Par leur régularité, et donc leur obligation à « coller au réel », les séries sont peut-être l’un des meilleurs miroirs des mutations urbaines en cours. Nous l’avions vu, par exemple, avec la sitcom Happy Endings, et son regard caustique sur la gentrification, ou encore avec l’excellent Parks & Recreation, sur la joyeuse absurdité des gouvernances territoriales. C’est aujourd’hui au tour de The League d’être ici décryptée, pour sa vision éminemment prospective du travail mobile…
Avant toute chose, précisons d’emblée que The League n’est pas une série franchement recommandable. Particulièrement vulgaire, souvent très bordeline, la série souffre en plus d’une tare bien spécifique : elle met en scène une bande d’amis s’affrontant dans une partie de fantasy football, c’est-à-dire de football américain virtuel. Autrement dit, elle est bourrée de références obscures et incompréhensibles pour la plupart des profanes (pour les curieux, quelques explications ici).
Nous vous épargnerons donc une présentation à rallonge de la série elle-même… Surtout que, dans le cas présent, le contexte importe finalement assez peu. On se contentera donc de résumer la séquence qui nous concerne ici. On y découvre en effet le siège de l’agence matrimoniale créée par Taco MacArthur, jeune entrepreneur à la conception du monde un peu particulière. En l’occurrence, son entreprise est ici domiciliée… dans un camping-car, logiquement baptisé « Taco’s Truck ».
Bien sûr, le motif comique de cette domiciliation incongrue repose sur le personnage de Taco MacArthur, sorte de hippie-pervers contemporain. Il n’en reste pas moins que cette apparition reflète une tendance émergente dans nos sociétés hypermobiles… ou, plus exactement, une tendance qui repointe le bout de son nez après avoir connu de belles années d’esbrouffe dans les années 1990-2000. Les concepts de « travail mobile » ont en effet le vent en poupe, portés par l’émergence de nouveaux services – notamment numériques, mais pas uniquement. Le Taco’s Truck ici présent vient nous le rappeler avec fracas.
Souvent affiliés à des services essentiellement numérique, le travail mobile recouvre pourtant des réalités physiques très concrètes, que l’on a parfois tendance à occulter de ces sujets habituellement très éthérés. La question du télétravail au domicile, par exemple, s’avère intimement liée à celle de l’habitat – et donc à tous les métiers qui s’y rattachent : des promoteurs immobiliers aux fournisseurs de mobilier, en passant par les enseignes de décoration et les architectes d’intérieur.
Il en va de même pour celle du travail « automobile », c’est-à-dire de la transformation des véhicules en bureaux. Véritable chimère des constructeurs automobiles dans les années 90 – c’est-à-dire à l’aube des technologies connectées -, le sujet s’était progressivement fait plus discret… avant de renaître de ses cendres dans les années récentes, avec l’émergence de technologies plus viables, de la voiture intelligente, mais aussi la quête de nouveaux modèles économiques pour les constructeurs échaudés par la crise. On peut même remonter aux années 50 pour retrouver la trace de ces imaginaires, évidemment liés au mythe de la voiture sans conducteur… Transit-City possède d’ailleurs un solide corpus documentaire sur la question, recensant publicités, projets de design ou bandes dessinées qui toutes mettent en scène une même idée-maîtresse : une auto, c’est aussi un bureau.
Dans The League, cette formulation se concrétise de manière très littérale. Le Taco’s Truck dispose même de deux espaces distincts : un guichet dans la remorque située à l’arrière, et une salle de réunion à l’intérieur du camping-car. C’est ici que se décide donc le destin de l’entreprise, avec une table / planche à repasser que ne renieraient pas les adeptes de la culture Do It Yourself…
Certes, ces locaux sont loin d’avoir le cachet esthétique des projets de design évoqués plus haut. Mais leur seul présence suffit à en faire les porteurs d’un imaginaire innovateur. C’est précisément en comparaison avec le reste de la série (à la différence de Taco, tous les autres personnages sont engagés dans une vie de quadragénaire on ne peut plus standardisée), que le Taco’s Truck révèle toute sa puissance « disruptive » – au sens littéral comme au figuré. Celle-ci est d’ailleurs relayée par le design bariolé-bricolé, faisant de ce local improvisé une sorte de symbole de la ville agile.