“J’suis postiché/J’ai les mêmes cheveux que Dalida/La barbe de Fidel Castro/Et un gros Beretta!” Il y a 20 ans, trois lascars du Val-de-Marne déboulaient sur les ondes avec le single “Hold-Up” et s’apprêtaient à braquer le rap français “sans faire toc-toc-toc”. Avec un nombre énigmatique – le 113 – pour nom de baptême, comme une équipe de casseurs qui voudrait brouiller les pistes, le groupe allait achever de faire sauter la banque avec l’arrivée dans les bacs, le 27 octobre 1999, de son premier album “Les Princes de la Ville”. Double disque d’or en deux mois, il s’en écoulera quelque 350 000 copies. De quoi propulser Rim’K, AP et Mokobé sur la scène du Zénith quelques mois plus tard, où ils décrocheront deux Victoires de la musique : meilleur album rap et révélation de l’année.
Succès commercial, succès critique, le premier album du 113 est devenu, avec le temps, une borne indiscutable dans l’histoire du rap français. Alors jeune adolescent au moment de sa sortie, j’ai moi-même été très marqué par ce disque que j’ai beaucoup écouté. Il y avait les prods dingues de DJ Mehdi ou la voix caractéristique de Rim’K, bien sûr. Mais ce que je retiens plus encore de l’album, c’est sa capacité à retranscrire tout un univers : celui de la banlieue populaire en général vue par le prisme particulier de Vitry-sur-Seine, la ville d’origine du groupe. Ecouter “Les Princes de la Ville” en fermant les yeux, c’était arpenter ce territoire à la fois familier et fantastique. Plus que de chanteurs et de musiciens, il me semblait envisager une oeuvre de cartographes.
Wesh wesh cousin, Mafia Requins
Deux décennies plus tard, je me suis repenché sur les 13 titres (plus la fameuse piste cachée) qui composent l’album, pour confronter mes impressions de l’époque à une étude systématique de leur contenu. Et j’ai retrouvé de quoi affirmer que “Les Princes de la Ville” est un disque éminemment géographique : il y est sans cesse question de lieux, de déplacements, d’altération des milieux ou de l’influence qu’ils exercent sur les comportements humains. On pourrait même, à l’instar de Guy Debord, parler de psychogéographie tant la cartographie dressée par le 113 est empirique et sensible, s’attaquant même aux sphères de l’imaginaire.
Pour rationaliser l’exploration, on aurait pu suivre la tracklist du disque mais j’ai préféré procéder par un inventaire des endroits – pour ne pas dire un état des lieux – évoqués par le groupe dans le disque. On part en balade ? “504 break chargé, allez, montez les neveux…”
113, rue Camille-Groult
L’origine du monde – en tout cas le leur – la voilà : le 113 rue Camille-Groult à Vitry-sur-Seine. Une adresse matricielle, celle de la cité dont sont originaires deux des trois membres1 de la bande et dont le numéro a donné son nom au groupe. Quant à son odonyme, il sert de refrain scandé dans “Ouais gros”, le premier titre rappé de l’album : “Camille-Groult Star/Camille-Groult Star/Camille-Groult Star…” Le brave Camille Groult, archétype du bourgeois d’affaires du XIXe siècle, maire de Vitry de 1868 à 1874, devait être loin d’imaginer qu’un siècle après sa mort, trois rappeurs feraient tant pour sa popularité…
Camille Groult’s expectations
Reality
En exploitant cette adresse tous azimuts, le 113 se crée un mythe fondateur propre, ancré dans un fief bien défini. C’est là une figure classique du rap, en besoin perpétuel d’affirmer authenticité et street-cred, passant par le rappel permanent d’origines géographiques précises. De la cité, il en est d’ailleurs beaucoup question dans les paroles des “Princes de la Ville” : c’est un lieu qui sent le soufre (“Méfie-toi de c’que ma cité abrite”;”La cité une bombe à retardement”), qui tient autant de l’abri familier à regagner (“J’voulais rester à la cité”;“On rentrera à la cité à l’heure du premier métro”) que de la zone de relégation à fuir de préférence (“J’suis un jeune j’ai la vingtaine/La cité m’a mis en quarantaine”;“Vu nos capacités, on aurait pu quitter la cité/Pour l’université mais bon on n’a pas profité”; “On vit en HLM les uns sur les autres/Lits superposés j’ai rien connu d’autre (…)On vit en marge/En gros on est tous barges »).
Ma 6-T est à crock-er
L’enracinement territorial se fait même à une échelle plus fine encore que celle du quartier : celle du hall d’immeuble2 “Aux habitués du hall 13” peut-on entendre à la fin de “Ouais gros”. Le hall 13, c’est l’un de ceux du 113, rue Camille-Groult, celui dans lequel vit Rim’K. Le topos est également connu : on ne compte plus les clips de rap tournés dans les cages d’escaliers ou – nos préférés – sur les auvents des porches d’entrée de bâtiments. Et, là encore, c’est un attachement quasi-maternel qui s’exprime. Pour s’en convaincre, il faut lire cette anecdote confiée au magazine Maelström par Alex Wise, le concepteur de la splendide pochette des “Princes de la Ville” :
« En bas de leur immeuble, dans la cité Camille-Groult, il y a une mosaïque beige claire, et un an plus tard Rim’K avec la pochette entre les mains me dit :
« Putain c’est trop fort que tu aies mis ça ! C’est toute mon enfance ! » et il me montre la petite photo de la mosaïque de Camille-Groult. Tu pourras lui montrer cette photo de mosaïque au milieu de 2000 autres, il reconnaîtra celle de chez lui… Le rapport que le gars a avec la mosaïque de son immeuble, ça m’a bluffé… et il a ajouté : ‘Franchement Alex, tu as vraiment capturé chez nous…’, ça m’a vachement touché… » »
Code 94 400 Vitry
Comme si elle avait repris l’identité graphique de ce bâtiment, la pochette de l’album est elle même une mosaïque. Mais loin de rendre hommage à la seule cité Camille-Groult, le patchwork de photos est en fait une évocation de toute la ville de Vitry. Ou du moins de l’idée que les gars du 113 – et leur graphiste – se font de la ville. Ainsi, toutes les petites photos utilisées pour réaliser la couverture de l’album sont autant de facettes d’une véritable carte mentale de la ville. Paniers de basket, épaves de voitures, broche à kebab, façades, panneaux de signalisation, transports en commun3… racontent une Vitry vécue, dans laquelle des marqueurs institutionnels – logo de la ville, éléments de façade de la mairie – sont également présents. Le lettrage réalisé à base d’enseignes de petits commerces achève de donner une sensation kaléidoscopique.
Patchwork amoureux de Vitry-sur-Seine
Côté paroles, la troisième piste de l’album, “1001 nuits”, est un bon exemple de propos globalisants sur la ville. C’est une évocation des rues au clair de lune, quand le paysage urbain montre son visage le moins avenant. Dans un texte impressionniste, qui convoque sons et lumières, il est question de violences conjugales, de SDF qui dorment dehors, de bagarres avec des skins ou de courses-poursuites avec la police. Le tout se conclut comme une dérive urbaine situationniste : “Après une demi heure de marche/On se gare dans une impasse/Un chat noir qui passe/Synonyme de poisse/Faut pas qu’on reste sur place/Y a comme une odeur de chiasse.” L’odorama en plus, donc.
Mais c’est évidemment dans la chanson qui donne son titre à l’album, “Princes de la Ville”, que s’exprime le plus cette volonté d’embrasser la ville entière. Véritable ghetto anthem, le titre est une injonction à ce que les “jeunes et ambitieux” prennent le pouvoir, notamment pour peser sur les décisions d’urbanisme : “Vitry 9-4 de ma ville j’veux être le prince/J’vais pas t’cacher que Monsieur le maire est une pince/Des promesses y’a pas à dire il en a toujours/Rénover les bâtiments, on attend toujours”. Ce désir de rénovation urbaine – qui sera exaucé la décennie suivante à Vitry avec l’important remembrement de la cité Balzac – est mis en opposition avec des projets jugés moins prioritaires : “Vos monuments à 100 barres nous on s’en fout”. Dur de ne pas penser à l’une des icônes de la ville, la Chaufferie avec cheminée de Dubuffet, qui figure d’ailleurs en bonne place dans “Ghetto Poursuite” la pas-si-mauvaise-BD-que-ça que scénarisera Rim’K dix ans plus tard.
Décorer les ronds points, une saine action municipale (so 1996 !!)
Si la chanson revêt une forte connotation sociale, soulignant le sentiment de relégation qui traverse les banlieues populaires (“Pour se payer un avocat faut plein de pascals/Au tribunal on s’en sort toujours mal” ; “Ta boîte aux lettres est pleine de rappels et d’assignations”…), elle est aussi une ode attendrie à la ville entière et au creuset de ses habitants. “Code 94400 Vitry/ La banlieue a ses qualités et ses défauts/Peuplés d’artistes et de sportifs de haut niveau/D’escrocs dans les halls jusqu’aux bureaux municipaux/Gros : tous Vitriots!” Et, là encore, des “halls” aux “bureaux municipaux”, le 113 inscrit spatialement les enjeux politiques et sociaux de toute une ville.
La mairie et le commissariat
A ce titre, plusieurs lieux de pouvoir sont clairement identifiés dans l’album, tous plus ou moins connotés négativement. Il y a la mairie, donc, mais aussi le commissariat, honni entre tous : “Va dire à la licepo qu’on va brûler leurs locaux”. D’abord parce que c’est un endroit où l’on ne se rend jamais que sous la contrainte : « Suivez-nous les garçons/Et c’est l’début d’la détention” ; “Après perquisition, séjour au commissariat d’Vitry/On a interpellé les suspects c’est bon/On peut les emmener dans les locaux”. Ensuite parce qu’on y est fort mal traité : promiscuité (“Dans la cellule animation/À 5 pour habitation”) et violences policières (“Faut pas qu’y ait une bavure ou dans la ville ça va péter”) sont abordées. Enfin, parce qu’à l’instar de la mairie4, le commissariat est un symbole d’oppression et de maintien des inégalités sociales (“Ils veulent stopper les pauvres qui prennent l’oseille des plus aisés”).
L’amalgame de ces deux lieux de pouvoir est d’autant plus compréhensible qu’à Vitry, ils se situent à quelques dizaines de mètres l’un de l’autre, sur le même trottoir de l’avenue Youri-Gagarine qui coupe la ville en deux dans le sens nord-sud. La cité Camille-Groult, elle, est toute proche également, mais de l’autre côté de l’artère. Difficile de ne pas penser à cette division spatiale quand le 113 chante, dans un des meilleurs titres de “113 fout la merde”, le deuxième album du groupe sorti en 2002 : “J’habite de l’autre côté d’la rue, où ça?/Un cauchemar pour le commissaire Broussard !” Encore une vision géographique…
Et au milieu coule une avenue
L’ANPE et la boîte de nuit
Voilà un acronyme qui fleure bon le siècle dernier. L’Agence nationale pour l’emploi, ainsi qu’on appelait avant 2008 la branche “offres de travail” de Pôle-Emploi, dispose d’une antenne à Vitry qui est évoquée dans la chanson “Princes de la ville” : “Au chômage pourtant jeune et ambitieux/C’est pour nous qu’il ont créé l’ANPE/Mais y’a une queue d’un kilomètre pour gagner 3 pépètes/Si je peux me permettre, qu’ils aillent se faire mettre”. Outre qu’elle recèle une belle construction en opposition, la phrase sur la file d’attente mérite qu’on s’y arrête. Car comme souvent dans cet album écrit sous les auspices de la géographie, il y est question de déplacement. Ou de non-déplacement en l’occurrence. L’ANPE, c’est l’endroit où l’on s’englue, c’est un lieu-frein, une impasse. L’impression est renforcée par la phrase qui précède qui est au contraire toute en mouvement : “Zigzaguant entre le mal et les délits/Jeune débrouillard, une fois sorti du lit”.
Jeu des 7 erreurs entre la façade du Pôle emploi de Vitry installé avenue Rouget-de-Lisle en 2016 et l’entrée de la discothèque dans le clip de Jackpot 2000
Plusieurs chansons des “Princes de la Ville” sont traversées par le figure du déplacement. Par exemple “Hold-up”, qui décrit une course poursuite consécutive à un braquage (“Frein à main, tête à queue, trace avec mes complices, VR6/Compteur 2, 3, 4 et j’sème ta police”). Mais il est aussi question de file indienne, comme à l’ANPE, au début de la chanson : “J’fais la queue comme tout le monde/Mes potes m’attendent deux rues plus loin/J’suis opérationnel dans trente secondes”. Même motif de l’attente, cette fois à l’entrée d’une boîte de nuit, dans “Jackpotes 2000” : “J’me fais tout petit pour pas que le videur me tricard/A l’entrée ça refoule on n’accepte pas les fêtards”;”A cette heure-ci à l’entrée ça doit se tasser”. Et même contraste avec, ensuite, le mouvement, en l’occurrence “les petits pas synchronisés qu’on a répétés à dix”.
Ces trois chansons dessinent ainsi une même chorégraphie alternant immobilité et animation. Chacune de ces phases étant chargée d’un enjeu symbolique diamétralement opposé. L’attente c’est pour les “comme tout le monde”, ceux qui se font “tout petit”, qui veulent gagner “3 pépètes” : c’est le stigmate de la relégation. Le mouvement, c’est donc tout l’inverse : c’est ce qui sied aux “jeunes et ambitieux”, à ceux qui se construisent un monde sans demander la permission, en braquant les banques et les dancefloors.
Le grec
Dans le paysage de banlieue décrit par “Princes de la Ville”, c’est un endroit qui tient une place à part : le kebab. Ou plutôt “le grec”, comme on l’appelait alors, à une époque où l’on payait encore le salade-tomates-oignons en francs5. Il y est fait référence dans la chanson “Main dans la main”, qui voit s’exprimer plusieurs membres de la Mafia K’1 Fry. Et notamment OGB (pour Original Gros Bonhomme), qui lâche une métaphore filée qui sent bon l’huile de friture : “Tu veux trop jouer le grec, moi j’te réduis en cainfri keftas/Appelle les brochettes pour un tas de steaks j’ai de l’harissa/Faudrait pas m’pousser à m’servir de la cainfri recette…”
Le restau grec a surtout le droit à son interlude dédié, situé entre les chansons “Jackpot 2000” et “Face à la police”. Cette saynète d’une grosse minute nous plonge dans la salle du “Grec Bon Appétit” et convoque toutes les images que peut charrier ce type de restaurant. C’est l’endroit où l’on va pour se blinder le bide (“J’ai un rat dans le ventre”), où chaque commande de groupe est une aventure, tant les options sont nombreuses (“Bon, deux grecs… attends… une brochette… Mayonnaise sans oignons”) et, surtout, où l’hygiène est douteuse (“Ne commencez pas à critiquer mes merguez, elles sont là depuis trois semaines…”/“Regarde la table elle est toute crade”).
OGB, encore lui, dans le cultissime clip de « Pour ceux » (2003), qui rappe son couplet en jouant le rôle d’un kebabiste
Cette mythologie du grec, le journaliste Ramsès Keffi l’évoquait joliment, il y a peu, dans les colonnes de Libération :
“Nous fûmes jadis des vadrouilleurs du gras et des piliers de kebabs, dits «grecs» dans Paris et sa périphérie. Certains soignaient l’œuvre, quand d’autres misaient tout sur la mystique. Vous leur demandez ce que contient la viande ? Le patron esquive en levant les yeux au ciel – «Inch’Allah». Vous jetez la barbaque contre le mur ? Elle colle – sur un mur orange. Il vous manque 14 centimes pour la canette ? Le boss se tourne vers son portrait alpagué au-dessus de la porte, en tenue militaire dans une forêt de pins – et vous trouvez bon gré mal gré les 14 centimes. Au vrai, le kebab menait une vie paisible dans les territoires populaires jusqu’à sa surmédiatisation au XXIe siècle.”
Est-ce qu’on peut dater le début de cette surmédiatisation aux 350 000 galettes – et non des pita – vendues de “Princes de la Ville”? Peut-être bien…
Du bonheur de s’enfiler un keu-gré entre potos
Le bled
Parmi les ressorts comiques de la saynète consacrée au grec, c’est aussi le fort accent maghrébin du tenancier, notamment lorsqu’il intime aux clients de “sit down”. Cet accent vient aussi rappeler que les banlieues populaires sont peuplées d’habitants issus de vagues successives d’immigration (“Val-de-Marne, le pourcentage d’immigration/Aussi élevé que tous mes frères qu’ils mettent en prison” entend-on dans “Prince de la ville”). Et que, pour beaucoup de ces banlieusards, il y a l’ici et le là-bas. C’est ce que racontent deux des meilleures chansons de l’album, qui fonctionnent en diptyque : le tube absolu “Tonton du bled”, qui raconte le retour du Rim’K en Algérie, et son pendant “Tonton des îles”, qui raconte celui d’AP en Guadeloupe.
Mood : vacanciers / Attitude : 100% bledards
Les deux titres évoquent une expérience constitutive du banlieusard issu de l’immigration : le “retour au bled” pour les vacances. La chanson de Rim’K raconte avec nombre de détails pittoresques les préparatifs puis le voyage épique vers l’Algérie. Un rituel partagé (“On est les derniers locataires qui décollent”) et exploré avec talent dans l’excellent podcast d’Arte Radio intitulé “La Route du Bled”, dont on recommande vivement l’écoute. Chanson géographique par excellence, “Tonton du Bled” nous amène de la station-service au port de Marseille avant de nous faire explorer Bougie et Oran… “Tonton des îles” n’est pas en reste, en évoquant l’aéroport du Raizet, à Pointe-à-Pitre, mais aussi les quartiers de Boissard et Bergevin et “la case à grand-mère” à Pointe-Noire.
Les deux titres racontent aussi un rapport ambigu au bled. Un sentiment particulier de se sentir à la fois appartenir et d’être en décalage avec la famille du pays. Dans “Tonton des îles” : “Après huit heures de charter, me voilà enfin sur mes terres J’suis déboussolé par le décalage horaire” ; “On ‘ti punch tradition, mais j’ai dit : Non merci tonton/Et lui m’a répondu: Tu t’crois encore en métropole, garçon”. “On m’a dit aussi que j’avais perdu les traditions du pays (i ni lontemps ou pa vini )”. Dans “Tonton du bled”, le refrain suffit à résumer ce sentiment ambivalent : “J’voulais rester à la cité mon père m’a dit Lé, lé, la/Dans c’cas-là j’ramène tous mes amis, Lé, lé, la/Alors dans une semaine j’rentre à Vitry, Lé, lé, la/J’irai finir mes jours là-bas Wah wah wah”.
En 2018, RimK passait apparemment son été à la cité (cf le clip « Air Max » feat Ninho), on pourrait peut-être lui payer des vacances ?
De manière assez symptomatique, les deux chansons font aussi référence aux rêves de mariage au pays entretenus par les parents. Sur le mode comique pour “Tonton du bled”, plus grave dans “Tonton des îles” : “Et toujours cette question, Alors c’est pour quand le mariage ?/Cette manie de maquerellage, ça date depuis l’esclavage”. Comme une tentative un peu désespérée – Rim’K et AP n’ont clairement pas l’air enchantés par l’idée – de recoudre une histoire qui s’écrit désormais de part et d’autre de la mer, de suturer une plaie au cœur entre “là-bas” et “ici”.
Le cinéma
Dernière étape de notre périple : le cinéma. Les salles obscures, en tant que telles, ne sont pourtant jamais mentionnées par le 113 dans “Princes de la Ville”. Mais l’influence du 7e art se fait sentir tout au long de l’album et ce dès son titre, puisque c’est un écho au film d’action éponyme sorti en 1993. La marque du cinéma des années 1990 est aussi directement apposée sur deux chansons qui, ce n’est pas un hasard, se succèdent dans la tracklist : “Hold Up” et “Réservoir Drogue”.
Cette dernière fait évidemment référence à Reservoir Dogs, sorti en 1992. Dans leur chanson, les rappeurs du 113 tissent une histoire de règlements de compte qui rappelle beaucoup l’intrigue emberlificotée du film de Quentin Tarantino. Et leurs protagonistes ont également des noms appartenant tous à un même champ lexical : M. Skunk, M. Cocaïne et Mme Ecsta remplacent les M. Rose, M. Brown et consorts du long-métrage. La chanson du 113 joue sur deux registres, à mi-chemin réel et imaginaire, entre la fusillade hénaurme de film d’action et un discours conscient sur les drogues : “A 3 on tire dans le tas pour se farcir Monsieur Coca/Cet enfoiré bouge plus/Y’aura moins de seringues usagées et de toxs dans ma rue”.
Comme des vraies re-sta
C’est la même musique pour “Hold Up”. A propos de ce titre, Rim’K évoquait, il y a 20 ans chez RFI, une spécificité val-de-marnaise : “Dans le 94, le département où on vit encore aujourd’hui, le hold-up est quasiment un sport régional”. Une affirmation qui pourrait passer pour une fanfaronnade, mais qui a sa réalité : Vitry-sur-Seine et sa voisine Choisy-le-Roi faisaient à l’époque figure de repaires de braqueurs, dont le représentant le plus célèbre n’est autre qu’Antonio Ferrara, le roi de la belle. Pourtant, le hold-up décrit par les rappeurs vitriots tient moins du documentaire que du film de braquage à grand spectacle, dont le chef-d’oeuvre du genre, Heat, est sorti en 1995, quatre ans à peine avant l’album du 113. Le film de Michael Mann qui est, lui aussi, une grande oeuvre géographique sur la ville6…
- AP et Rim’K [↩]
- Le phénomène est bien sûr toujours d’actualité si l’on suit les imaginaires du rap actuel. Dans son clip « ORgueilleux », le jeune rappeur Koba la D fête son disque d’Or, reçu pour récompenser son premier album VII (pour le bâtiment 7 du Parc aux Lièvres à Evry dans le 91, son QG. Le « bat 7 » a même un compte Twitter. Le hall d’immeuble y est personnifié et c’est très drôle) en simulant une remise de prix officielle par le maire fictif de la ville. Le disque d’or est alors accroché dans le hall du bâtiment 7, et Koba scande littéralement « ça y est, le disque d’or est dans le bat 7 » dans un refrain entêtant. [↩]
- dont l’incontournable bus 183, ligne essentielle dans la naissance du collectif de la Mafia K’1 Fry auquel appartient le 113 [↩]
- rappelons nous que “le maire est une pince” [↩]
- Pour en connaître tout un rayon sur la place du kebab en France, voir l’étude récente : « Des dimensions politique, socioculturelle et territoriale du kebab en France » by Jean-Laurent Cassely, Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach pour la Fondation Jean Jaurès [↩]
- voir ici ou ici [↩]
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