Depuis mercredi soir et pendant une semaine, les Juifs du globe célèbrent Souccot, aka la « Fête des Cabanes ». Si vous avez la chance de vivre dans un quartier à forte communauté juive (ce qui est le cas de l’auteur de ces lignes), vous avez peut-être croisé des cabanes recouvertes de végétation au détour d’une rue. En effet, comme son nom l’indique, Souccot invite les Juifs à résider pendant la semaine (au moins pour les repas) au sein d’une « soukka« :
« Selon la Halakha, la soukkah est une structure consistuée de 2½, 3, ou 4 murs, et d’un toit en matériaux organiques qui ont été déconnectés du sol. Elle doit avoir au moins 1 mètre de haut, et son toit doit donner au moins en partie sur le ciel. Une soukkah peut être construite sur le sol, sur un porche ouvert ou un balcon, ce qui soulève des questions juridiques lorsque cela a lieu dans une copropriété. «
Ci-dessus : Rue des Ecouffes à Paris.
Ci-dessous : sur un balcon à Jérusalem (source : Wikipedia)
Certaines souccot s’avèrent moins sémillantes, mais tout aussi fonctionnelles. Voici par exemple le cas d’une soukka taille géante, croisée hier sur l’Avenue de Flandres dans le XIXe arrondissement de Paris, et qui a inspiré ce billet. Pas aussi séduisante que ses consœurs photographiées ci-dessus, certes, mais son intérêt est ailleurs. Vous remarquerez par exemple la présence de palettes en bois, qui ne sont pas sans rappeler foultitude de projets de « hacking urbain » et autres « bricolages » qui font le bonheur de notre veille depuis quelques années déjà…
Ce qui nous amène directement au propos de ce billet. Vous en connaissez beaucoup, vous, des événements qui *institutionnalisent* à ce point la construction de cabanes en ville ? En regardant cette noble fête au prisme de nos réflexions purement urbanistiques, la soukka prend dès lors une toute autre dimension : elle devient ainsi un avatar de la réappropriation éphémère des espaces urbains que nous appelons de nos vœux, s’incluant de fait dans la vaste galaxie de la « ville agile ».
En effet, Souccot offre une matérialisation très concrète de nos rêves d’enfants, en faisant sortir de terre (ou plutôt du bitume) des cabanes en bois jusqu’alors accessibles uniquement en forêt. Quand on y pense, la soucca n’est-elle pas une version séculaire du « pop-up » urbain ? (pop-up stores, etc.)
Ci-dessus : sur les balcons de Brooklyn à New York (source : JewPop)
Ci-dessous : dans les rues de Jérusalem (source : Cool Israël)
On y retrouve en effet tous les codes qui fondent la culture du bricolage urbain : constructions éphémères faites de bric et de broc et privilégiant l’usage de matériaux organiques (et notamment de végétaux, chose bien trop rare dans l’univers des cabanes en bois ^^). Les exemples ci-dessus soulignent aussi la manière dont les souccot viennent littéralement se « greffer » à la morphologie du bâti, précepte fondateur du hacking urbain. En ce sens, la soucca s’avère un archétype exemplaire de la culture DIY (« Do It Yourself »), qui s’impose de plus en plus comme modèle de construction urbaine parfaitement légitime.
La soukka pousse même le vice jusqu’à s’inscrire dans l’ère du flux, à la manière de ces pop-up stores en mouvement qui sillonnent depuis quelques temps les métropoles du globe (food trucks et autres cafés mobiles pour hipsters torréfiés). La preuve avec les célèbres « soukka-mobiles » que vous avez peut-être déjà croisées dans vos rues :
Des soukkot portables ont été inventées pour ceux qui ne possèdent pas la place suffisante, ou sont en voyage, afin de pouvoir consommer leurs repas.
Il est toujours amusant de voir se croiser des tendances émergentes (ici la hype des bricolages urbains) et des pratiques ancestrales, qui sont autant d’inspirations pour penser la ville autrement. Cela nous invite d’ailleurs à un soupçon d’humilité : qu’importe les mots que nous mettons dessus, ce que nous voyons « naître » dans l’espace urbain n’est jamais véritablement nouveau. La soukka en est la preuve, comme tant d’autres objets urbains que nous croisons parfois sans même les remarquer… A en juger par les photographies placées dans ce billet, l’urbanisme contemporain aurait pourtant beaucoup à apprendre de cet art juif de la cabane urbaine !
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Bonus : un joli florilège de souccot à Jérusalem, à visionner sur The Peanuts Gazette :
Plus épatant encore, un concours de design a été organisé en 2010 à New York pour réinventer la traditionnelle soucca à l’aune de matériaux et tendances contemporaines. « Sukkah City« , c’est son nom, proposait ainsi imaginer des souccot débridées dont la gagnante serait installée au cœur de la ville, évidemment marquée par une forte population juive :
‘Sukkah City’ is an international design competition to re-imagine this ancient phenomenon, develop new methods of material practice and parametric design, and propose radical possibilities for traditional design constraints in a contemporary urban site. One structure will be chosen by New Yorkers to stand and delight throughout the week-long festival of Sukkot as the People’s Choice Sukkah of New York City.
Voici quelques souccot victorieuses :
Et celle-ci, qui résume mieux que toute autre l’objet-même de ce billet :