On s’attaque aujourd’hui à l’un des sujets prospectifs les plus subversifs, à savoir celui de la légalisation des drogues. En apparence, cette question législative ne constitue pas le plus « urbain » des débats de société, et pourtant… Comme nous allons le voir, la question est en réalité étroitement liée à des enjeux spatiaux et de mobilité qui nous concernent au premier plan.
En effet, les questions de législations des drogues constituent un horizon prospectif de choix dans l’avenir de nos urbanités. La légalisation de la vente de certains produits stupéfiants peut ainsi engendrer un vaste ensemble de transformations sociales, économiques… et urbanistiques.
Lorsqu’une industrie devient légale, le système sur lequel il repose se verra nécessairement bouleversé, donnant lieu à des pratiques différentes et inédites. Si les trafics illégaux existent en ville de diverses manières, leurs usages et leurs représentations évolueront d’une autre manière dès lors qu’ils y seront autorisés. Et c’est particulièrement au niveau de l’expérimentation et de la gestion de l’espace que tout peut changer.
En effet, l’univers de la drogue donne lieu à des pratiques mobiles (ou immobiles) révélatrices du rapport entretenu par une société aux diverses substances stupéfiantes. Pour le dire d’une autre manière : un lien fort semble se dessiner entre drogues et mobilités, et c’est toute la question qui nous intéresse aujourd’hui. Suit donc ici un florilège de ce tandem socio-spatial intimement lié aux substances stupéfiantes : sédentarité VS nomadisme dans l’ensemble des pratiques de la drogue. Tour d’horizon des (im)mobilités stupéfiantes.
Figé ou fugitif : un vocabulaire évocateur
« Esa droga poderosa que circula en la ciudad / Y los dueños de la plaza no la pudieron parar »
(Cette drogue court les rues à travers toute la ville / Et personne ne pourra jamais l’arrêter)
Breaking Bad song « Negro y azul : The Ballad of Heisenberg«
Les drogues représentent avant toute chose une industrie et un marché (dits de l’ombre) qui, comme tous les autres, se composent à la fois de flux (humains et financiers), ainsi que de divers lieux de production, de distribution et de consommation.
Si une partie des hauts lieux de production/consommation de la drogue peuvent être localisés (plus ou moins précisément) sur une carte, on représentera plus rigoureusement les enjeux économiques de la drogues par un schéma dynamique, et notamment par des flux. A ce propos, la sémantique relative à l’ensemble du trafic de drogue parle de lui-même puisque l’on évoque généralement son « réseau », son « trafic« , ses « mules » et autres « passeurs », ou encore ses « routes« , vocabulaire intimement lié à la circulation et au mouvement.
D’un autre point de vue, les différentes branches du narcotrafic seront sémantiquement plus ou moins liées à cette notion de mouvement puisque d’un côté on parle de « spots » ou de « supermarchés de la drogue » pour définir les lieux de vente effectifs de stupéfiants. Le champ lexical évoque plutôt ici la localisation fixe, des points de rendez-vous et non plus des flux. Pourtant, si les dealers seront ici perçus comme des personnes sédentaires, les consommateurs devront, eux, se déplacer pour se fournir en psychotropes.
Une carte établie à partir des coordonnées de l’ensemble des pochons vides (ayant transporté de la marijuana), trouvés par terre à Londres et réunis par un certain Dan en décembre 2013 (Agrandir)
C’est d’ailleurs ce qu’évoquait un « crash test » de deux spots du cannabis en Île-de-France publié il y a trois ans par le magazine StreetPress. En effet, les jeunes journalistes nous rapportaient leur témoignage suite à une expérimentation de deux points de vente de cannabis – mis en concurrence pour l’occasion – dans des cités HLM de Nanterre et Saint-Ouen.
Dans la peau d’un dealer (casanier ?)
« Yo this is my corner, I ain’t runnin’ nowhere ! »
Bodie (The Wire)
Le petit revendeur de drogue serait donc en partie caractérisé par sa sédentarité. Du moins, il représente l’un des modèles classiques du dealer local. Ainsi, c’est notamment ce que l’on peut observer à l’échelle d’un quartier, d’une cité, voire d’un coin de rue.
C’est un phénomène que l’on a pu en partie observer à travers l’excellente série américaine The Wire (Sur Ecoute, pour la vf) de David Simon. Petit rappel pour ceux qui n’ont pas encore eu la chance de visionner ses cinq inégalables saisons (2002-2008), The Wire traite de la criminalité à Baltimore et des différents rapports de force qui s’y déroulent (du petit dealer au maire de la ville).
Pour bien des personnes, la série est volontiers considérée comme un chef d’oeuvre de la pop-culture, soulignant son « réalisme » quasi-documentaire inimitable. En effet, pour restituer au mieux la réalité sociale de cette ville du nord-est américain, des sociologues et des anthropologues urbains ont « vécu dans les quartiers de Baltimore pour faire leurs observations, puis ont participé à la rédaction des scénarios ».
Globalement, les dealers des ruelles de Baltimore apparaissent effectivement assez sédentaires, du moins à l’échelle d’un quartier ou de certaines rues. La répartition des territoires entres les différents concurrents de ce business informel se faisant ainsi généralement selon un découpage relativement clair de rues et de quartiers.
« This here game is more than the rep you carry, the corner you hold. You gotta be fierce, I know that, but more than that, you gotta show some flex, give and take on both sides » (Stringer à Bodie, The Wire)
C’est ce que symbolise le terme anglophone « corner » (le coin de rue) pour désigner le lieu de vente fixe des petits dealers. Si l’expression n’est pas rare dans la bouche des personnages de la série The Wire, on la retrouve directement comme titre d’une autre série sortie en 2000 et elle aussi créée par le même David Simon (et toujours tournée à Baltimore !)…
Toutefois, ces petits dealers « de quartier » ne sont pas à proprement parlé immobiles. Au contraire, leur organisation peut parfois se retrouver assez mouvante, que ce soit lors d’une course poursuite avec la police ou pour livrer les clients. Ainsi, si la plupart « squattent les cages d’escaliers » et autres « corners« , ce sont bien souvent les guetteurs accompagnant ces commerçants à la sauvette qui resteront à leur poste. Les dealers, eux, se chargeront plutôt de diriger discrètement les acheteurs dans une planque, à l’ombre des regards :
« Une équipe d’une dizaine de guetteurs disséminés autour de la cité jouent les agents de sécurité et indiquent discrètement le chemin à suivre. (Oui, oui c’est bien à vous que parle ce jeune à capuche quand il murmure “Escalier 3, escalier 3” en regardant ses baskets). » (cf. le crash test de StreetPress, mentionné plus haut.)
Le dealer n’est pas immobile… mais nous sommes ici encore loin du modèle globe trotteur !
Pourtant d’autres standards existent bel et bien, mais il semblerait qu’ils soient plutôt destinés aux consommations d’un tout autre goût : celle de la petite bourgeoisie urbaine. Si les journalistes de StreetPress ont fait l’effort de se déplacer dans les coins les moins raffinés de Nanterre et Saint-Ouen pour se procurer quelques grammes d’herbe, ce n’est pas une initiative que tout bon consommateur de cannabis prendrait… En effet, une autre façon de se fournir en stupéfiants existe : la livraison à domicile. Et c’est que l’on nomme communément avec humour le modèle « Allo Bédo« .
Paris, Je t’aime – Quartier Des Enfants Rouges
Dès lors, le deal peut représenter une activité tout aussi bien sédentaire que nomade. Le réseau de distribution d’un dealer varie donc selon la localisation de son implantation / de sa clientèle. Ce nomadisme représente d’ailleurs par certains aspects un enjeu capital dans la série The Wire.
En effet, tout au long de la série, le spectateur suit une équipe de police luttant avec sa hiérarchie pour se voir fournir le matériel nécessaire (et le droit) de mettre sur écoute les trafiquants de drogue sur lesquels ils enquêtent de façon rigoureuse. La démocratisation, au sein du trafic observé, du téléphone portable « jetable » (saison 1) puis l’utilisation de pigeons voyageurs (saison 4) par les dealers forment ainsi une partie des ruses « mobiles » dont usent ces derniers pour échapper à la surveillance téléphonique…
Et si on légalisait la vente de certaines drogues en France, leur système de distribution serait-il mobile ou sédentaire ? Autrement dit, choisirions-nous le modèle du coffee shop ou celui du weed truck ?
Il y a quelques années le collectif d’urbanistes décalé Deux Degrés imaginait ainsi – génialement, comme à leur habitude – un scénario original : celui de la ligne de bus aux mains des dealers afin d’optimiser la cohésion globale du trafic de cannabis.
« Le bus deviendrait une « épicerie » mobile : les dealers organiseraient un circuit pour se rendre chez les consommateurs. Ce circuit pourrait fonctionner comme une ligne de bus standard qui transporte des usagers. Fini les dealers qui squattent les cages d’escaliers, fini le risque de se faire brûler son bus et, surtout, ce serait du deal « équitable » plus respectueux de l’environnement via une réduction des déplacements en voiture. »
« Le commerce de cannabis classique »
« L’organisation d’une ligne de bus par les dealers »
Si ce papier de Deux Degrés sera avant tout perçu comme une blague (ce qu’il est), il a le mérite de soulever la question des « mobilités stupéfiantes » dans un gouvernement favorable au trafic de cannabis…
Un article de Slate nous apprenait d’ailleurs récemment que l’idée d’un véhicule dédié aux psychotropes allait peut être voir le jour prochainement sur les routes d’Allemagne. Il ne s’agit cette fois ni d’un scooter ni d’un bus… mais d’un coffee shop ambulant, aménagé dans un vieux camping car ! Les idées de Deux Degrés ne sont donc peut être pas toujours si farfelues…
Le trafiquant, homme mobile ?
Si le petit revendeur de drogue se présente avant tout comme un pion « local » et donc peu mobile, il en est tout autrement pour le trafiquant plus conséquent. C’est ainsi que s’est construit le mythe du gangster « classique », du Parrain de Coppola (1972) au Scarface de De Palma (1983).
Traditionnellement, le trafiquant de drogue cinématographique commence son ascension en partant de rien (Scarface, la jeunesse de Vito Corleone dans Le Parrain 2), et à force de réseautage et de malice, il se voit gravir les échelons de la gloire et de la richesse dans le domaine des trafics illégaux.
Si vous voulez rouler sans fin avec Walter White, la carte du road trip de l’univers de Breaking Bad existe
En effet, cette progression époustouflante se traduit généralement par la constitution d’une véritable mafia autour du héros, bâtie sur le long terme en multipliant contrats d’affaires et accords de confiance. L’expression « avoir le bras long » résume d’ailleurs parfaitement cette idée de pouvoir sans limite (notamment spatiale)…
Le trafiquant héroïque représente dès lors tout ce qu’il y a de plus mobile puisque pour sa réussite personnelle il devra nécessairement parcourir le globe. Pour qu’il s’avère incontestable, son réseau devra en effet être construit sur un sentiment de sécurité inébranlable que seule assure la rencontre en face à face (et donc le déplacement du mafioso en herbe) avec ses éventuels collaborateurs.
D’ailleurs, on remarquera le grand rôle de la voiture dans le parcours du mafieux au cinéma. Elle représentera avant tout la vitrine de sa richesse – et donc de son pouvoir, comme dans Scarface où nous assistons au moment même de l’achat de l’une de ses automobiles de luxe :
La « frime » par l’auto est le propre du dealer, qu’il traîne à Miami comme Tony Montana ou dans les rues de Baltimore comme Marlo dans The Wire… Mais ce n’est pas le seul rôle que joue la voiture dans l’univers gangster. Son coffre représente bien souvent le cercueil morbide de ses opposants, comme dans la scène d’introduction des Affranchis de Scorsese (1990). Et ce tombeau à quatre roues n’est d’ailleurs pas toujours destiné aux adversaires du grand trafiquant, mais parfois à lui-même…
Scène d’introduction du film Casino de Martin Scorsese (1995)
Au contraire, le trafiquant de drogue « bien installé » est généralement représenté comme une personne ostensiblement sédentaire. Manifestement, l’argent et le pouvoir fixent le malfaiteur triomphant. Mais, comme le signe d’une sorte d’hybris moderne, la prospérité du trafiquant de drogue se transforme rapidement en une malheureuse agonie. Ainsi, qu’il soit trop vieux pour faire des affaires (Vito Corleone) ou bien recherché par ses détracteurs (Tony Montana), le grand bandit quitte guère sa villa à la fin de sa vie…
Dans Le Parrain Vito Corleone fait des « consultations à domicile » avant de passer la main à l’un de ses fils
La fin de Tony Montana est peut être la plus emblématique de cette immobilité casanière. Assassiné à son domicile, il passe la dernière demi-heure du film avachi dans son trône de cuir, drogué et épuisé…
Manque de tempérance, trahison de ses semblables ou vieillesse naturelle causeront ainsi la perte de ces gangsters mythiques, les amenant fatalement à une inactivité décadente. Dans une autre perspective, le blanchiment d’argent peut symboliser cette sédentarisation définitive.
Lorsque Walter White, le héros de la série Breaking Bad, se voit enfin « établi » en tant que patron de la drogue dans une bonne partie du Nouveau Mexique, c’est aussi le moment où les millions générés par son trafic de méthamphétamine sont réinvestis dans une station-service des plus classiques, tenue par son épouse. Ainsi, cette couverture économique représente le symbole ultime de la stabilité sociale. Cette inertie routinière apparente incarne dès lors la contrepartie idéale à l’ensemble des flux illégaux engendrés par le trafic de drogue que conduit Walter White.
Cooking is moving
Avant de prendre les rennes du trafic, Walter White est surtout le fabriquant de « meth » – assisté de l’un de ces anciens élèves – le plus réputé d’Albuquerque. En effet, ce père de famille modèle quitte son poste de professeur de chimie lorsqu’il apprend qu’il est atteint d’un cancer. Pour financer son traitement sans mettre en péril la prospérité de sa famille, il décide dès le première épisode de « préparer » chimiquement la substance azurée pour en faire son commerce.
Au cours de la série, Walter White et son jeune acolyte changent plusieurs fois de labo pour effectuer leur cuisine illicite. Deux d’entre eux – le premier et le dernier – nous intéressent particulièrement ici.
Le premier est un labo mobile, tout bonnement niché dans un vieux camping-car. Notre duo de choc s’en va alors libérer ses fumées toxiques dans le désert aride du Nouveau Mexique :
Le second est une pure idée de Walter White, personnage fourbe et pragmatique au possible :
« Walt décide de faire appel à une société de dératisation: à chaque fois que la société prendra en charge une maison, le labo sera monté, puis démonté à la fin de l’opération, et ainsi de suite, afin de créer une sorte de labo mobile. » (Wikipédia)
L’ingéniosité du protagoniste pour fabriquer ses « cristaux » en toute discrétion l’amène ainsi à deux reprises vers une solution nomade. La fabrication synthétique constitue donc une strate supplémentaire du trafic de drogue pour laquelle les mobilités occupent une place de choix…
Fix or Speed : mobilités toxicomanes
« You can’t stay in here all day dreaming about heroin and Ziggy Pop »
Diane (Trainspotting)
La dualité entre stationnement et déplacement dans l’univers de la drogue se retrouve d’autre part inévitablement dans les effets des psychotropes sur le corps.
« Montre moi comment tu bouges, je te dirais quelle drogue tu as pris » via @desgonzo
La prise de drogue peut dès lors modifier un comportement, et a bien souvent une incidence sur les mouvements du corps. Il existe ainsi une multitude de ces substances chimiques, biochimiques ou naturelles offrant des sensations tout à fait différentes sur l’organisme selon les composants.
Traditionnellement, la prise d’opium est réalisée en position allongée
Certains stupéfiants, comme l’héroïne ou l’opium, « fixent » littéralement les consommateurs, provoquant dès lors une certaine paralysie du corps corrompu.
Parallèlement, certaines drogues comme la cocaïne et l’amphétamine (surnommée « speed » pour une bonne raison) stimuleront le corps de manière active, en provoquant hyperactivité cardiaque, désinhibition ou encore augmentation de l’endurance. Ce sont notamment des produits pouvant être utilisés dans le dopage sportif.
Entre deux coups de jus, Jason Statham sniffe de l’épinéphrine (aussi appelée « adrénaline« ) pour empêcher son coeur de s’arrêter
Au delà de cela, les mobilités du consommateur de drogue ne se résument ni au sursaut post-trace ni aux convulsions du junkie en crise de manque… Le « drogué » (pour faire simple) détient en effet d’autres raisons pour se mouvoir. En dehors de la danse habitée – en club ou en rave party -, en dehors aussi des déplacements pour se procurer une dose, de multiples voyages s’offrent aux consommateur de drogue !
Las Vegas Parano (1998) de Terry Gilliam : syncrétisme bigarré entre drogues et mobilités
Nous pensons ainsi à certaines expéditions lointaines, qu’elles fussent forcées ou récréatives. Les premières fondent évidemment certaines fuites (de la police ou des médecins) que l’on peut par exemple illustrer par une période particulière de la vie de l’écrivain William S. Burroughs. En effet, le programme « Mauvais Genres » sur France Culture consacrait le mois dernier une émission toute entière à l’auteur du Festin Nu en rappelant que sa toxicomanie l’avait notamment poussé à voyager, de l’Amérique du Sud à l’Afrique.
Spring Breakers (2012) d’Harmony Korine
D’un autre côté, certaines pérégrinations dédiées au plaisir sont parfois dédiées ou du moins fortement liées à la prise de drogues. Ainsi, que l’on parte prendre des champignons hallucinogènes au Joshua Tree National Park avec sa bande de potes, ou que l’on aille se trémousser en maillots de bain sur les plages de Floride avec sa « promo« , certains voyages stupéfiants accueillent sans surprise autant de jeunes que de comprimés multicolores.
Basta de prohibición : urba-urbanización
Enfin, et par opposition à ce florilège de « mobilités droguées », la sédentarité ultime liée à tout ce trafic sera sans aucun doute corrélative à un certain encadrement consenti. On en revient donc à la question première : celle de l’éventuel horizon prospectif lié à la législation des drogues.
Il semblerait notamment que l’autorisation de vente / de consommation de drogues corresponde bien souvent à une certaine pérennisation du bâti urbain. Nous pensons ici au boom immobilier provoqué à Denver dans le Colorado, suite à la décision gouvernementale de légalisation du cannabis en 2009 :
« Le taux de vacance des sites industriels est «anormalement faibles à 3,1%», indique le Denver Post. Et les prix s’en ressentent. Les logements industriels sont aujourd’hui loués cinq fois plus cher qu’en 2009, date de la légalisation de la marijuana à des fins médicales dans l’Etat. Le prix de la location a subi une augmentation de 21% ces deux dernières années, selon Colliers International, firme immobilière de l’Etat.
Le «pot market», littéralement «marché de l’herbe», attire de nombreux touristes à Denver qui veulent profiter de la légalisation. Des «cannabis clubs» fleurissent partout, permettant de se réunir pour consommer son propre cannabis. De nombreux agences de voyages se sont également emparées du marché en lançant des cicuits organisés autour du cannabis. La société Colorado Cannabis Tours, installée à Denver, propose par exemple un circuit pour faire découvrir aux touristes le fonctionnement interne de l’industrie du cannabis. » (Le Figaro)
Dans Trainspotting, qui retrace les aventures d’une bande d’héroïnomanes, les protagonistes se retrouvent dans un lieu de shoot collectif (une maison abandonnée et squattée par les junkies) pour stagner en toute tranquillité. Le tenancier du lieu est surnommé la « Mère supérieure », en référence à la gestionnaire d’un couvent de bonnes-soeurs.
Indéniablement, l’urbanisation des pratiques liées à la drogue établit une certaine sédentarité des consommateurs, intimement liée au principe d’encadrement. La multiplication de coffee shops dans une ville transformera ainsi les usages liés à la vente et à la consommation de cannabis, les rendant plus nettement localisés et fixes.
C’est également l’un des postulats fondamentaux de la « salle de shoot » : en même temps qu’il encadre, le site d’injection supervisé polarise et installe la consommation des drogues. Dans une grande partie de la planète, ce modèle fait encore débat.
Crackopolis
Pour conclure, on se référera aux actualités du sujet avec l’époustouflant documentaire sonore intitulé Crackopolis sorti très récemment sur les ondes d’Arte Radio. Il nous livre l’histoire de Charles, témoin passionnant de l’univers impitoyable du crack à Paris. Le magazine en ligne La Rumeur nous confie ainsi un aperçu de ces urbanités stupéfiantes, invisibles pour le parisien lambda :
« Il peut aller partout, mais ne rester nulle part. » « Il n’est « ni de là, ni d’ici ». Il sert de trait d’union entre dealeurs et clients, le meilleur poste d’observation. C’est un « passeur », pour Jeanne Robet, réalisatrice de ce documentaire sonore, qui lui livre une sorte du guide du routard du crack à Paris. »
« Comment fonctionne le biz, comment se répartissent les territoires, les tarifs, les grades… où fumer, où acheter… où trouver de la thune, les commissions, les vols, les arnaques, les trafics de cartes vitale. C’est le parcours d’un funambule au dessus du gouffre, entre l’extase et l’angoisse. »
Crackopolis est une fresque urbaine épatante qui permet de mesurer de façon inédite les enjeux sociaux et spatiaux, les rapports de force liés à la consommation et au trafic de crack dans le nord de Paris. On vous conseille donc vivement son écoute attentive.
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En complément à l’introduction de ce billet, voici quelques éléments du contexte actuel de législation du cannabis, tendance forte en Occident, qui influe inévitablement sur nos façons d’envisager la ville de demain :
L’histoire concerne avant tout les drogues douces. Depuis les années 2000, une poignée de gouvernements tendent à distinguer l’usage médical du « chanvre indien » de sa simple possession et/ou usage récréatif. Cette correction amène dès lors certaines autorités en place à légaliser la consommation thérapeutique du cannabis dans des circonstances de santé précises, comme c’est notamment le cas dans l’Etat de New York depuis janvier dernier.
En dehors de cette condition singulière, la question de la production, vente, possession et consommation du cannabis (et parfois d’autres stupéfiants) donne lieu des traitements politiques très variables selon les Etats. Pour ne donner que quelques exemples relativement récents, on citera notamment le cas du Colorado, pionnier américain de la légalisation de la vente de cannabis (loi appliquée depuis fin 2013). A peu près au même moment, l’Uruguay frappait encore plus fort :
« C’est en effet la première fois qu’une nation va autoriser et contrôler tous les aspects de l’industrie, de l’importation à l’exportation en passant par la plantation, la culture, la récolte, la production, l’acquisition, le stockage, la commercialisation et la distribution du cannabis et de ses dérivés. » (Slate)
Du côté du vieux continent, les législations diffèrent d’un pays à l’autre, certains – comme les Pays Bas – autorisant la vente du psychotrope et sa consommation privée, pendant que le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie et bien d’autres tendent depuis quelques temps à intégrer les chiffres de la drogue (ainsi que de la prostitution et d’autres « trafics ») dans le calcul de leur PIB… Et aux environs de l’hexagone, on reste assez frileux à l’idée même de dépénaliser la sacro-sainte marijuana, bien que ses défenseurs ne soient pas près de lâcher le morceau !
Ce n’est a priori pas demain la veille qu’on pourra « aller chercher son herbe comme on irait acheter son pain » (quoique) sur le sol français, mais la tendance est tellement lourde, depuis plusieurs années et dans le monde entier, qu’elle méritait d’être entendue dans nos colonnes !
En attendant d’expérimenter vraiment ce que d’éventuelles nouvelles législations des drogues pourraient apporter à notre territoire, on vous laisse imaginer la couleur des néons du futur coffee shop de votre quartier.
Road trip sous acide en musique
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