L’outil cartographique a le vent en poupe depuis quelques années : qui peut le nier ? Les technologies numériques et la production de datas qui en découle ont fait décoller les recherches, innovations et expérimentations autour de la carte. Cet essor semble répondre aux multiples critiques traditionnellement formulées à l’égard de la carte “à l’ancienne”, à savoir son caractère figé, complexe et faussement universel. Et permet d’imaginer d’autres mécaniques pour redonner un coup de jeune à cette carte. En la gavant de culture pop, par exemple ?
Et sinon, vous voulez pas télécharger l’appli les mecs ?
Il y a trois ans déjà, nous avions défriché le sujet en rappelant ce que les mécaniques utilisées par le jeu vidéo pourraient apporter à la carte : sinon un mode de pratique révolutionnaire, au moins un soupçon de “fun”. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et le lien entre carte et univers vidéoludiques semble désormais bel et bien ancré dans l’imaginaire collectif.
Tandis que se crée un jeu vidéo basé sur Google Maps, les amateurs de pixel art, de rétro-gaming (devenant à terme ce qu’on peut appeler du “geek washing”), et même de jeux de plateau ne s’arrêtent plus de cartographier façon fan-art.
Dans le même temps, la pratique de la ville réelle ne fait que se “gamifier”, entre jeux de piste, Monopoly grandeur nature et autres expériences transmédia plus ou moins farfelues… D’un autre point de vue, le jeu-vidéo d’aventure, “blockbuster” contemporain, apparaît comme essentiellement en 3D et open-world. S’il n’est pas nécessairement “urbain”, il développe toujours plus le décor parcouru comme une plate-forme relativement praticable. La cartographie vidéoludique en est donc transformée, pour le meilleur et pour le pire.
Minecraft, dessine-moi une carte
Et pourtant, malgré tout, ces inspirations carto-ludiques manquent encore cruellement d’ambition. Les jeux vidéo constituent un média particulièrement riche, pouvant nourrir le principe traditionnel de la carte. Et si l’on mettait dans la carte tout ce que le jeu vidéo a à lui offrir, et pas simplement quelques pixels pour faire cool ? Autrement dit, si les gamers cartographiaient *vraiment* le monde, ça donnerait quoi ?
A l’heure où la “personnalisation” des pratiques, des objets, des lieux etc. est devenue un principe culturel occidental majeur, la carte semble de plus en plus constituer un medium clé pour éditorialiser sa vie quotidienne, à l’image de celle des personnages/avatar de jeux vidéo. A quoi ressemblerait une carte/avatar dans le monde réel ? En s’inspirant d’un certain nombre de mécaniques vidéoludiques méconnues ou sous-exploitées, on pourrait ainsi :
– Concevoir un service de mapping égocentré, fondé sur ses propres traces
Le système de “fog of war” – brouillard de guerre -, qu’on évoquait il y a trois ans, trouverait ainsi toute sa pertinence en caractérisant les espaces inconnus par le citadin-cartographieur.
Dans le jeu Minecraft, par exemple, le personnage évolue dans un monde pouvant atteindre jusqu’à huit fois la superficie de la Terre. Le joueur avance normalement sans carte, ce qui lui “permet” d’errer, de se perdre, mais surtout l’oblige à développer des astuces pour se retrouver dans l’immense espace disponible…
Après deux jours d’exploration, on va aller se coucher.
Il est possible de développer de multiples moyens pour y parvenir :
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constructions et aménagements divers, stratégiques et reconnaissables (construire des vigies visibles de loin, par exemple) ;
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en activant la touche F3, visualiser les directions cardinales et les coordonnées géographiques au cours du déplacement ;
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fabriquer (d’où le principe essentiel du crafting dans ce jeu, traduit par “artisanat”) une boussole et une carte…
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ou encore télécharger un logiciel de cartographie permettant de visualiser à l’infini les mises à jours du monde parcouru par le joueur…
Même en acquérant des repères spatiaux – par toutes les manières -, la sérendipité propre à Minecraft n’en perd pas moins de sa force.
– S’inspirer du design naïf des cartes 16bit afin d’optimiser la visualisation de l’espace connu
Ces cartes se constituent essentiellement d’éléments de décor simplifiés, évocateurs et symboliques. C’est ce qu’on appelle le principe du “skin” (texture graphique). Dans cette continuité, donner un vaste panel de calques de données, et d’icônes graphiques fonctionnelles permettrait d’éditorialiser l’espace connu sur ce support cartographique personnalisé. On pourrait par exemple imaginer que les lieux les plus fréquentés, comme le domicile de ses amis, puisse être littéralement étiquetés avec le nom de la personne…
La ville britannique de Ipswitch, designée avec les graphismes de Zelda 3, par l’artiste The Decibel Kid
– Inclure le principe de “quantified self”
Très en vogue et inspiré des principes de leveling (montée de niveau) et de scoring (gains de points) propres aux jeux vidéo, cette tendance consistant à quantifier des actions réelles (ex. nombre de calories consommées dans la journée) est aujourd’hui très en vogue. Les systèmes de gamification les plus utilisés aujourd’hui dans différentes sphères (marketing, éducation, etc.) s’inspirent bien souvent de l’un ou de l’autre.
Dans le cadre de la carte, on pourrait alors s’imaginer faire le décompte de ses pas (à l’instar du Pokewalker, le podomètre estampillé Pokémon), des raccourcis de trajet découverts, récompenser détours et pauses dans la ville, etc. L’inclusion de ces systèmes constituerait ainsi un moyen pour rendre “plus désirables” des déplacements quotidiens.
Cliquer sur l’image pour voir la vidéo [2.41 min], qui illustre le très bon article « Etat de l’art, espace 3D et navigation » de Dominique Cunin
A n’en point douter, ces trois exemples montrent la pertinence de ces liaisons vertueuses dans le renouveau de ce médium séculaire qu’est la carte. Il y en aurait sûrement bien d’autres à imaginer ; n’hésitez pas d’ailleurs à proposer vos mécaniques carto-ludiques en commentaire si le sujet vous inspire. Nous, on retourne à notre pioche en diamant.