5 juin 2018
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L'observatoireContributions

Smart City, le nouveau far ouest ? (MAIF)

Le texte qui suit est une commande de la MAIF - société d'assurance mutuelle française -,  publié dans le dernier n° de la Lettre d'information aux élus des sociétaires.

Depuis quelques années, la “ville intelligente” est sur toutes les lèvres. De nombreux pionniers imaginent le fonctionnement d’un espace urbain devenu plus futé par l’introduction de capteurs améliorant la gestion des différentes activités d’un territoire : état du trafic automobile et piéton, transports publics, véhicules partagés… les nouvelles mobilités sont au cœur de cet eldorado supposé.

Le 5 juin 2018 - Par qui vous parle de ,

De Barcelone à Rio de Janeiro en passant par Séoul, Le Cap ou Lyon, la “smart city” a le vent en poupe à travers le monde. Initialement formulé à l’orée des années 2010, le concept s’est depuis largement démocratisé, et l’on peut déjà mesurer les premiers bénéfices de cette introduction massive de technologies en tous genres dans l’espace urbain. Si la forme varie grandement d’une ville à l’autre, la colonne vertébrale reste souvent la même, s’appuyant sur une multitude de capteurs récoltant un foisonnement de données, afin d’optimiser la gestion des activités urbaines : trafics automobiles ou piétons, réseaux d’énergie ou de chauffage, transports en commun ou véhicules en partage, mais aussi gouvernances municipales ou échanges de marchandises… Les débouchés semblent infinis.

La smart city à l’épreuve des données

Si la promesse est belle et les progrès notables, le discours tend logiquement à se faire un peu plus nuancé aujourd’hui. Miser sur la captation de données dans l’espace public n’est évidemment pas sans susciter quelques inquiétudes, dans l’opinion publique comme chez les autorités régulatrices, voire les collectivités elles-mêmes. Les nombreuses affaires relatives à la protection de la vie privée, notamment sur les réseaux sociaux, s’immiscent ainsi dans le débat public ; et ce qui est valable sur Internet l’est aussi dans l’espace urbain, où la “data” est considérée comme l’or noir de la ville intelligente. Faut-il confier toutes les données d’un territoire à des acteurs privés, assez peu enclins à dire ce qu’ils comptent en faire ?

L’application du règlement général sur la protection des données (RGPD), depuis le 25 mai 2018 dans les pays de l’Union Européenne, devrait permettre de préserver le Vieux Continent de certaines dérives ; c’est une grande nouvelle, qui montre que l’Europe souhaite s’armer pour façonner la smart city sur de solides fondations. Mais la situation reste néanmoins fragile, comme l’avait souligné la Cnil dans un rapport publié à l’automne 20171. Et c’est tout particulièrement le cas dans l’un des secteurs les plus cruciaux de la ville intelligente : celui des mobilités, objet d’un regain d’attention depuis quelques années.

Les mobilités, « western » de la donnée urbaine

Les mobilités urbaines catalysent en effet toutes les questions relatives à la ville intelligente. La réduction du trafic automobile, par exemple, est un enjeu majeur en termes de santé publique et de développement durable. Rappelons notamment que les transports, et essentiellement le trafic routier, représentent près de 35% des émissions de CO2 en France. Voilà un sujet sur lequel l’innovation numérique aurait grandement à apporter, d’autant que les contraintes budgétaires réduisent la marge de manœuvre des collectivités en matière d’investissements lourds dans les transports en commun. Dès lors, une solution “smart” et potentiellement moins coûteuse, afin d’optimiser des infrastructures existantes grâce à la data, devient une véritable aubaine pour les territoires.

C’est ce qu’ont bien compris les nouveaux acteurs de la donnée – des acteurs issus du numérique, et non de l’écosystème traditionnel du déplacement. Ainsi, certaines municipalités se sont associées à des opérateurs tels que l’application d’infotrafic Waze, propriété de Google, le GPS Strava, destiné aux cyclistes et aux joggeurs, ou encore Uber, dont tous les véhicules sont géolocalisés. L’enjeu est double pour ces entreprises : d’abord financier, ces partenariats permettant de monétiser des données qui autrement resteraient mal rentabilisées. Mais aussi diplomatique : en acceptant de “reverser” leurs précieuses données dans le tableau de bord numérique des villes intelligentes, ces opérateurs aident les territoires à avoir une meilleure connaissance de leurs flux, leur permettant par exemple d’ajuster le planning des transports collectifs en fonction des données obtenues.

La métaphore de l’or noir n’a donc rien d’anodin : sans pétrole, la machine “smart” ne fonctionne plus. Derrière le discours de la ville intelligente, c’est donc aussi l’ouverture de ce vaste marché de la data qui se joue. C’est même un nouveau western qui s’annonce, entre opérateurs historiques et nouveaux entrants… sans oublier les “shérifs”, c’est-à-dire les autorités régulatrices du numérique, qui auront évidemment leur mot à dire quant aux usages des données récoltées. Il leur reviendra d’apaiser un sujet prospectif particulièrement complexe, et qui risque de s’intensifier dans les années à venir. L’enjeu est de taille, si l’on souhaite voir les mobilités entrer dans une nouvelle ère numérique sans pour autant mettre en balance la vie privée des usagers…

Chiffres-clé

25 communes françaises se définissent comme “smart city”. 14 d’entre elles comptent plus de 250 000 habitants (Journal du Net novembre 2017)
45 projets concernant le secteur des mobilités ont été observés en 2017 par le cabinet d’études Navigant Research (sur 252 projets de “smart cities”)
Tous les deux jours, l’humanité produit autant d’informations que ce qu’elle a généré de ses origines jusqu’en 2003 (La méthode scientifique sur France Culture)

  1. La plateforme d’une ville : les données personnelles au cœur de la fabrique de la smart city par le Laboratoire d’innovation numérique de la CNIL []