Afin de mieux vous plonger dans cette excursion au fin fond du Japon rural, commençons par vous présenter le scénario et les personnages principaux de la série. Tout démarre à Tokyo lorsque la protagoniste Yoshino Koharu est reçue au poste de « reine »1 de Manoyama (un village inconnu au bataillon à ce moment là de l’intrigue), après avoir essuyé une poignée de refus. Elle ne se souvient pas avoir postulé à ce poste mais, après tout, c’est le seul job qu’elle a décroché. Et c’est a priori pour une journée seulement, donc l’occasion est bonne au moins pour changer d’air et se mettre au vert.
Le décor est posé
Accueillie sur place par l’équipe de l’office du tourisme, il semble que le recrutement soit une erreur, mais le contrat est tout de même signé et Yoshino joue le jeu, moyennant salaire. Au terme de la journée, cette dernière apprend que le poste dure finalement un an, et non pas un jour. Dépitée, elle cherche d’abord à repartir pour Tokyo (sans succès, car les trains ne passent plus après 21h), mais se fera finalement convaincre de tenter l’expérience.
Gros risque, en effet.
Durant son année de salariat, la jeune tokyoïte est amenée à faire équipe avec quatre autres filles d’à peu près son âge, locales ou expatriées d’une métropole, comme elle. En compagnie de cette team qui fonctionne plutôt bien, l’expérience campagnarde sera finalement plus douce et plus enrichissante que prévu.
Au centre : Yoshino, l’héroïne.
A sa droite : (en haut) Sanae entrepreneuse web originaire de Tokyo qui a déménagé à Manoyama pour échapper à la vie citadine ; (en bas) Shiori est originaire de Manoyama et membre du comité de tourisme, elle connaît bien la ville et est la plus naïve/positive de toutes.
A la gauche de Yoshino : (en haut) Maki est une comédienne amateure, célèbre localement pour un petit rôle dans une série TV. Elle s’engage dans le projet car elle doute de son avenir ; (en bas) Ririko est la petite-fille de la présidente du quartier marchand de Manoyama (propriétaire de la boutique de confiseries). Elle est timide et un peu « weird ».
Voici comment l’émission de TV venue faire un reportage sur cette équipe de choc présente les cinq millenials: « Les nanas qui voulaient redonner vie à la ville »
Ensemble, elles soulèveront une multitude de moyens et surmonteront de nombreux obstacles pour examiner toutes les mises en œuvre possibles afin de redonner un peu de vie et de cachet à Manoyama. En 25 épisodes de 25 minutes, Sakura Quest explore ainsi toutes les manières ou presque pour revitaliser un village de campagne en perte de vitesse, mais surtout se services, d’attractions et de commerces.
Petit point financement
Au détour de ces multiples tentatives, échecs et réussites, les cinq jeunes filles seront confrontées à différentes situations proprement rurales, ainsi qu’à divers personnages récurrents, comme le directeur grincheux du comité de tourisme de Manoyama (le supérieur direct de Yoshino), le (seul) conducteur de bus de la ville, ou la fille de la tenancière du café de Manoyama, ado en crise qui rêve d’horizons tokyoïtes (et cauchemarde de ne jamais bouger de sa bourgade natale).
Le plus motivé de tous (et le rival historique de la présidente du quartier marchand)
Une définition sympathique de l’héroïne dans la bouche du conducteur de bus
L’âme la plus dark du village
En unissant leurs forces et leurs faiblesses, les cinq filles devront tâtonner une année durant pour secouer Manoyama et ses habitants relativement enthousiastes et volontaires à l’idée de voir bouger leur patelin aussi verdoyant que vieillissant. Dans la partie qui suit, on essayera de vous inspirer avec une sorte de petit catalogue d’initiatives mises en place à Manoyama au cours du contrat de Yoshino.
Pas facile facile la concertation avec les habitants
La petite ville qui rêvait d’attractivité et de vitalité
S’il serait bien trop long d’énumérer toutes les résolutions et actions entreprises par les jeunes filles pour réveiller le phénix des rizières de Manoyama, on peut vous dresser une liste désordonnée des plus marquantes. Sont mis en place ou proposés, en vrac : un blog de marketing territorial, le tournage d’un film de zombies, un festival traditionnel ressuscité, un forum de discussions pour les seniors, une chaîne Youtube, un concours de mascottes communales, un concert de J-Rock, une pièce de théâtre inspirée d’une légende locale, la transformation de maisons vides en résidences pour femmes, une navette à la demande, une weekend-rencontre entre célibataires, un quiz sur la ville, la vente de spécialités culinaires locales, la mise en valeur de savoir-faire anciens…
Jean-Michel Défaitiste
A travers l’ensemble de ces projets, un certain nombre de problématiques propres aux campagnes, et plus particulièrement aux campagnes japonaises, se dessinent alors tout au long des épisodes. On retrouve ainsi tous les sujets notoires de la crise rurale que l’on côtoie dans une certaine mesure chez nous. Ci-dessous, notre sélection de captures d’écran thématisée selon les grandes vicissitudes traversées par ces territoires .
-Lorsque l’on parle de la crise des campagnes, la question des mobilités est inévitablement évoquée. Souvent mal desservis par les transports en commun, un certain nombre d’initiatives sont alors testées ici et là pour tenter de réduire ces contraintes et améliorer la vie locale pour les personnes les plus isolées.
Pour une jeune fille venue de Tokyo, la confrontation avec la réalité des horaires de train est rude
Souhait nocturne pour un voyageur rêveur
Et il n’y a pas que la les mobilités du quotidien dans la vie… C’est au moment de la mise en place d’un gros festival que les organisatrices se rendent compte que le maillage existant ne suffira pas pour balader tous les festivaliers…
Lorsque les transports en commun font défaut, les habitants n’ont plus qu’à s’organiser entre eux pour palier la défaillance d’un service public… #CovoituragePop
L’ado du village toujours là pour plomber l’ambiance ! La question des véhicules autonomes est abordée à plusieurs reprises au cours de la série, toujours pour mettre en concurrence la ligne de bus, chère au jeune conducteur.
-Autre question sous-jacente à l’enclavement des territoires ruraux : celle du vieillissement de la population, qui va de paire avec une perte d’habitants grandissante de ces zones. Dans la série, le phénomène est vécu de différents points de vues.
Challenge Accepted : mettre en place un incubateur de naissances dans la région ?
C’est globalement l’idée lorsque est organisée une série de « dates » entre des femmes venues de l’extérieur et des hommes célibataires de Manoyama…
Pas le temps pour le futur, les seniors de Manoyama veulent des solutions concrètes ici et maintenant !
Quand tu rêves d’ouvrir une boutique de fringues branchées mais qu’il n’y a que des vieux et des champs de riz… L’une des principales sources de déprime d’Erika c’est de se dire qu’ici la population ne sera jamais renouvelée.
L’une des conséquences de cette dépopulation, c’est la multiplication des espaces vides et abandonnés. Ci-dessus, les salariés de l’Office du Tourisme de Manoyama discutent de la démolition des habitations inoccupées.
Et finalement, pourquoi ne pas reconvertir ces espaces pour attirer des gens de l’extérieur ?
-En parallèle des maisons vides et du vieillissement de la population, la question de la dévitalisation commerciale (que l’on ne connaît que trop bien chez nous dans le contexte des centres-villes des petites et moyennes communes) est évidemment évoquée dans Sakura Quest sous différents aspects.
Hum… ça ne vous rappelle pas quelque chose ?
Un centre-ville dévitalisé fout-il la honte ? Les filles hésitent en effet à l’assumer devant des visiteurs extérieurs…
Le conducteur de bus et le libraire de Manoyama sont d’accord pour dire que les attractions touristiques et autres événements éphémères ne sauveront pas les commerces existants. La solution est au cœur des pratiques des habitants.
Dans cette scène, l’héroïne comprend enfin les enjeux de désertification commerciale en se rendant compte qu’elle a pris de mauvaises habitudes pratiques en délaissant le centre-ville pour la grande surface de périphérie
La team des commerçants, prêts à tout pour revaloriser leurs enseignes
La reconversion des espaces vides, ça ne vaut pas que pour les logements ! L’école primaire de la ville est elle aussi vacante, et petit à petit réinvestie par des projets culturels, artistiques et commerciaux
-Evoquée à plusieurs reprises dans les screens précédents, la question de l’attractivité touristique est centrale dans la série. C’est même la mission première de Yoshino lorsqu’elle est recrutée en tant que « reine du Royaume de Chupacabra » (ancien micro-état situé à Manoyama) par Ushimatsu Kadota – patron de l’office du tourisme et incarnation du monstre-mascotte de Chupacabra.
En nommant une nouvelle reine de Chupacabra, le vieux grincheux de l’Office de tourisme rêve de faire revivre cette contrée légendaire et d’en retrouver la prospérité, notamment touristique
Peu d’espoir a priori, mais beaucoup de travail et de rencontres feront changer Yoshino d’avis
Finalement, le plus gros événement organisé pour tenter de rendre attractive Manoyama est un festival tout ce qu’il y a de plus classique. L’opportunité exceptionnelle de faire venir un groupe de musique ultra populaire auprès des jeunes changera nettement la donne en surchargeant d’un seul coup les rues habituellement vides de la petite bourgade
Manoyama a-t-elle vu trop gros ? Lorsque les infrastructures ne suivent pas, il n’est pas forcément souhaitable d’attirer trop de gens pour un événement, quand bien même le lieu accueillant manque a priori de visites et de vivacité au quotidien…
-Cela va de soi, faire venir des touristes et curieux dans un territoire isolé et discret implique d’avoir des choses à montrer, à faire découvrir… La mise en valeur du patrimoine local compte de fait parmi les chantiers récurrents de l’équipe de cinq filles de Manoyama. La liste des actions réalisées en ce sens est longue, mais en voici quelques unes.
Tout commence avec une sombre histoire de gâteaux traditionnels à écouler en un temps record, mais c’est un échec cuisant
Et si on ressuscitait la vieille mascotte de la ville, qui s’appuyait sur la culture traditionnelle du navet ?
Après une poignée d’épisodes centrés sur la redécouverte une forme d’artisanat local toujours d’actualité (la sculpture sur bois), un ranma est installé dans la gare de Manoyama afin de mettre en valeur ce savoir-faire aux yeux de tous les voyageurs
Avec une offre pareil, ce vieux grincheux est à deux doigts de créer la box « découverte romantique de Manoyama » à destination des touristes
-Enfin, l’un des aspects que l’on retrouve tout au long de la série pour essayer de revitaliser/développer Manoyama, c’est la modernisation des moyens de communication – internes ou externes.
Les réunions de concertation semblent bien ancrées dans les pratiques politiques locales
L’introduction de tablettes à destination des seniors influencera un certain nombre de leurs pratiques socio-politiques (pour le meilleur et pour le pire)
Pour différentes raisons, la présence d’une web développeuse dans l’équipe est une aubaine pour divers projets
Sur les questions d’innovation numérique et technologique comme levier, la série développe également un personnage intéressant d’inventeur un peu fou qui passe son temps à fabriquer des machines individuelles étranges censées faciliter la vie locale. Finalement, chacune servira ponctuellement à animer un événement ou impressionner les curieux, mais aucune ne s’imposera comme symbole d’innovation locale.
-Plus généralement, la série met de fait en scène l’énergie du groupe de filles, de l’office du tourisme ou de toutes les entités motivées pour faire bouger les choses à Manoyama. Par ailleurs, tous les freins et obstacles au changement sont également explicités à travers cette fiction (ce qui la rend d’autant plus réaliste et enrichissante).
LA BASE
En 26 épisodes, vous pensez que les filles baissent les bras combien de fois ?
Ce que l’on retient de tout ça, c’est que même si Manoyama semble se chercher encore et encore à travers tous les projets évoqués au cours de la série, il est indubitable que cette petite commune en perte de vitesse se montre pleine de ressources. Tout en montrant un patchwork des différents freins et difficultés que traversent les territoires ruraux japonais, Sakura Quest est un vivifiant catalogue d’inspirations et une rafraîchissante lecture pop de questions socio-éco-urbanistiques que nos métiers côtoient quotidiennement à propos de certains territoires.
La campagne, un refuge loin des bruits de la ville
Si encore bien d’autres exemples d’initiatives et de problématiques vécues par les régions rurales pourraient être relatés à travers cette série, Sakura Quest pose plus généralement la question des modes de vie urbains et ruraux. Qu’est-ce qui est le plus souhaitable entre les deux ? Un territoire peu dynamique et isolé où l’on peut prendre soin de soi et se loger pour pas cher ? Ou bien un espace saturé d’activités et de services où l’on court après l’espace, le temps et l’air frais ?
Une chose est sûre : la web développeuse a gagné au change en venant s’installer à Manoyama. Il nous faudrait plus de Sanae pour repeupler les campagnes
La vérité sort de la bouche des personnes âgées (ou pas)
Pour l’héroïne, ce n’est pas la même évidence que Sanae. Son cœur balance entre Tokyo et la campagne, et c’est parfois un questionnement douloureux (dur dur de faire des choix d’adulte…)
En choisissant de traiter de ce sujet très actuel au Japon comme en France, Sakura Quest s’inscrit inévitablement parmi les œuvres de fiction que l’on vous recommande chaudement. Tout ceci fait évidemment écho à une situation critique au Japon, malgré certaines initiatives connues mise en place pour tenter de repeupler les campagnes ou dynamiser ces territoires à coup de partis pris écolo ou misant sur l’innovation. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que nous évoquons sur le blog la question des campagnes japonaises à travers une série animée. Pour le plaisir, vous pouvez toujours relire notre rebond sur Dagashi Kashi et son magasin de bonbon perdu au fin fond de la cambrousse, ou bien consulter cet article sur les pèlerinages ruraux dans les décors réels d’univers fictifs.
Bref, que vous soyez simple résident ou élu d’une collectivité, une agence d’aménagement ou un urbaniste en herbe, dites vous qu’une vingtaine d’épisodes de dessin animé c’est toujours plus sympa que de feuilleter un rapport d’étude de 100 pages ! Alors regardez les, et dites nous si ça ne vous donne ni envie d’en visionner un remake français (Cœur de Ville Quest ?) ni envie de revoir votre mode de vie à la hausse (que vous soyez citadin·e ou campagnard·e)…
- En gros un rôle symbolique qui s’apparente à celui d’une « ambassadrice » de la ville, avec un aspect développement économique, serviciel, et culturel fort [↩]