui vous enivre ?
Street fighting à Kyoto – Crédits [pop-up] urbain : cliquez pour agrandir
Dans un autre style, la photo ci-dessus met en scène de façon encore plus claire un clash urbain entre deux entités voisines. L’opposition classique entre une forme curviligne et son adversaire anguleux se dessine ici à travers une supposée rivalité de voisinage. C’est en tout cas l’affaire que l’on s’imagine en découvrant ce face à face architectural, à l’entrée d’un quartier résidentiel des plus communs à Kyoto. A votre avis, qui du résident de la maison bombée ou de la construction appointée provoqua le premier son voisin ?
Jardine ta rue
Lorsque les résidents japonais n’essayent pas de clasher le voisin d’en face avec une façade plus carrée que la sienne, il semble qu’ils fassent tout pour rendre leur bicoque plus attractive, plus confortable… ou tout simplement plus habitée. Comment ? En l’ornant d’une multitude de petits objets décoratifs, qui se chevauchent bien souvent sur des surfaces ridicules – raisons géographiques, on y revient encore et toujours.
Scène de vie aménagée par une main enfantine : câlins entre breloques avachies sur un banc
Collés aux murs extérieurs de la maison, pendus au portail, disposés sur un muret ou directement exposés sur un petit bout de rue que l’on s’est précieusement réapproprié, les démonstrations de bibelots nippons en milieu résidentiel sont courantes.
Maison bigarrée sur l’île de Yakushima, à même la rue
Si les japonais des villes manquent souvent cruellement d’espace pour vivre, l’habitat représente bien souvent une cellule privilégiée pour s’étaler un peu sur la rue.
D’Anpanman à Doreamon : l’intrusion de la pop-culture dans la ville jap par tous les moyens
Sous les yeux indifférents des passants, s’entassent alors aussi bien des tonnes de jardinets en pot, que des attroupements de babioles kawaii à l’effigie des plus grandes star de la pop-culture (locale ou non).
Et si on faisait profiter toute la rue de notre nouveau bassin zen ?
Fleuries ou décorées d’objets délavés, les petites ruelles des quartiers résidentiels sont bien souvent égayées par une multitude de substituts de jardins. Ainsi, comme le rappelait Claire Gervais dans son article consacré aux spécificités des rues japonaises :
« Si la minéralité est toujours présente, s’y ajoute subtilement des appendices verts le long des façades : quelques pots de fleurs de ci, quelques plantes de là, soigneusement collés le long des habitations qu’ils agrémentent. »
Petit salon de jardin improvisé sur la rue, parfait pour un dej urbain tout confort
La courette qui accompagne traditionnellement les petites résidences japonaises de plein pied sert d’ailleurs bien souvent de parking privé. Réduisant dès lors la surface alléguée au jardin, la voiture – bien que particulièrement compacte – prend généralement la place du salon de jardin…
Duo gagnant sur le rebord d’une maison dans la campagne japonaise
Ce petit bout de nature personnel et aménagé représente en effet une denrée rare dans la ville contemporaine. Si nos lotissements occidentaux comptent en effet nombre de maisons bétonnées agrémentées de figurines variées et autres nains de jardin, le résultat demeure quand même relativement tristounet. On préférera donc le « bordel » habité que nous offre l’habitat japonais, preuve s’il en fallait que l’appropriation d’un espace de vie ne passe pas forcément par un carré de pelouse bien tondue.
Une grille c’est encore mieux qu’un sapin, pour y accrocher des kitscheries
Il y a mille manières de façonner l’extérieur de son domicile, et les villes japonaises semble y mettre à profit toute leur créativité intime. Aux Pères Noël factices pendus aux fenêtres des HLM, les japonais préféreront volontiers un aménagement personnalisé avec quelques figurines, saupoudrées d’un petit objet-souvenir.
En revanche, on a pas dit que c’était toujours très réussi…
Il ne tient qu’à nous de développer ce lien étroit entre sphère intime et espace public. Il semblerait en tout cas que les petits espaces favorisent ces décorations personnelles, ou du moins le rendent nécessaire. C’est peut-être aussi le symbole qu’avec un soupçon de laisser-aller, nos grises rues gagneraient en animation. A vous de sortir vos figurines préférées sur un coin du perron !