Thanatopraxie urbaine
+ street-marketing
+ réalité augmentée
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(via)
Souvenez-vous : il y a quelques mois, je proposais sur ce blog le concept de thanatopraxie urbaine :
Il s’agirait donc d’imaginer des objets ou des services urbains permettant de mettre en scène, dans l’espace public de la cité, la mémoire de ces morts
Plus précisément,
il s’agira de mettre les morts ‘à disposition’ des vivants. Pour cela, il convient de rendre les avatars des morts ‘présentables’ ; pas pour leur bon plaisir, mais afin de les rendre utiles aux utilisateurs qui souhaiteraient entrer en interaction avec leurs ‘mémoires’. Autrement dit, il s’agira de les rendre opérants et ‘interactivationnables’.
L’application moscovite Death Revealer en est (à ma connaissance) l’une des premières applications concrètes. Imaginée par l’agence Leo Burnett Russie pour le magazine The Village, l’application mêle habilement la réalité augmentée exploitée à des fins artistico-militantes (comme ici), avec les concepts du Crash-vertising, dont le cynisme n’a d’égal que l’intelligence comique.
Comme souvent avec la réalité augmentée (voire ici), l’idée est d’une telle simplicité qu’on se demanderait presque pourquoi cela n’a pas été fait avant. Et dans le cas présent, pourquoi cela n’a pas été fait par une institution responsable de la sécurité routière…
Utiliser la visualisation des morts n’est pas une idée neuve, en particulier lorsqu’il s’agit d’accidentologie. Cette application n’est finalement qu’une déclinaison naturelle des traditionnelles campagnes de prévention auxquelles nous sommes désormais (malheureusement) habitués, voire des silhouettes fleuries installées sur le bord des routes. Ce pourrait d’ailleurs être une v2 de l’application : permettre aux citadins de fleurir les « tombes » ou de laisser un message de compassion.
Si la représentation des accidents est relativement paisible, la campagne de lancement de l’application elle-même était par contre beaucoup plus… agressive :
Que dire de cette initiative ? A priori, rien de bien méchant. A bien gratter, il n’y a d’ailleurs rien de vraiment très révolutionnaire dans cette campagne, et c’est précisément ce qui fait sa force. Il me semble que l’on est toutefois en droit de s’interroger sur cette réappropriation d’un domaine public (la sécurité routière) par une entreprise à des fins indirectement mercantiles. Rien d’étonnant : on retrouve le même principe dans le limpide « Marketing is urbanism » de Pop-Up City, appliqué par exemple aux ravalements de façades carolorégiens.
Doit-on s’en satisfaire, ou faut-il crier au loup parce que la pub s’empare de ces « domaines réservés » ? La réponse est évidemment entre les deux : sans alarmisme, il me semble nécessaire de rester méfiant face à cette discrète colonisation de la sphère publique qui, rappelons-le, profite surtout du vide laissé par les Etats et institutions responsables de ces champs d’actions (l’exemple russe sur la sécurité routière est frappant).
Accessoirement, utiliser les morts pour promouvoir un produit marchand me semble d’un goût quelque peu douteux, mais rien de très méchant sur ce coup là. Après tout, c’est tout l’enjeu de la thanatopraxie urbaine que de lever le tabou de la mort dans l’espace public…
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Ah, tiens : Guy Birembaum en a parlé il y a deux mois. Je suis vraiment trop old, comme garçon !
La sociologie de l’art et la culture explique aussi certains aspects de notre rapport au corps et à la mort, nos tabous. Par exemple la sociologue Sylvia Girel approche cette problématique depuis des années par la recherche sur l’art. Ex. ici http://girel.supportscours.free.fr/corps.htm
Effectivement, une belle ressource ! Merci.