[ Avant-propos : URBAN AFTER ALL recèle les bons tuyaux (de poêle) ! Le lien original est à lire ici, et vous pouvez aussi nous suivre sur facebook :-) ]
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La semaine passée, une retraitée géorgienne de 75 ans a fait la douloureuse expérience de couper l’accès à Internet dans 90% des foyers, sociétés et organisations arméniennes. En cherchant des métaux à récupérer et revendre, la malheureuse a sectionné avec une bêche un des câbles de fibre optique permettant la connexion entre les deux pays…
Au-delà du phénomène de la hackeuse à cheveux gris, qu’est-ce que les histoires de ramassage de cuivre, fer et aluminium nous racontent sur la ville d’aujourd’hui ?
Ce vol c’est de l’alu
Le vol de métaux est un phénomène qui transparait récemment dans les médias. Des expéditions spectaculaires sont ainsi mentionnées, comme ces scieurs de pylônes, les faux ouvriers du Ranch Davy-Crockett de EuroDisney ou ces profanateurs de sépultures. Avec comme cause souvent mentionnée pour expliquer cette tendance les prix élevés des métaux et la demande croissante des pays émergents comme l’Inde et la Chine.
On imagine les malfrats nocturnes redoubler de précautions pour déterrer, arracher et récupérer des bribes d’acier, d’aluminium ou de cuivre. Mais contrairement au cliché répandu dans les médias, la collecte de métaux n’est pas uniquement un acte délictueux ! Il n’y a pas forcément besoin d’opérer la nuit ou dans les campagnes pour récupérer des métaux et il peut s’agir d’une activité courante, mais invisible, des villes contemporaines. Pas nécessairement du vol, ce peut parfois être un type de petit boulot à la limite de la légalité, ou lié à des sortes d’économies informelles et souterraines.
Les petites mains d’un collège invisible
Les “ramasseurs de fer” font en fait partie intégrante du paysage urbain. Les voleurs décrits dans les médias qui détruisent les infrastructures ou les objets en place éclipsent bien souvent les récupérateurs plus discrets. Ces petites mains forment une sorte de collège invisible et très bien organisé. Ces membres sillonnent nos cités pour les débarrasser des encombrants laissés dans les rues ou trier les différents déchets laissés en vrac dans les poubelles et autres bacs.
Ce sont ces ferrailleurs des temps modernes qui m’intéressent tout particulièrement et que je croise régulièrement. On en voit ici et là avec les quelques exemples ci-dessous provenant de mes pérégrinations, respectivement à Istanbul (Turquie), Madrid (Espagne), Séville (Espagne) et Paraty (Brésil).
Les exemples que je prends volontairement ici témoignent de l’existence de ce phénomène dans toutes sortes de contextes : des grandes agglomérations européennes (Madrid, Istanbul) à des petites villes sud-américaines. Si je n’ai pas de photos de France, cela ne signifie pas que l’on ne retrouve pas ce type de pratique dans nos contrées.
À la recherche du “fer mort”
Que voit-on sur ces photos ? D’abord des véhicules sommaires, des caddies à la carriole, transportant toutes sortes de débris trouvés dans les rues ou sortis de poubelles : câbles jetés, ordinateurs laissés dans les rues, téléviseurs abandonnés, vieux cadenas et vélos rouillés… Tout y passe et tout est bon à récupérer. Les véhicules en question révèlent d’ailleurs le caractère quasi anachronique d’une telle activité (tout du moins en décalage avec des formes plus institutionnelles de récupération). Dans sa représentation la plus visible, le ramassage informel de métaux, activité qui apparait miséreuse, ne se fait pas avec des moyens très modernes.
Ces acteurs urbains très discrets ne démantèlent pas l’existant. Ils sont plutôt en effet à la recherche de “fer mort” comme le décrit Moussa Touré dans cette dépêche d’agence : « c’est-à-dire le fer qui ne peut plus être utilisé par les mécaniciens et autres utilisateurs qui s’en débarrassent ». Une variante du promeneur de plage avec son détecteur de métaux en quelque sorte.
L’équivalent du bataillon d’utilisateurs de Wikipedia
Cette recherche du “fer mort” doit être considérée comme une manière de contribuer à l’évolution de l’espace urbain. On peut la lire comme une forme de participation limitée visant à la fois à débarrasser les rues d’encombrants mais aussi à recycler les produits dont les citadins se débarrassent. C’est peut être cela au fond la “ville 2.0” ou la ville participative contemporaine. S’il fallait faire une analogie avec la culture numérique, on pourrait dire que ces ferrailleurs sont l’équivalent du bataillon d’utilisateurs de Wikipedia qui contribuent de manière minimale en corrigeant les fautes d’orthographe. Sans eux, la qualité de l’encyclopédie serait bien moindre !
Une telle attitude montre bien qu’une ressource peut être “morte” pour une certaine catégorie d’acteurs mais bel et bien utile pour d’autres. Le tout évidemment sous-tendu par la perspective d’échanger des rebuts contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Car la phase de ramassage n’est qu’une composante de ce phénomène. C’est la partie visible de l’iceberg… avec sa face moins connue d’économie souterraine et de marché aux métaux usagés.
C’est peut être là que réside la nuance avec les correcteurs de fautes d’orthographe sur Wikipedia : ces ferrailleurs n’ont pas de but collectif supra-ordonné (comme l’embellissement des rues) puisque c’est l’appât du gain qui les motive.
Quoi qu’il en soit, peut-on dire que ces ferrailleurs contribuent à la “bonne santé” de la ville ? S’agit-il d’une forme légitime de participation à la vie de la cité ? Et ce malgré le côté miséreux ou anachronique des ramasseurs de métaux… À minima, ces observations nous rappellent qu’il n’y a pas de petits profits et que l’espace urbain est un écosystème respectant la maxime de Lavoisier :
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
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Toutes les photos sont de Nicolas Nova, sauf la dernière, de Philippe Gargov.