Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’écrire sur une saga aussi majestueuse que Fast & Furious ! Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur ces sept chefs-d’œuvre (bientôt huit), qui ont grandement contribué à dépoussiérer le film de course automobile – l’un de nos genres fétiches pour ausculter l’imaginaire automobile, évidemment. La sortie toute récente d’une nouvelle bande-annonce nous offre ainsi une salvatrice opportunité pour combler cette absence. Celle-ci annonce le huitième épisode de la série, qui sortira sur grand écran le 12 avril prochain. On vous laisse donc admirer ce trailer comme il se doit ; si vous avez l’œil, vous comprendrez aisément le sujet du billet qui suit…
It’s raining cars, alléluia !
La séquence qui nous intéresse plus spécifiquement débute à 0’44. « Personne n’est prêt pour ça« , dit Charlize Theron, qui incarne la grande méchante de ce huitième volet. Et c’est peu de le dire ! Celle-ci est en effet capable de prendre le contrôle de tous les véhicules connectés de New York… « Il y a des milliers de voitures dans cette ville« , dit-elle, « et maintenant… elles m’appartiennent toutes. » ; et pour peu que l’on soit mal intentionné, ce qui semble être son cas, on comprend bien qu’un tel pouvoir n’est pas sans conséquences. Les quelques extraits présents dans la bande-annonce nous donnent une idée de ce que ce super-pouvoir offre comme perspectives, pour le meilleur et surtout pour le pire. C’est littéralement un déluge de voitures qui s’abat sur New York, après que la bad girl a pris le contrôle de dizaines de véhicules garés dans les parkings surplombant la rue. Une séquence qui restera dans les annales du cinéma, c’est certain.
Mais cette scène n’est pas qu’un simple moment WTF comme il en existe beaucoup (genre, vraiment beaucoup) dans la saga Fast & Furious. Il s’agit aussi et surtout d’un brillant insight prospectif sur la technologisation de l’automobile, et plus généralement de la ville numérique… La séquence fait en effet écho à de nombreuses craintes formulées par le grand public, liées à l’émergence encore balbutiante de la voiture autonome – qui ne cesse d’agiter les débats, malgré les nombreuses inconnues qui pèsent sur son arrivée dans nos villes. Comme l’écrivait très justement le webzine Inverse :
« But as unrealistic as it is, the scene probably won’t do much to persuade people self-driving cars are safe. A University of Michigan study in February found that 33,4% of consumers are extremely concerned that self-driving cars without internal controls could be hacked and used as weapons. »
Et bien que ce scénario terroriste reste grandement improbable, il n’en reste pas moins que le piratage des voitures autonomes est aujourd’hui une réalité – du moins pour les petits génies du hacking, qui s’en donnent à cœur joie face aux nombreuses failles des systèmes embarqués :
« Still, remote control of an autonomous vehicle is a feasible scenario. In July of 2015, Wired magazine went viral with the thrilling tale of hackers (in a controlled, legal setting) killing off a technologically-advanced Jeep in the middle of a test drive. While that may have put car hacking on the radar, automakers have also been taking steps to mitigate the problem. After a team of Chinese hackersdemonstrated the ability to hack into a Tesla, Elon Musk’s company quickly patched in a code-signing update to its vehicles, making them much harder to hack. »
Ville piratée, le pire est à venir
Ce n’est évidemment pas la première fois que F&F s’intéresse à ces aspects technologiques, d’autant que le cyber-terrorisme est un trope récurrent dans tout film d’action qui se respecte. Mais c’est bien la première fois que la série se penche sur le sujet à l’échelle d’une agglomération, en s’interrogeant sur les conséquences d’une ville entièrement bardée d’équipements technologiques – en l’occurrence ici des voitures autonomes. A sa manière, Fast & Furious vient ici apporter sa pierre à l’imaginaire de la « ville piratable », l’un des sujets les plus cruciaux pour celles et ceux qui s’interrogent sur le devenir de nos territoires.
Nous l’écrivions il y a deux ans sur Demain la ville : « Malgré de nombreux exemples plus ou moins anecdotiques, les enjeux du piratage urbain restent somme toute assez obscurs pour le grand public. Faute de véritable prise de conscience, c’est peut-être à la pop-culture que revient ce travail d’évangélisation. » A l’instar du célèbre Watch Dogs, probablement le jeu vidéo qui aura le mieux questionné la figure de la Smart City, F&F8 vient ici nourrir la réflexion en rappelant que les voitures autonomes posent aujourd’hui plus de questions qu’elles n’apportent de réponses.
Pour l’heure, chacun semble s’y préparer de son côté : les constructeurs imaginent des volants complètement absurdes, les concessionnaires s’interrogent sur leurs modèles économiques, les entreprises de la tech se demandent comment cartographier le monde pour que les voitures y naviguent sereinement… Mais difficile de voir où tout cela nous mène, en termes d’usages pour le citadin lambda. Celui-ci n’a en effet pas grand chose à faire de ces créations qui ne concernent que les acteurs eux-mêmes : lui veut savoir s’il pourra conduire sereinement sa voiture sans qu’un pirate ne vienne lui faire rater son créneau ! Et c’est exactement ce que vient souligner ce blockbuster alléchant.
La nature a horreur du vide, et la pop-culture aussi. La ville numérique est une « smart passoire potentielle« , pour reprendre la brillante formule de Sabine Blanc ? Qu’à cela ne tienne, il y a forcément un pitch à imaginer à partir de là ! Il n’en fallait pas davantage aux créateurs de Fast8 pour imaginer cette séquence, qui logiquement extrapole le pire scénario possible. Le déluge de voitures entrevu dans le film n’est évidemment qu’un immense fantasme hollywoodien, il n’en reste pas moins le reflet d’une anxiété bel et bien ancrée dans l’inconscient collectif. Et cela se traduit dans le réel : ainsi, les premières voitures autonomes produites par Volvo ne seront pas identifiées comme telles, précisément afin d’éviter les risques de piratage et de carjacking…
Au passage, très belle allégorie de l’industrie auto se cassant la gueule à la bourse.
Fast & Furious 8 vient ainsi démontrer que les angoisses du grand public à l’égard de la voiture autonome, et plus généralement de l’informatique ubiquitaire, loin de devoir être balayées d’un revers de la main, mériteraient d’être prises à bras le corps par ceux qui en ont la responsabilité. Constructeurs, fournisseurs de services urbains, collectivités : tous sont aujourd’hui concernés par les incertitudes qui règnent autour de ces équipements émergents… Qui sera donc le Dom Torreto de la ville numérique ?