[ Et voici la conclusion tant attendue : après six chroniques consacrées au décryptage des grandes figures « ludotopiques » (ici), l’heure est au bilan, et à la prospective… Article original à lire sur le magazine de la Gaîté Lyrique, qu’on remercie encore pour l’accueil de ces six tribunes en parallèle de l’exposition Joue-le jeu ! ]
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Combinant les qualités des deux parents, ces hybrides réussissent surtout à résoudre le paradoxe qui en découle : comment faire coïncider l’exigence d’immersivité fictionnelle, propre aux jeux vidéo, avec le triste réalisme qui définit la ville ?
La ville, terrain de jeu du citadin
Pour être tout à fait honnête, rappelons que la naissance des premiers enfants ne date pas d’aujourd’hui. Depuis plusieurs années maintenant, l’urban gaming se fait désirer, avec plus ou moins de concrétude. Certes, l’arrivée de nouveaux modèles plus performants (iPhone 4G, entre autres), mais aussi de nouveaux terminaux (tablettes tactiles), ouvre un peu plus le champ des possibles quant aux manières d’inscrire le jeu dans l’espace de la cité.
Mais, faute de technologies encore suffisantes, le jeu géolocalisé reste pour l’heure cantonné à quelques modèles assez conventionnels : chasse au trésor, etc. Surtout, ces jeux font encore figure de parent pauvre du Dixième Art, en terme d’immersivité (design graphique et sonore, interfaces, voire même gameplay lui-même, etc). Jouer partout, n’importe quand : oui, encore faut-il que le jeu soit à la hauteur ! Évidemment, cela n’empêche en rien le plaisir ludique, et certains jeux s’en sortent haut la main (exemple avec le très soigné MeatSpace Invasion, co-réalisé par Matthieu Castelli, un pionnier du genre)
Mais on regrettera une offre encore trop limitée pour répondre véritablement aux promesses annoncées. De surcroît, le jeu « urbain » oublie parfois qu’il est en droit de s’affranchir des terminaux mobiles. On s’inspirera par exemple de la campagne Yahoo! Bus Stop Derby, menée en partenariat avec l’opérateur Clean Channel, qui proposait aux citadins quelques jeux sommaires en attendant le bus, les points étant cumulés à l’échelle du quartier. Une initiative qui, à défaut de proposer des jeux véritablement séduisants, aura su prouver le potentiel de ce médium pour les acteurs de la ville, la diminution du temps d’attente perçu étant un levier d’attractivité des transports publics.
Le jeu, médium d’appropriation urbanistique
Autre enjeu majeur de cet hybridation : les qualités d’immersion propres au jeu vidéo peuvent offrir de belles perspectives en termes d’appropriation de la ville, en tant qu’interface. C’est, encore une fois, une promesse vieille de plusieurs années. On a déjà cité Participatory Chinatown, l’un des nombreux serious game à visée urbaine s’appuyant sur des environnements 3D au rendu réaliste. De même, de nombreuses simulations «statisticiennes » de la ville voient le jour, souvent portées dans le cadre d’une campagne de communication (IBM, British Petroleum, etc).
Au-delà de ces exemples assez standards, d’autres croisements plus complexes voient le jour, qui exploitent pleinement les nouvelles fonctionnalités des terminaux récents. L’ouverture du Kinect au hacking a par exemple permis aux bidouilleurs rennais du BUG de développer uneinterface de navigation cartographique basée sur le mouvement du corps.
D’autres projets s’inscrivent dans cette même veine, déployant les compétences des développeurs au profit d’une meilleure appréhension de l’espace urbain : cartographies, maquettes 3D, ou pourquoi pas villes imaginaires. Ainsi, l’implication d’Ubisoft dans le projet Villes sans limite, qui n’est pas un jeu à proprement parler, souligne bien ce que pourraient apporter les acteurs du jeu vidéo au monde urbanistique. Son héritier Evolving Cities, présenté cet été à Futur en Seine, se rapproche d’ailleurs un peu plus d’un jeu vidéo traditionnel.
Ludotopies, nouvel horizon créatif
Enfin, n’oublions pas les représentations cartographiques, enjeu majeur de la ville et élément gameplay au cœur de tout jeu prenant pour décor un territoire urbain, et qui mériteraient un sujet à part entière. Par leurs importances respectives, ces deux sujets gagneraient tout à se croiser sans cloisonnement [NDLA : ce que nous avons baptisé « Ludotopies », les territoires du jeu vidéo et leur intégration dans la ville]. À quoi ressembleraient nos mobilités si les gamers cartographiaient le monde ? Là encore, les nouveaux terminaux se proposent comme terrain fertile d’innovation – en s’inspirant plus particulièrement des war games, pourquoi pas ?
Reste à faire le plus difficile : réussir à rapprocher davantage les acteurs des deux milieux, en leur montrant ce qu’ils pourraient apporter au camp d’en face. Si le dialogue est déjà bien entamé, il reste encore du chemin à parcourir pour décoller du jeu vidéo cette étiquette de gadget qui lui colle encore à la peau, frein éternel au développement de croisements prolifiques. C’est aussi le rôle d’un parcours-exposition tel que Joue le jeu, qui contribue à la démocratisation du genre auprès du grand public et des professionnels. Soyons donc optimistes : fini le temps des promesses inassouvies, ce mariage est inévitable. Ce que le jeu pourra apporter à la ville en termes d’immersivité, elle le lui rendra en crédibilité.