Avec tout le respect dû aux autres disciplines urbaines, force est de constater que la géographie est clairement la plus captivante. Trop souvent résumée à du « coloriage de carte » et à une connaissance encyclopédique des capitales du globe, la géographie n’a malheureusement jamais vraiment reçu la reconnaissance qu’elle méritait – faisant des géographes les grands martyrs de notre siècle… Rien que ça1.
Face à ce constat, depuis cinq ans pop-up urbain s’indigne avec véhémence. Et comment mieux réhabiliter la géographie, qu’en montrant à quel point elle peut être fraîche et pimpante ? Et plus exactement en soulignant la place qu’occupe l’un de ses principaux médiums, à savoir la cartographie, dans la culture populaire ? C’est probablement le même sentiment d’injustice qui a conduit notre complice Bénédicte Tratnjek à lancer un journal de veille consacré aux imaginaires de la géographie, que nous vous recommandons évidemment chaudement en complément de cette petite sélection d’article piochés dans nos archives… Il fallait au moins ça pour montrer au reste du monde qu’à l’instar de Monsieur Jourdain, nous faisons tous de la géo sans le savoir.
Passion oblige, les jeux vidéo sont largement sur-représentés dans cette collection de billets. Comme en témoigne l’un de nos premiers articles au titre sans équivoque… qui déjà posait les bases de nos candides ambitions, en dignes géographes biberonnés aux pérégrinations vidéoludiques. Premier d’une longue série, nous avons depuis exploré les facettes des cartographies virtualisantes sous toutes leurs coutures, ou presque. Inutile de vous résumer chaque article, nous préférons vous laisser chiner ceux qui vous inspireront le plus !
Mais le plus intéressant, dans ce flot d’interfaces géographiques, réside dans l’utilisation qui en est faite au sein du « monde réel ». A l’instar du service de GPS collaboratif Waze qui, dès ses premières heures, s’inspirait de mécanismes vidéoludiques pour développer son service – avec plus de 70 millions d’utilisateurs à travers le monde, on peut aisément parler d’hybridation réussie.
Le mariage entre pop-culture et géographie ne se limite évidemment pas aux jeux vidéo. Les codes visuels et ergonomiques de la « géographie 2.0 », portée par Google Maps et ses multiples avatars, ont évidemment considérablement irrigués les imaginaires de la cartographie contemporaine. Les cartes dédiées ont d’ailleurs fait florès à l’époque, à l’image de cette géographisation du hip-hop proposée à l’époque par Rap Genius.
Plus étonnante encore, cette superbe publicité reprenant les principes visuels de Google Street View avec une inventivité confondante, véritable ode aux cultures urbaines qui révélait alors les horizons les plus foufous de la cartographie numérique… Heureusement ou malheureusement, rien de tout cela ne s’est vraiment concrétisé aujourd’hui…
De même, la sublimissime série Community s’était emparée des codes de la géolocalisation en réalité augmentée, à l’époque embryonnaire (les moqueurs diront que c’est toujours le cas…), dans un superbe pirouette comique qui préfigurait l’avènement d’une humanité véritablement ubiquitaire.
Voilà qui nous emmène, doucement mais sûrement, sur les chemins de la science-fiction. Et les plus malin.e.s d’entre vous auront peut-être remarqué que nous avons finalement assez peu traité de la cartographie dans sa version touristique, alors que la SF est évidemment particulièrement prolixe sur le sujet… Comment l’expliquer ? Peut-être est-ce simplement dû au fait que les interfaces géographiques, au moins dans les grands blockbusters du genre, se ressemblent tous un peu. Et c’est peut-être aussi pour ça que la seule carte que nous avons mentionnée provient de Pitch Black, premier film de la saga Riddick, pour une raison que vous comprendrez bien vite à la lecture du billet suivant.
Davantage que la science-fiction, c’est dans le fantastique que nous sommes allés chercher la plus belle « réinvention cartographique » que nous ayons trouvé à ce jour. Le nom de l’oeuvre qui nous aura inspiré est sur toutes les lèvres, évoquant un célèbre sorcier à lunettes vivant dans notre Europe contemporaine. Comment J.K. Rowling a-t-elle traité la géolocalisation dans son univers magique ? La réponse est non seulement brillante, mais en plus carrément disruptive : car elle ouvre la voie à un monde à ce point « géographisé » que la carte en devient invisible, à force d’être diluée dans nos terminaux personnels et accessibles en permanence.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est sûrement le destin de la géographie que de s’effacer dans la ville de demain, pour ne finalement faire plus qu’un avec elle.
- Note : il se trouve, drôle de coïncidence, que l’auteur de ces lignes est géographe de formation. [↩]
Jorge Luis Borges
DE LA RIGUEUR DE LA SCIENCE
En cet empire, l´Art de la Cartographie fut poussé à une telle Perfection que la Carte d´une seule Province occupait toute une ville et la Carte de l´Empire toute une Province. Avec le temps, ces Cartes Démesurées cessèrent de donner satisfaction et les Collèges de Cartographes levèrent une Carte de l´Empire, qui avait le Format de l´Empire et qui coïncidait avec lui, point par point. Moins passionnées pour l´Etude de la Cartographie, les Générations Suivantes réfléchirent que cette Carte Dilatée était inutile et, non sans impiété, elle l´abandonnèrent à l´Inclémence du Soleil et des Hivers. Dans les Déserts de l´Ouest, subsistent des Ruines très abimées de la Carte. Des Animaux et des Mendiants les habitent. Dans tout le Pays, il n´y a plus d´autre trace des Disciplines Géographiques.