Pour aérer nos colonnes le temps d’un billet, on est descendu de notre tour de magie pour vous livrer un éventail d’images de villes à la volée. Une flopée d’imaginaires urbains en mosaïques, quoi de mieux pour reposer ses yeux et dilater son esprit ? La collection de Tumblr qui suit dresse un panel illustratif de quelques unes de nos monomanies esthétiques et culturelles, comme un patchwork d’inspirations ou un cahier de tendances intemporelles.
Aperçu des ‘Archives’ du tumblr « Rekall », présenté par son auteur de la façon suivante : « A cyberpunk aesthetic image blog. Updated nightly. » (voir ci-après)
Urbanités vidéoludiques, cités pixelisées
Pour commencer, on a choisi une réalisation de Benjamin Bardou, son tumblr nommé Cities and video games. Cinéaste chez Data Films, nous avions déjà eu à faire à ses travaux en 2013. A cette occasion, il nous avait accordé une interview qui portait sur un sujet assez similaire puisque il s’agissait de discuter de l’une de ses créations originales : à travers un court-métrage, une relecture de Blade Runner entièrement filmée dans le jeu GTA !
De son côté, Cities and video games rassemble des screenshot de décors urbains puisés dans un assortiment de jeux vidéo. Conceptualisées entre le début des années 1980 et mi-1990, ces villes de pixels pullulaient alors sur nos écrans de Commodore 64, d’Amstrad CPC, et autre ZX-Spectrum.
Possessioner (1994) Queen Soft – PC-98 [II] – in Cities and video games
Des noms qui vous évoqueront peut-être un souvenir d’enfance, ou du moins que vous pourrez aisément associer à une époque lointaine et ses imaginaires particuliers. Dans les vignettes sélectionnées par Benjamin Bardou, le ciel et les immeubles s’accordent en pointillés. A la fois complètement figés et époustouflants aux yeux des joueurs de l’époque, ces paysages représentent à eux seuls un style graphique et esthétique, une culture visuelle à part entière. Qu’ils mettent en scène une pause narrative ou le décor rituel des aléas du personnage joué, ces fresques encodées fascinent, marquent et transportent.
Pensé comme un outil de recherches plutôt que comme un album Panini, ce blog d’estampes 80’s donne à voir autant de codes artistiques que de représentations sociales. On y devine un gameplay en même temps qu’une histoire, en survolant les villes de ces mondes vidéoludiques. Panorama de gratte-ciels depuis la fenêtre d’un bureau futuriste, fusillade à l’ombre d’un véhicule cabossé… Ces simulacres urbains s’emparent des convenances d’autres médias comme le cinéma et le manga, on s’y retrouve plutôt bien, et en plus on joue le rôle du héros. Arpentés par des milliers de joueurs, ces destinations sont des réminiscences, des cartes postales de l’enfance. Surtout, ce sont des représentations urbaines et leur afflux sur une même plateforme poussera sans doute une personne talentueuse à analyser leurs caractéristiques… On attendra des années s’il le faut, que cette étude soit pondue.
De la Smart City au Cyberpunk
Si le tumblr précédent entrait en matière avec une punchline de Motoko Kusanagi – icône on ne peut plus cyberpunk du cultissime Ghost in the Shell -, celui que l’on s’apprête à vous soumettre en aurait tout aussi bien fait sa maxime introductive. En effet, le blog du game designer Steve Gaynor – Rekall – se présente comme un pot-pourri de symboles du mouvement cyberpunk. A notre grand ravissement, les archétypes urbains ne sont pas épargnés.
Une séance de scrolling sur la compilation figurée de Steve Gaynor vous emportera sur un continent rétro où subsistent parallélépipèdes fluo, hologrammes en qualité VHS et prototypes d’objets connectés en 3D filaire. Dans ce monde où le circuit imprimé et l’organique ne font qu’un, une place non négligeable est laissée à la ville nocturne et ses ruelles éclairées au néon. Immeubles délabrés, tours de verre scintillantes et petites rues japonaises se retrouvent donc là, au milieu des pub Sega de 1982, et des tableaux de bords de vaisseaux spatiaux. Inutile de préciser que Blade Runner (1982), Akira (1982-1990) et Ghost in the Shell (1989-1991) représentent les trois influences évidentes des quelques morceaux urbains qui parsèment ce décor cyberpunk.
Cartographie de la ville de demain ? – in Rekall
Tous ces imaginaires réunis forment alors un gloubi boulga esthétique haut en couleur, où science fiction et Histoire publicitaire se mélangent aux artworks surréalistes (et kitsch) des années 19801 De notre point de vue, on adore ce tumblr car même s’il n’est au départ pas proprement « urbain », son univers esthétique et culturel est indissociable du décor et du contexte social citadin. Y participent alors des photographies de villes contemporaines, de Miami à Tokyo : tous les néons, les gratte-ciels et le béton crado sont bons à prendre. Ce sont donc à la fois des références culturelles, urbanistiques et architecturales qui deviennent des représentations. Celles d’un monde uchronique, post-apocalyptique ou simplement de science-fiction dans laquelle le réalisme joue un rôle primordial. Aux vaisseaux spacieux on préférera la silhouette d’une femme cyborg fumant clope sur clope dans les bas-fonds d’un Tokyo désolé… Et si l’imaginaire prospectif de la smart city se trouvait dans les dystopies cyberpunk plutôt que dans les concept boards aseptisés des promoteurs immobiliers ?
Tour du monde des enseignes à travers la science fiction
Enfin, la dernière plateforme d’icônes que nous aborderons ici se présente sous la forme de montages réalisés par @michaelmphysics et connu sous l’appellation de « High Street Shops In SciFi Films« . Comme son nom l’indique, ce tumblr se charge de répertorier des captures d’écran qui représentent des personnages de films de SF ou de Fantasy posant nonchalamment devant un supermarché ou un fast food. Floutés ou dissimulés, des pavillons commerciaux symbolisant notre vie la plus ordinaire illuminent l’arrière-plan de ces scènes fantasques.
« Remember this Spar in The Running Man? » – in High Street Shops In SciFi Films
Créant immédiatement un décalage culturel entre les deux univers, ces images sont autant captivantes que comiques. Les commentaires de l’auteur accompagnant ces montages accélèrent dès lors la « suspension consentie de l’incrédulité » du visiteur du site puisque ils feignent l’existence de ces commerces en background des scènes plagiées :
« I’ve never noticed this before but there’s a high street shop in the background of this sci fi film »
« Anybody ever spotted this Games Workshop in Dune before? »
Michael M Physics se joue donc des repères du spectateur, mettant en scène des anachronismes qu’un réalisateur de cinéma n’aurait évidemment pas laissé transparaître. Pointées du doigt, ces images subliminales (tangibles) ancrent la fiction dans une réalité sociale et commerciale routinière… De quoi ravir l’équipe de [pop-up] urbain, qui se bat chaque jour pour la création d’un multivers où les deux vérités (réelles et fictives) ne feraient qu’une !
Pour cette campagne récente, la chaîne de konbini Seven Eleven s’est maquée avec Shingeki no Kyojin (L’Attaque des Titans), phénomène de l’animation japonaise actuelle
C’est d’ailleurs l’une des marottes du marketing, que de plonger prospects et consommateurs dans une double réalité – si les droits le permettent. Quoi de mieux, pour plaire à un public, que de l’immerger dans un contexte pop-culturel dans lequel il se retrouve ? Les marques l’ont bien compris depuis des lustres : si elles souhaitent vendre un produit, il vaudrait mieux faire un partenariat avec DC Comics ou Nintendo d’ici là. Et ça marche aussi bien pour les campagnes de sensibilisation, de la sécurité routière (avec Schwarzi) aux dangers de la drogue (avec l’Attaque des Titans).
D’un autre point de vue, ce tumblr représentait aussi pour nous l’occasion de redécouvrir certains acteurs du retail contemporain2. Et si ces enseignes décidaient de fusionner avec l’univers de Terminator, d’Alien ou de Jurassic Park, le temps d’une publicité ? Cela tomberait plutôt bien puisque ces vieilles licences sont justement en train de se voir réaliser des suites, préquelles, remakes et autres reboots…
- Sur le tumblr Palm And Laser, vous trouverez une sélection sourcée de ces illustrations – bien souvent d’origine japonaise, mêlant des influences graphiques puisées dans le design, le marketing musical, littéraire, cinématographique, et ludique de l’époque etc. -, tel que ceux de Motohiro Murakami, Hisaichi Saito, Kasai-Kobo, Pater Sato, Hirashi Daba ou encore le plus connu de tous : Hajime Sorayama et ses fameux robots aux atours féminins. [↩]
- Halfords : « retailer of car parts, car enhancement, camping, touring and bicycles operating in the UK and Ireland. They also provide MOT, service and repairs in the United Kingdom, through Halfords Autocentre »
KFC : « chaîne de restauration rapide américaine »
Nando’s : « un groupe et une chaîne de restaurants originaire d’Afrique du Sud avec un thème mozambicain-portugais et centré sur les plats de poulet mariné. »
ALDI : « chaîne de supermarchés hard-discount originellement basée en Allemagne »
SPAR : « enseigne d’origine néerlandaise de grande distribution à prédominance alimentaire »
Greggs : « the largest bakery chain in the United Kingdom »
Boots the Chemist : « pharmacy chain in the United Kingdom and Ireland, with outlets in most high streets, shopping centres and airport terminals »
Games Workshop : « société d’origine anglaise qui s’est spécialisée dans la création de figurines. Cette société édite des wargames futuristes ou médiévaux fantastiques utilisant ces figurines »
WH Smith : « British retailer which operates a chain of high street, railway station, airport, hospital and motorway service station shops selling books, stationery, magazines, newspapers and entertainment products »
Primark : « entreprise irlandaise spécialisée dans la distribution de vêtements »
Tesco : « groupe de distribution international basé principalement au Royaume-Uni, en Irlande, Europe de l’Est et en Asie » [↩]