Alban Leloup est belge, et ça en dit déjà long. Ni architecte, ni urbaniste, il est professeur de Français (de formation), mais les beaux horizons urbains le fascinent. Il aime l’Histoire, les arts, la fantasy, le space opera, et les pâtes fraîches.
Coruscant, ultime phantasme de plus d’un amateur de gratte-ciels et autres monuments grandioses, faera ci-dessous l’objet d’une observation urbanistique détaillée… Inspirée à la fois par l’art déco et le « raygun gothic » du Metropolis de Fritz Lang, cet archétype de la ville-monde se situe au cœur de la galaxie Star Wars, au sens propre comme au sens figuré.
Si Coruscant aurait déjà dû apparaître dans Le Retour du Jedi en 1983, il a finalement été décidé de transférer toute l’action à bord de la seconde Étoile de la Mort. Par conséquent, les premières images de Coruscant sont apparues plus tard, en 1995 dans The Illustrated Star Wars Universe, tome écrit par K. J. Anderson et richement illustré par Ralph McQuarrie et de nombreux autres artistes. Plus tard, lorsque Lucas s’est attelé à l’Édition spéciale du Retour du Jedi qui devait sortir en 1997, il décida d’y insérer une brève vue de la ville-monde. Cet ajout devait servir de test pour l’imagerie qu’il utiliserait dans Épisode I: La Menace Fantôme, où la planète capitale allait jouer un rôle important. C’est en s’inspirant des concepts de McQuarrie que les employés d’ILM, dont Doug Chiang et Robert Barnes, ont alors créé les vues vertigineuses et les horizons chargés qui apparaissent aujourd’hui dans cinq des huit films de la franchise.
C’est parce qu’elle est devenue l’un des archétypes urbains imaginaires les plus emblématiques de la pop-culture contemporaine que le guide urbanistique qui suit se devait un jour de figurer dans ces colonnes. Comment, donc, ce mastodonte urbain est-il organisé ? La Cité galactique est-elle quadrillée de façon régulière ? Comment y vit-on, comment s’y déplace-t-on ? Si vous ne craignez pas de tomber d’une plateforme, je vous emmène en voyage virtuel sur Coruscant. La navette décolle dans… un saut de ligne !
Une œcuménopole dans la galaxie
« Coruscant. La planète entière est une immense ville. »
C’est en ces termes que Ric Olié, membre de l’Escadron Royal Naboo et grand amateur d’enfonçage de portes ouvertes devant l’Éternel, nous présente le joyau central des Mondes du Noyau dans Star Wars : Épisode I La Menace Fantôme, alors même que son paysage emblématique se dessine sous nos yeux. N’ayons pas peur d’employer un mot rare – à bon escient, bien entendu : Coruscant est un exemple archétypal d’œcuménopole, ou « ville-monde », concept d’urbanisme prospectif qu’on doit à l’architecte grec Konstantinos Doxiadis. Techniquement, « Coruscant » désigne la planète elle-même, alors que la ville qui en recouvre la quasi-totalité s’appelle la Cité galactique (rebaptisée la Cité impériale après la Guerre des Clones). Mais dans la pratique, la distinction paraît relever de la pédanterie, tant le corps céleste et le bâti se confondent parfaitement.
Coruscant en calculs : surface urbaine et population
Avec un diamètre de 12240 kilomètres, Coruscant doit avoir une surface totale approchant les 470.665.871,54 km², à une vache (ou plutôt un troupeau) près, puisqu’une planète n’est jamais parfaitement sphérique. Sachant que les calottes glaciaires, seules sources d’eau de surface toujours visibles, occupent 29% de la surface planétaire, nous pouvons en conclure que la Cité galactique recouvre 71% de la planète, soit 334.172.768,7934 kilomètres carrés. Pour vous donner une idée, c’est plus de 20 000 fois la superficie de Pékin.
La population totale de Coruscant étant d’à peu près 1 trillion (c.-à-d., dans un contexte anglophone, 10^12, soit mille milliards), ça nous donne une densité de population de 2992 habitants par km². Par comparaison, New York City avait en 2015 une densité de population correspondant à 10,831.1/km^². contre 21,000/km^2 pour Paris en 2013. En d’autres termes, la densité de population sur Coruscant semble anormalement faible, située quelque part entre celle de Pau et celle de Tarbes. Néanmoins, il parait vraisemblable que ce trillion ne reprenne que la population permanente. Il est en effet impossible d’estimer combien de touristes, de diplomates en visite, d’hommes d’affaires, de magnats de la finance, de lobbyistes, d’artistes et de savants passent du temps sur Coruscant (sans y avoir leur résidence permanente et officielle), mais leur nombre est certainement très élevé. En outre, il paraît vraisemblable que la population des bas-fonds soit aussi nombreuse que peu ou mal recensée…
Le palimpseste à grande échelle
En dépit de l’apparence moderne de ses bâtiments, la Cité galactique est tout sauf récente. À l’époque « contemporaine » (celle où se déroulent les films), cela fait plusieurs millénaires que la ville sert de capitale galactique. Elle est le produit de nombreux siècles de croissance lente, et n’a donc rien d’une ville nouvelle soigneusement planifiée. Au fil du temps, des sections entières de cette ville interminable ont été construites, démolies, reconstruites, démolies, puis reconstruites à nouveau. Nous verrons toutefois qu’il existe malgré tout un quadrillage et une certaine forme d’unité stylistique.
Un maillage sur tout l’horizon
La Cité galactique est divisée en plusieurs milliers de « quadrants » auxquels sont attribués des coordonnées officielles et, souvent, un surnom officieux. Par exemple, il y a le quadrant H-46, mieux connu sous le nom de Sah’c Ville.
Sah’cville
Ces quadrants sont divisés en « secteurs » numérotés (aussi appelés « districts » ou « zones »), eux aussi dotés d’un surnom moins formel. Ainsi Sah’c Ville possède ses secteurs réservés respectivement aux activités sénatoriales, financières, et industrielles.
Verticalité vertigineuse et moeurs stratifiés
Mais surtout, Coruscant est divisée verticalement en niveaux. Le niveau 0, qu’on n’a certainement plus vu depuis très, très longtemps, correspond au niveau du sol naturel. À l’époque de la Guerre des Clones, le niveau le plus élevé porte le numéro 5127. Les niveaux inférieurs ou « bas-fonds », qui incluent au moins jusqu’au niveau 2685, sont pollués, totalement privés de lumière naturelle, et dominés par le crime et la pauvreté. Les niveaux les plus anciens sont même réputés complètement inhabitables, et l’on n’y trouve plus que des mutants (goules des couloirs et autres troglodytes) ou des charognards. En outre, alors que les niveaux supérieurs disposent d’airs filtrés et propres, adaptés aux besoins de différentes espèces, les habitants des bas-fonds doivent respirer les émanations toxiques des usines. En fonction des zones, la lumière y est soit totalement absente, soit complètement artificielle et nocive pour la vue.
On comprend donc que, sur Coruscant, la classification sociale se manifeste non pas à travers l’éloignement ou la proximité du « centre-ville », mais à travers la place qu’on occupe dans la stratification verticale. Ce qui, du reste, est parfaitement logique puisqu’une ville occupant presque tout un globe ne peut pas avoir de « centre » au sens géographique du terme…
Niveau 1313 (bas-fonds)
Vous l’aurez compris, la vie quotidienne des habitants de la Cité galactique varie énormément en fonction des étages. En bas, la mort, la maladie ; en haut, le calme et le luxe. Mais au fond, il y a tout de même un triste principe qui s’applique à tout les étages : sur Coruscant, où que l’on vive, c’est chacun pour soi, et la Force pour tous. Certes, les pauvres doivent vivre de rapines, toujours sur le qui-vive, jamais à l’abri d’une rencontre avec de dangereux mutants. Mais les élites ne sont pas forcément mieux loties, quoi qu’elles en pensent. Il règne sur les beaux niveaux une autre forme de violence, politique celle-là ; on y joue des coudes, on s’y regarde en chien de faïence, on s’y bat et on s’y trahit pour des faveurs. En dépit de tout le prestige dont elle jouit, la belle Coruscant ne constitue pas un environnement bienveillant.
L’art (décoratif) du gratte-ciel
Le paysage coruscanti se constitue, comme on l’a vu, d’une véritable forêt d’édifices étagés, c’est-à-dire de gratte-ciels. Mais nombre de ces bâtiments culminent à 6000 mètres (20000 pieds) ; à ce niveau-là, ils ne grattent pas le ciel, ils le griffent. Pour rappel, le plus haut immeuble « mega tall » construit sur Terre à ce jour est la tour Burj Khalifa à Dubaï, qui ne mesure « que » 828 mètres, ou 829,8 si on compte l’antenne.
La ligne directrice de Lucas pour Coruscant, c’est l’art déco. L’architecture art déco a connu deux grandes phases : la géométrie angulaire dans les années 1920, et le style curviligne et aérodynamique (dit « streamline ») des années 1930. Or, comme les choses sont bien faites, on trouve justement sur Coruscant des exemples correspondant parfaitement à ces deux phases. On apprend que les bâtiments plus anciens, dont la structure est en « durabéton » (l’équivalent de notre béton armé), sont faits de volumes parallélépipédiques et anguleux. Les plus modernes, tout en « transparacier » (un alliage métallique partiellement transparent), affichent des silhouettes élancées, dont les angles sont arrondis ou coupés.
Notons toutefois que deux monuments importants se démarquent de ce double modèle. D’une part, nous avons le Temple Jedi, constitué d’une ziggourat (ou pyramide à étages) couronnée de cinq minarets. Cet édifice très ancien doit sa forme caractéristique à son emplacement, puisqu’il a été construit autour d’une montagne sacrée dont les pentes sont toujours visibles depuis l’intérieur de la pyramide. Au fil des millénaires, le Temple s’est développé couche par couche, chaque nouvelle muraille venant reléguer l’ancienne au rang de paroi intérieure.
À quelques encablures de là se dresse la grande Rotonde du Sénat. Bien que de taille modeste, comparé aux nombreuses bâtisses multikilométriques, cet étrange bâtiment en forme de champignon se paie le luxe de s’élever sur une vaste rue dégagée et bordée de statues filiformes, l’Avenue des Fondateurs du Noyau. Sur une planète où l’espace se fait rare, difficile d’imaginer plus grande marque de prestige.
Arcologiques d’autosuffisance ?
Beaucoup de griffe-ciels importants sont des « arcologies » (ou « monades »), c’est-à-dire des immeubles autonomes du point de vue énergétique et où vivent des populations de taille équivalente à certaines de nos villes. Notamment, le COMPORN (Comité pour la Préservation de l’Ordre Nouveau) et toutes ses sous-agences sont logés dans une arcologie, dans le District fédéral (niveau 5127).
C’est un concept que l’on doit à l’architecte et écrivain italo-américain Paolo Soleri, qui cherchait à théoriser un mode de vie urbain plus efficace. Notons bien que, poussé jusqu’au bout, le concept de Soleri implique qu’une arcologie doit également produire sa propre nourriture. Mais nous savons que ce n’est pas le cas sur Coruscant, et que toute la planète dépend des importations pour ce qui est des matières premières. En revanche, la présence de nombreuses usines suggère que la planète exporte des produits transformés et de la technologie en échange.
Soleri’s hyper-building (Crédits to Cosanti Foundation)
L’approvisionnement des griffe-ciels en nourriture et autres biens solides est effectué par de gros véhicules roulant à basse vitesse, qui voyagent continuellement à travers un réseau de voies prévues à cet effet et localisées dans les niveaux inférieurs. Ce système sert également à évacuer les déchets avant qu’ils ne soient, en fonction de leur nature, acheminés vers des usines de recyclage, ou projetés dans l’espace.
Une cité-planète principalement circul’air
Puisque le niveau du sol est la plupart du temps inaccessible, la circulation sur Coruscant est essentiellement aérienne. De fait, le ciel est constamment saturé de véhicules en tous genres, qu’il s’agisse de taxis volants, d’airspeeders privés, voire d’énormes transports de passagers ou même d’hôtels ambulants. Il existe diverses strates de trafic, et la navigation automatique y est de rigueur. Piloter son véhicule soi-même relève souvent du suicide.
Nous l’avons vu, au moment d’aborder le Temple Jedi et le Sénat, les places existent tout de même. En outre, certains immeubles sont reliés par des passerelles. Certaines sont très larges et constituent de véritables rues ou avenues. Les trottoirs roulants n’y sont pas rares, pour le plus grand bonheur des mollets paresseux.
Diverses plateformes, publiques ou privées, permettent aux vaisseaux de se garer, sans quoi ils seraient condamnés à errer sans but. Certains quartiers, toutefois, ne sont accessibles que par des tunnels aériens. Parfois, ces tunnels servent de raccourcis, permettant de passer à travers des bâtiments dont l’accès est interdit au public (comme des zones gouvernementales ou bancaires de haute sécurité), voire de bâtiments qui ont été construits au mépris du bon sens urbanistique et bloquent les voies de circulation aérienne normales.
Naturellement, la ville est veinée d’un réseau de turboascenseurs capables de circuler verticalement comme horizontalement. Bien sûr, certains de ces ascenseurs ont un accès limité, afin d’éviter que les habitants des bas-fonds ne puissent remonter dans les beaux quartiers…
Changement de style
Comme nous l’avons vu plus tôt, il s’amorçait déjà dans les dernières décennies de la République une évolution stylistique tendant vers la disparition des courbes et des lignes élancées. Naturellement, ce changement de paradigme n’a fait que s’amplifier avec la Guerre des Clones, conflit pangalactique fantoche dont les belligérants servaient tous – sans le savoir – les intérêts des Sith. L’architecte de cette évolution, au sens propre comme au sens figuré, fut Orson Krennic (interprété récemment par Ben Mendelsohn dans Rogue One: A Star Wars Story), surtout connu pour avoir porté à bout de bras la construction de l’Étoile noire pendant plus de vingt ans.
L’exemple le plus emblématique de ce style nouveau est sans conteste le Centre des Opérations militaires, principale base de la Grande Armée de clones de la République. Des tubes cylindriques qui pendent des plafonds aux panneaux gris qui recouvrent les corridors austères, on y retrouve déjà toutes les caractéristiques de la future architecture impériale, que la version originale de Rogue One: Le Guide visuel ultime qualifie de « brutaliste »1. L’idée du brutalisme, c’est de proposer des formes géométriques et anguleuses, en béton « brut de décoffrage », sans fard ni fioritures. Si ses partisans y voient une manière de repenser notre rapport à la matière, ses détracteurs lui reprochent une rudesse, voire une laideur écrasante, et d’aucuns la qualifient même de fascisante. Je laisse à chacun le soin de se forger sa propre opinion à ce sujet !
Fascination et répulsion
Une fois qu’on a vu les multiples visages de la Cité galactique, on comprend ce qu’elle peut tout à la fois avoir d’attirant et de repoussant. Comment, en effet, un amateur d’architecture pourrait-il renier cette formidable entreprise ? Difficile de ne pas s’émerveiller à la vue de ces griffe-ciels élancés et scintillants, des minarets effilés du Temple Jedi, ou encore du dôme bronzé de l’atrium du Sénat. Mon enfant intérieur s’extasie devant tout ce qui est grand, tout ce qui brille comme des étoiles dans le ciel ou des décorations sur le sapin de Noël.
Mais d’un autre côté, comment nier l’échec que représente Coruscant d’un point de vue sociétal, économique, et environnemental ? Malgré ses arcologies, la planète est tout sauf autonome, ses attributs naturels ont complètement disparu sous des kilomètres de permabéton, et le clivage socio-économique y est épouvantable. En vérité, la fascination évoquée plus haut ne vous concerne vraiment que si vous êtes Simon Greyshade, sénateur du secteur Vorzyd, habitué à partager vos journées entre votre penthouse climatisé, l’arène du Sénat, et l’Opéra Galaxies. Si en revanche vous êtes plutôt Pol’Vida, petit mendiant Twi’lek atteint par la fièvre bybbec, vous serez obligé d’affronter quotidiennement les mutants troglodytes des bas-fonds pour un misérable boisseau de chokie séché. On est en très loin des villes idéales et intelligentes dont ont rêvé Soleri et tant d’autres !
Qu’en conclure, sinon qu’il vaut sans doute mieux visiter Coruscant qu’y vivre ? Je ne sais pas vous, mais si je devais m’installer quelque part dans la galaxie Star Wars, cette cité-planète grandiloquente ne serait pas mon premier choix. Que diriez-vous de Naboo, Alderaan, ou encore la Cité des Nuages ? Allez, si l’occasion se présente, je vous y emmènerai un jour. Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas, mais vous aurez moins le vertige.
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Pour aller plus loin…
Beaucoup de sources nous en apprennent davantage sur le Joyau des Mondes du Noyau. Cependant, il faut se rappeler que nombre d’entre elles appartiennent désormais à la continuité « légendaire » de Star Wars, c’est-à-dire qu’elles ne « comptent » plus suite au rachat de la franchise par la Walt Disney Company. Si vous voulez vous en tenir au canon actuel, je vous renvoie à Star Wars : Les Lieux emblématiques, dont la version française fut publiée en 2016 chez Hachette Pratique. Si le statut canonique des sources vous indiffère, je vous recommande chaudement The Illustrated Star Wars Universe, ouvrage superbement illustré, mais déjà ancien (1995) et jamais traduit en français.
- Fameux mouvement architectural moderniste né dans les années 1950 et inspiré des travaux de Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier [↩]
Je suis écrivain et me suis inspiré de votre site en ce qui concerne quelques articles de mon dernier ouvrage (le septième), à paraître dans les prochains jours sur mon site :
http://www.archanges-apocalypse.fr
Bien à vous.
Cordialement…
Génial ! J’ai toujours éprouvé une fascination vis-à-vis de Corsucant…. Ses vues à couper le souffle, ses griffe-ciels immenses, … Wahou ! Cependant, je trouve que l’aspect « bas-fonds » et « crise socio-économique » casse un peu l’image que j’ai de Corsucant… Je préfère ne pas y croire ! En contre exemple de cela, je garde toujours en tête ce petit bar tenu par un Besalisk tout sauf riche à Coco-Town, en pleine matinée (vraiment pas perdu dans des abysses de bétons et de pauvreté qui prive la lumière et l’espoir d’arriver jusque là).
A plus !