Pour les prospectivistes férus de sportivités que nous sommes, il est foutrement passionnant d’observer comment l’imaginaire du sport de plein air s’est progressivement transformé, au cours des trente dernières années, pour se rapprocher du quotidien « urbain » des sportifs amateurs. Du jogging au football en passant par le golf et même le snowboard, les représentations dominantes (en particulier dans le marketing du sport) font aujourd’hui la part belle au bitume, après avoir longtemps été obnubilées par la nature et les grands espaces. Ce changement de paradigme s’explique de mille façons, se matérialisant dans mille spots publicitaires qui tous respirent la même odeur de béton brut.
Mais, en poussant plus avant le prisme de nos auscultations urbaines, il est encore plus passionnant de décrypter la manière dont la ville est précisément représentée dans ces imaginaires en question, en particulier dans leur versant publicitaire. C’est à cette tâche aussi jouissive qu’instructive que Théo Gasquet, étudiant en management de la communication au CELSA, s’est attelé cet été, sous la direction de l’ethnologue Emmanuelle Lallement. En tant que rapporteurs professionnels, nous avons eu le plaisir d’assister à la soutenance de son mémoire portant sur les « significations et représentations de l’urbanité dans la culture de marque de Nike ». Un bien beau sujet qui dépasse le simple cadre de la case study, pour aborder celui plus vaste de la porosité accrue entre les sphères urbanistiques et les marques. Avec en creux, inévitablement, la question du marketing territorial.
Le mémoire de Théo, qu’il nous fait le plaisir de proposer en lecture ci-dessous, est ainsi sous-titré : « Performer (dans) la ville ». Comme il le montre au cours de son travail, Nike cultive au détour de ses spots et campagnes un imaginaire du sport qui n’est jamais totalement sportif, et toujours empreint d’une urbanité plus ou moins explicite. Ce faisant, le sport en sort muté ; d’aucuns diront dénaturé, nous préférons dire « transcendé ». On retrouve là une pratique évoquée par Stephen des Aulnois, runner pour Adidas, dans l’interview qu’il nous a accordée en début de semaine :
« Finalement courir en ville, c’est comme se déplacer à vélo : tu as l’impression de dépasser le flux. Tu n’es pas inactif comme dans les transports, et tu n’as pas l’impression de te faire “bouffer” par la ville. Tu es dans une dynamique à l’image de ton environnement, un espace speed et grouillant. »
Ce territoire « speed et grouillant » l’est précisément parce que des sportifs s’y activent… Et c’est là toute la magie de cette juteuse hybridation entre villes et sports, que s’accaparent Nike et ses consœurs avec un talent certain. Car en fond se pose une question fondamentale : et après ? Comment les publicitaires du sport, aujourd’hui rejetés des centre-villes, vont-ils faire pour toucher leur audience ? La réponse est toute trouvée : en dépassant la seule récupération des imaginaires urbains, pour se transformer en acteurs urbains à part entière. La transition est déjà bien entamée dans d’autres secteurs ; elle n’attend que le sport pour défricher un nouveau paradigme.
Vous trouverez ci-dessous, comme promis, le brillant mémoire de Théo Gasquet. Vous pouvez lui faire part de vos réactions dans les commentaires de ce billet. Et bien sûr, si vous souhaitez encore approfondir le sujet, n’hésitez pas à fouiner dans nos archives… Vous pouvez d’ailleurs en profiter pour feuilleter le mémoire d’Aude Castan, autre étudiante du Celsa, sur un sujet finalement assez proche : la réappropriation de la ville intelligente par les marques.