Voici un modeste article pour vous faire part de notre tout dernier achat rétro-pop-futuristo-naïf : un énième ouvrage pour enfants traitant de l’avenir et de ses spéculations. Dans un vieux billet, on vous confessait ainsi cette étrange passion qui ne nous a pas quitté depuis tout ce temps : l’affection toute particulière portée à ces représentations candides et démodées du monde de demain.
Un investissement que l’entreprise ne regrettera pas
Notre gourmandise pour ces bouquins pourvoyeurs de concepts désuets aura donc inévitablement conduit notre âme de chineur à se tourner vers cette couverture kitschissime aux allures bioluminescentes – « à la Pandora » – croisée dans le Boulinier du coin. Un rapide coup d’oeil sur son slogan accrocheur puis sur la quatrième de couverture n’aura pas manqué de nous séduire pour de bon.
Jusqu’à maintenant, notre petite collection d’ouvrages rétro-prospectifs destinés à instruire les bambins abordaient toujours le sujet dans le même sens. Ainsi, se revendiquant aussi bien « éducatifs »qu’insuffleurs de rêveries, la plupart de ces ouvrages évoquent généralement ces spéculations technosociales comme des prévisions. Le temps employé dans ces narrations y est donc inévitablement le futur, évinçant dès lors tout regard critique sur ces anticipations hasardeuses et fragiles.
Dès lors, le ton dubitatif de l’ouvrage écrit par Brigitte Coppin (et illustré par Vincent Desplanches) acquis ce midi nous a délicatement surpris. « L’an 2000 n’est plus ce qu’il était« , annonce ironiquement le sous-titre. Le résumé dorsal de l’album ajoutant un caractère cynique à l’objectif premier de ces rêves futuristes pour morveux :
« Le voyage dans la Lune, c’est fait. La greffe d’un cœur, d’une main, c’est gagné. La planète sur Internet, ça nous branche. Que nous reste-t-il à rêver après tout cela ? A quoi ressemblera notre futur ? »
Pour ne rien gâcher, cette théorisation a priori crédule du manque d’inspi pour les mondes de demain date contre toute attente de l’aube des années 2000 (1999 tout juste !).
Dès lors, comment interpréter une entrée en matière si audacieuse ? Les « rêves de futurs » promis en couverture sont-ils inutiles et déchus avant même la plongée inévitable dans le contenu du livre ? Ces mots ne représentent en fait qu’une mise à distance du lecteur, un regard critique essentiel et trop souvent oubliés par ces albums enfantins.
Une fois le volume feuilleté, sa substance apparaît somme toute assez convenue. On retrouve ainsi les thèmes classiques des spéculations sur le monde de demain, de la robotisation de l’homme jusqu’à la démocratisation du voyage spatial. Notre bel achat constitue en fait un tour d’horizon thématique des idées et rêveries menées par une sélection judicieuse de « visionnaires de tous les temps » – d’Aristophane à Isaac Asimov, en passant par Mary Shelley. Petite sélection des thématiques abordées, au cœur de nos préoccupations.
« La ville est partout, même à la campagne »
L’avenir de l’habitat
« La maison du futur vous accueille avec tous les gadgets, vous réconforte et vous cajole. Peut-être qu’un jour elle saura dire « Je t’aime ». »
Le domicile de demain sera nécessairement intelligent, assistant chaque faits et gestes de son occupant. « Smart », car il déleste l’homme de ses tâches les plus ingrates et chronophages, mais également parce qu’il recycle l’énergie humaine. Chaque mouvement de l’habitant serait ainsi récupéré au profit du bon fonctionnement de votre intérieur, comme l’illustre l’archétype suivant : « une gifle donne de quoi moudre le café« …
La double page consacrée à la vie domestique concède d’autre part un petit encadré au mode de vie néo-nomade, qui nous est cher. L’imaginaire du randonneur est alors mis à l’honneur : l’habitant du futur sera mobile, portant sa maison sur le dos. L’intitulé est alors évocateur et innovant en termes de représentation collective puisque s’y conjugue l’imaginaire du sans-abris et celui du futur !
« Les SDF ont l’avenir sur le dos »
CECI N’A RIEN DE FUTURISTE1
Enfin, si la partie dévouée aux villes brasse des imaginaires vus et revus (au programme : villes verticales surpeuplées, habitats modulables / flottants / volants / mobiles et autres bâtis aux matériaux renouvelables), l’univers souterrain est valorisé de façon plus surprenante dans une phrase isolée en deuxième de couverture :
« Les gens habiteront des cavernes de luxe »
Il y a un an, nous publiions justement un article qui faisait l’apologie de la revalorisation progressive des mondes souterrains. En témoigne d’ailleurs le succès récent du film turc Winter Sleep, récompensé cette année de la Palme d’or à Cannes pour la 67e édition du festival, et dont l’intrigue se déroule justement au beau milieu d’un village troglodyte en Anatolie…
Home sweet home : éloge de l’ombre
L’évolution sociale des représentations demeure en effet la clé du renouvellement de nos imaginaires futuristes, bien souvent désuets et redondants. Donc demain : tous hommes des cavernes ?
Mobilités imaginées
Une double page consacrée à l’obsolescence programmée de la marche à pied nous aura bien fait marrer ! Tout bonnement intitulée « On ne marche plus« , elle se focalise sur des morceaux choisis d’utopies obsolètes à roulettes.
« Soyons sérieux : il semblerait que les piétons n’aient plus beaucoup d’avenir et certains pessimistes comme l’auteur américain Bradbury voient venir le temps où il sera interdit de marcher à pied. Le fauteuil roulant, par contre, a toutes ses chances car on nous dit que les hommes du prochain millénaire n’auront plus assez de muscles pour se déplacer tout seuls. »
C’est un triste avenir piéton que nous prévoient ces termes… Comment se fait-il que vingt ans plus tard, on perçoive dans la marche à pied le moyen de locomotion le plus sexy de tous ? Peut-être bien parce que le futur est tout bonnement imprévisible… Mais l’ouvrage de Brigitte Coppin est clair : nous sommes ici pour en rêver et non pour le prévoir !
La godasse à roulettes des champions
Un petit point sur l’automobile pour rester dans la tradition : en résumé, la voiture du futur (de 1999) ne sera pas volante (contrairement aux chaussures, comme le rêve une citation inscrite en deuxième de couverture) mais fonctionnera aux énergies renouvelables. Plus de pétrole en 2030 ? Tant pis, on en recrée avec du plastique fondu… et pourquoi pas utiliser du sucre – « très énergétique comme chacun sait » – ou de l’eau de mer distillée, a priori inépuisable ?
L’automobile de demain est surtout ultra sécurisée puisque sa carrosserie se ramollie pour encaisser les chocs tout en douceur (n’en déplaise à la Christine de Stephen King, voiture « smart » dotée de pouvoirs d’autoguérison). Et, bien entendu tout conducteur est assisté d’une I.A. (un GPS intelligent). Par contre, pas de voitures autonomes prévues en l’an 2030, soyons réalistes !
« Un ordinateur de bord vous tiendra compagnie, vous empêchera de somnoler et vous indiquera l’itinéraire (ce qui évitera les disputes familiales devant la carte). Et bientôt, il conduira à notre place ? Et bien non disent les spécialistes : il paraît que l’ordinateur n’est pas prêt à devenir un as du volant. »
Visiblement Google va plus vite que tout, y compris le futur !
La panne d’imaginaire… une panne d’imaginaire comme les autres ?
Si « Rêves de futurs » nous a au départ agréablement surpris par son ton original et critique vis à vis des spéculations futuristes, le contenu se sera avéré plus ordinaire. Toutefois, se présentant comme une compilation intelligente d’idées visionnaires relativement anciennes, couplées à des synthèses historiques concernant des faits sociaux ou technologiques, l’ouvrage de Brigitte Coppin met en images un ensemble de problématiques tout à fait intéressantes.
Notre collec’ (les envieux vont s’émacier)
Si vous tombez sur ce livre à la couverture fongiforme, nous vous conseillons en tout cas d’y jeter un oeil : les illustrations sont hautes en couleur et certains textes valent vraiment le coup !
Sur le même sujet, ça fait plus d’une année qu’on patiente pour se procurer enfin l’ouvrage co-écrit par le philosophe Elie During et Alain Bublex – ancien designer auto passionné de « futurs passés » – : « Le futur n’existe pas ». Dans une interview récente consacrée à ce futur inexistant, et publiée par Usbek & Rica, Alain Bublex conclue en ces termes :
« Ce qu’on appelle le futur, c’est l’infinité des possibles imaginés que l’on peut activer ou non, qui deviendront ou non du présent. Le futur, ce n’est pas ce qui sera, c’est ce qui pourrait être, et c’est à nous de le faire. Le réel de demain est imprévisible. Il ne peut pas être deviné, il doit être construit. »
Et si on arrêtait d’activer les mêmes possibles depuis deux siècles ?
Combo naïf
Très prochainement, on vous offre le regard de Nicolas Nova, notre héros passionné de technologies désuètes, qui viendra bientôt nous parler de son dernier livre consacré aux ralentissements des imaginaires techno-futuristes. Et pour finir, on vous laisse méditer à cette phrase de Doris Lessing :
« Si notre imagination peut concevoir et accepter autre chose qu’une probabilité immédiate, c’est grâce à la science-fiction. »
- « En ce qui concerne l’avenir des femmes, ces messieurs les visionnaires ont eu l’imagination un peu courte. […] Enfin, en 1905, Anatole France imagine bien qu’on puisse embaucher quelqu’un sans discrimination, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, mais il place ce grand progrès en 2270… » [↩]