Premium Rush – Sortie française : 5 septembre 2012
Réalisé par David Koepp, avec Joseph Gordon-Levitt dans le rôle-titre
Sauf erreur, il s’agit là de la première superproduction hollywoodienne mettant en scène un imaginaire de l’utra-vitesse cycliste, chose particulièrement rare dans la pop-culture contemporaine (hors jeux vidéo, et encore ; corrigez-moi si vous avez des précédents en tête !). On est loin des exemples traditionnellement fournis par Hollywood et les gros budgets d’action en général, où seuls les véhicules motorisés sont autorisés à occuper ce créneau.
Jusqu’alors, seuls les cinémas plus « marginaux » avaient osé concevoir des films de poursuite sans automobile (ou presque). On pensera notamment à l’excellent Lola Rennt (Cours, Lola, Cours ; quinze ans déjà !), ou au plus médiocre Skate or Die, qui exploitaient chacun à leur manière cet imaginaire de la vitesse en mode doux : paradoxe parmi les paradoxes ! [sur la réappropriation des imaginaires de la vitesse par les modes doux, allez lire Auto sana in corpore sano et tous les liens de Transit-City et [pop-up] urbain qui y sont cités…]
Qui plus est, le vélo restait carrément absent de ces représentations, cantonné à une image plan-plan de mode pour anti-héros un peu fauché, un peu teubé.
Tom Vanderbilt, auteur du best-seller Traffic: Why We Drive the Way We Do, l’explique parfaitement dans une chronique de 2010, décryptant « comment ne pas avoir de voiture est devenu synonyme de loseur à Hollywood ». A l’image de Steve Carell, cycliste de 40 ans et *par conséquent* toujours puceau (vidéo ci-dessous), ou de Ben Stiller dans Greenberg :
Greenberg est juste l’exemple le plus récent de film dans lequel la non-mobilité d’un personnage – la non-possession d’une voiture ou l’incapacité à conduire – est utilisé comme effet comique, qu’il s’agisse d’une métaphore pour une faille de personnalité plus profonde, ou d’un signe de marginalité et/ou de « creepyness » (perversité ?)
Comme l’humoriste Art Buchwald l’avait observé : « Les gens sont ouvert d’esprit. Ils peuvent accepter qu’une personne soit alcoolique, droguée, frappe sa femme ou pire soit journaliste, mais s’il ne conduit pas, c’est qu’il y a quelques de bizarre avec lui. »
Autre témoin hollywoodien particulièrement significatif de cette « faille de la personnalité », cette trottinette électrique utilisée par Adam Sandler, héros dépressif refusant d’accepter la mort de sa famille dans le trop méconnu Reign over me :
Et si les choses commencent lentement à changer à Hollywood, en particulier au niveau des transports en commun, ces « signaux faibles » restaient jusqu’alors cantonnés à quelques films semi-indépendants tels que le très gentillet (500) Days of Summer (déjà avec Joseph Gordon-Levitt, décidément très en phase avec les tendances des mobilité).
Ce film propret avait notamment attiré l’oeil des observateurs [américains] de l’urbain grâce à une scène surprenante : imaginez, les deux héros prenaient le train inter-cités pour se rendre à San Diego ! La scène a d’ailleurs été commentée par Tom Vanderbilt, lui-même repris par The City Fix qui s’est alors très justement demandé « si la pop-culture [américaine] ne pouvait pas favoriser les mobilités douces » (déjà cité sur ce site ici et là) :
Un changement dans la manière dont les films et la culture populaire [américaine] représente les mobilités sans-voiture, les transports en commun et la marchabilité pourrait aider à inscrire le besoin de transports publics massifiés et d’infrastructures non-motorisées auprès du public et des acteurs urbains du monde en développement [mais aussi du monde « développé », qui a encore bien du chemin à parcourir sur la question…]
Dans le prolongement de ces nouveaux imaginaires, et en misant sur un représentation iconoclaste du vélo, Premium Rush vient donc mettre un coup de pied salvateur dans cette fourmilière hollywoodienne, contribuant un peu plus à l’inscription d’alternatives concrètes à l’auto urbaine dans l’inconscient du grand public.
Certes, le film surfe grossièrement sur la tendance fixie (ou vélo à pignon fixe), inévitable signe de reconnaissance des hipsterités à travers le globe. Certes encore, le film présente l’ultra-vitesse cycliste sous un angle particulièrement négatif, en entamant sa bande-annonce par une scène d’accident (on peut même craindre une fin moralisatrice où le héros abandonnerait son vélo pour un métier plus tranquille). Mais qu’importe : en faisant son entrée dans le paysage de la poursuite hollywoodienne, qui plus est porté par l’acteur le plus bankable du moment, le vélo prouve enfin qu’il n’est pas qu’un mode pour boloss.
–
En guise de bonus : un court-métrage de 2008, que l’on peut voir comme une préquelle pacifiée (et pédagogique) de Premium Rush :
… et cette vidéo décoiffante datant de 2006, à prendre comme Behind The Scenes de Premium Rush ? (via feu BienBienBien pour les deux vidéos)
Je ne peux m’empêcher de partager un clip plus pop music que pop culture de ce groupe que j’ai honte d’aimer : Nada Surf. Il est sorti il y a 4 ans déjà mais pourtant l’on retrouve exactement les caractéristiques que Prenium Rush : le fixi, la vitesse, NYC, le risque (ouuh), comme quoi Hollywood est quand même pas super visionnaire …
http://www.youtube.com/watch?v=BoLKvWf4Fd0
La nouvelle est bonne même si on peut regretter un peu le fait que le film veut faire sortir le vélo d’une image pour boloss quarantenaire puceau à celle de boloss beau goss, mais bon c’est un autre débat.
Je crois que le changement de regard le plus significatif dans la pop culture reste quand même au niveau de certains clips de rap où l’on avait surtout l’habitude de voir des grosses cylindrés pour boloss, maintenant remplacé par des gangs à vélo, le swagg ultime. Pour anecdote, je reviens de Détroit, ville de la voiture pas excellence. Mais aussi ville de la pauvreté par excellence. Tous n’ont pas encore assez d’argent pour se la raconter au feu du carrefour dans des caisses sorties tout droit de Pimp My Ride (pour rappel, X-ZiBit vient de Détroit), la fin d’une époque. J’ai donc assisté à cette scène assez surréaliste d’un groupe d’une petite dizaine de blacks pimpés jusqu’à la mort, tous en vélo ultra customisés, ghettoblaster sur le porte bagage. Même pas eu le temps de sortir mon appareil photo qu’ils étaient déjà en train d’ambiancer la rue d’à côté.
L’important reste cette évolution : réalité urbaine d’une minorité créant de nouveaux codes ==> internet ==> youtube ==> culture underground ==> clips ==> Hollywood ces cassos ==> le reste du monde.
Tout à fait d’accord, TMTC.
D’ailleurs, sur la place croissante du vélo dans le hip-hop US : http://pop-up-urbain.com/hip-hop-la-frime-a-velo/ (qui a 4 ans lui aussi !)
Je dois avouer que le caractère visionnaire de Pacific Blue m’avais totalement échappé à l’époque :
http://bit.ly/H6LolP
Ce serait une injustice que de ne pas rendre hommage à cette somptueuse série (de la fin des années 1990) et à ses poursuites douces dans cette chronique. Ah si seulement les malfrats se souciaient un peu plus de leur bilan carbone !
C’est cool, chacune de vos interventions réinvente le mot « génie » haha. J’avais jamais regardé Pacific Blue, mais je sens qu’il va falloir s’y pencher… Surtout quand je découvre ces images : http://youtu.be/dlbobV6mKcs
(Il faudrait faire un truc sur nos amis les flics à vélo, d’ailleurs.)
Il y a eu Quicksilver, avec Kevin Beacon, il y a quelques années :
http://en.wikipedia.org/wiki/Quicksilver_(film)
Perso, la première chose à laquelle j’ai pensé, c’est quand même Courier Crisis : http://www.youtube.com/watch?v=EjlsRPb_5Ks
Y’avait également plusieurs passages dans un train, dans Eternal Sunshine, autre film indépendant mais datant de 2004 : http://www.youtube.com/watch?v=hZdl2FFp0eA