[ Avant-propos : URBAN AFTER ALL prend son envol ! Le lien original est à lire ici, et vous pouvez aussi nous suivre sur facebook :-) ]
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Vous en avez peut-être entendu parler : du 12 au 20 mars, un dirigeable a survolé Paris pour en mesurer la radioactivité (peut-être le même que celui qui survolait les banlieues en 2005, qui sait ?). Un bon prétexte pour revenir, dans cette chronique, sur la possibilité de voir un jour les dirigeables retrouver leur lustre d’antan, et pourquoi pas remplacer les avions pollueurs et bruyants (et pas uniquement pour du fret, mais bel et bien pour du transport de voyageurs au long cours).
L’idée ne date pas d’hier. En 2004 déjà, l’expert Jacques Bouttes s’interrogeait sur le “renouveau des dirigeables”, rappelant au passage que le sujet fait “l’objet de discussions ayant le plus souvent un caractère plus affectif que rationnel” :
Le dirigeable est un engin qui fait rêver : le souvenir des Zeppelin et plus récemment la vue dans le ciel des dirigeables, porteurs de publicité, silencieux et majestueux, ont un impact médiatique considérable.
À l’instar du monorail dont nous parlait Nicolas il y a quelques semaines, le dirigeable jouit en effet d’une certaine aura “rétro” dans l’imaginaire collectif. Qu’est-ce que cela traduit quant à notre culture de la mobilité ?
Mythe ou réalité ?
Architectes et urbanistes sont les premiers à exploiter l’engin dans leurs visions prospectives. Le blog Transit-City répertorie d’ailleurs les exemples les plus emblématiques. Une “renaissance de vieilles utopies” (voire parfois du recyclage), allant des dystopies où le dirigeable sert de “témoin” [projet “London 2100” (2010), par Ángel Martínez García, qui imagine un Londres partiellement recouvert par la montée des eaux], à d’autres créations d’envergure où le dirigeable est au centre de la vision futuriste :
- projet “Anemorphic Airship Docks” (2008) de l’étudiant Adam Holloway, encore pour Londres, et qui pose avec pertinence la question des infrastructures architecturales nécessaires à ce mode ;
- projet “Airbia” proposé pour le concours ReBurbia [en]
- d’autres exemples sur Transit-City…
Plus généralement, l’aura des dirigeables peut s’expliquer par sa forte présence dans la culture populaire. Les exemples sont nombreux, et pourraient couvrir une chronique entière (c’était d’ailleurs l’idée de départ, dans la lignée de mes activités sur pop-up urbain). Citons pèle-mêle (liste évidemment non exhaustive, n’hésitez pas à faire part de vos trouvailles en commentaires !) :
- Batman et son univers rétrofuturiste (dans les dessins animés),
- la pub M&M’s Coupe du Monde,
- les nombreux aéronefs servant de moyen de transport dans les jeux vidéo (en particulier dans les RPG nippons, de Final Fantasy VI à Final Fantasy IX)
- et bien d’autres… à vous de jouer !
Mais c’est surtout Southland Tales (2006), film magistral de Richard Kelly, qui m’a inspiré cette chronique. Le film s’achève dans un scène d’anthologie, à bord d’un “Mega Zeppelin” survolant Los Angeles (attention, spoiler possible) :
Si ces projets sont pour la plupart des créations d’anticipation, dont la fonction première est donc de faire réfléchir (sur la raréfaction des énergies combustibles, notamment), il n’en est pas moins légitime de s’interroger sur les possibilités de voir les dirigeables revenir sur le devant de la scène aéronautique. En effet, ce “renouveau” médiatisé des dirigeables n’a pas franchement rencontré le succès escompté. Comment l’expliquer ?
Guerre et paix
Selon Jacques Bouttes, l’échec des récents projets de “gros” dirigeables dans les années 2000 (ou plutôt leur non-concrétisation, car il s’agit plus souvent d’effets d’annonce peu réalistes) s’explique avant tout par le manque d’envergure des moyens mis en œuvre :
De ce fait, l’avenir des grands dirigeables ne peut s’envisager que si des industriels majeurs de l’aéronautique s’intéressent à ces nouveaux produits. Il faut, pour cela, d’abord évaluer le marché solvable, connaître les opérateurs potentiels, et enfin mettre en place des équipes et des moyens technologiques adaptés, d’un niveau industriel comparable à celui de l’aéronautique moderne. Toutes ces conditions n’ayant pas été remplies, il ne faut pas s’étonner des échecs récemment constatés.
Jusque là, rien que de très logique. Mais quelques lignes plus loin, la conclusion de l’expert laisse songeur :
L’avenir des grands dirigeables pourrait s’éclairer si les applications militaires étaient suffisamment intéressantes pour que les investissements nécessaires soient mis en place.
Dans un texte relativement critique, l’écologiste George Monbiot confirme cette hypothèse, finalement plutôt logique quand on connait le passif “militaire” des grandes techniques de notre époque (dans l’aéronautique en particulier dans un texte assez sévère à l’égard des dirigeable)s. Plus étonnant, même la pop-culture semble venir appuyer l’idée. Ainsi, les dirigeables de Batman ont une fonction sécuritaire de surveillance urbaine, et le Mega Zeppelin de Southland Tales est utilisé par l’armée US comme arme pour la “Troisième Guerre mondiale” imaginée dans le film (et fortement inspirée par l’après 11 septembre).
L’imaginaire des dirigeables semble donc marqué par une certaine “violence”. Plutôt étonnant, puisque les dirigeables sont justement considérés comme des modes “doux” et “silencieux”. On retrouve ici un paradoxe proche de celui que j’observais autour de la “ville mobile”, et qu’il m’est assez difficile d’expliquer. Est-ce lié au passé militaire des dirigeables ? À leur caractère imposant et donc visuellement plus “marquant” ? Ou bien faut-il chercher plus loin, dans la psychologie de nos imaginaires mobiles (la vitesse et le bruit des moteurs longtemps perçus comme des valeurs positives, auxquelles ne répond donc pas le dirigeable) ? La discussion est ouverte…
La croisière s’amuse… entre riches.
En effet, l’autre versant de l’imaginaire que l’on rattache traditionnellement aux dirigeables est celui d’un transport apaisé, silencieux et non polluant. Transit-City, s’interrogeant sur les “mutations de l’aérien”, faisait ainsi une pertinente analogie entre paquebots et dirigeables comme possible avenir du tourisme :
“Les gens en ont assez d’être stressés, et nombreux sont ceux qui aspirent à une certaine lenteur”, constate ainsi le journaliste et grand voyageur Claude Villers, qui fait même le pari que si une compagnie relançait les dirigeables, il y aurait une clientèle pour ce type de transport.
C’est là, à mon sens, ce que nous apprend de plus significatif ce retour des dirigeables sur le devant de la scène. En effet, l’engouement pour ce mode de transport traduit une perception nouvelle de la mobilité : après des années de domination de la valeur “vitesse”, la lenteur regagne du terrain dans l’inconscient collectif, et le dirigeable en est un excellent témoin. Éloge de la lenteur ? Sûrement, et l’idée de ce “temps-croisière” trouve d’ailleurs un écho dans les modes de transport plus classiques, tel que le train ou le métro et bien évidemment l’avion.
Comme l’explique Transports du futur :
Dans la course à la vitesse quotidienne, il est probable que le temps libre et donc finalement la lenteur soit, sous une certaine forme, un luxe.
De là à dire que les dirigeables seront réservés à certains, il n’y a qu’un pas… que l’on peut s’autoriser à franchir, au vu des différents projets “réalistes” qui s’annoncent (hôtels volants et croisières de luxe, images de réceptions guindées comme dans Southland Tales, etc.). Faut-il en conclure que l’avenir des mobilités ne peut s’envisager qu’en termes sécuritaires et/ou d’exclusion ? Triste fantasme, que l’on tentera de démêler en imaginant d’autres perspectives plus “subversives”. Pour paraphraser la conclusion de Nicolas à propos du monorail : “il est temps d’imaginer d’autres formes possibles ou d’aller puiser dans d’autres imaginaires des espoirs nouveaux…”