Aujourd’hui sort sur les écrans Snowpiercer (Le Transperceneige), dernier film du coréen Bong Joon-ho, inspiré d’une bande-dessinée française publiée dans les années 80. Le pitch s’annonce particulièrement intéressant sur le plan prospectif, prenant pour décor un futur post-apocalyptique qui rappellera inévitablement d’autres visions marquées par le réchauffement climatique (quelque peu éculées depuis Le jour d’après et autres blockbusters des années 2000) :
2031. Une nouvelle ère glaciaire. Les derniers survivants ont pris place à bord du Snowpiercer, un train gigantesque condamné à tourner autour de la Terre sans jamais s’arrêter. Dans ce microcosme futuriste de métal fendant la glace, s’est recréée une hiérarchie des classes contre laquelle une poignée d’hommes entraînés par l’un d’eux tente de lutter.
Mais plus que la problématique écologiste assumée par le film, c’est la représentation du train qui nous intéressera ici…
L’idée d’un véhicule condamnée à se déplacera rappellera par exemple le Monde inverti (« La cité ne pouvait pas rester immobile. Elle était condamnée à se déplacer sans cesse… »), superbe ouvrage de science-fiction écrit par Christopher Priest en 1974, et à propos duquel Nicolas Nova avait écrit ceci :
Tout comme la ville décrite dans Le Monde Inverti, les projets [d’Archigram tels que la Walking City en 1964] proposent des mégastructures zoomorphiques nomades suivant “les flux de l’événement et de la circulation de l’information”.
Si l’idée de cité itinérante semblait être dans l’air du temps à cette époque, la terminologie de “ville mobile” fait aujourd’hui plus penser à l’intense mouvement des habitants des environnement urbains en leur sein. Néanmoins, gageons qu’au fil du temps, nous reverrons certainement surgir des nouvelles propositions de cités nomades basées sur les technologies de notre époque.
On retrouve aussi, dans Snowpiercer, une dimension belliciste qui caractérise de très nombreuses villes mobiles dans la culture populaire. Celle-ci s’incarne dans une lutte des classes entre voyageurs pauvres, relégués au fond du train, et voyageurs aisés choyés en tête.
Mais le plus intéressant, dans cette vision, réside peut-être dans son inadéquation avec l’imaginaire contemporain du train, du moins celui que s’efforcent aujourd’hui d’esquisser les principaux opérateurs du globe : un train plus lent, plus onirique, plus habitable aussi – à l’image de ces modules sur rail imaginés par les architectes suédois Jägnefält Milton.
Plus proche de nous, on pensera forcément à ces publicités au goût vintage pour le TGV SNCF, dont le slogan est passé à la postérité : « Prenez le temps d’aller vite ». Le spot s’interrogeait ainsi : « Qui n’a jamais rêvé de vivre et de voyager en même temps ? »
Dans la même veine, on pensera à la publicité pour le parfum Angel de Thierry Mugler, qui prend place dans un train futuristique aux allures de vaisseau spatial… Une poésie doucereuse dont Transperceneige se fait en quelque sort le parfait contre-pied dystocique.
L’imaginaire de ce train « lent et désirable » (Transit-City en a particulièrement bien parlé ici et là) se révèle en effet largement ébranlée par ceux, bien plus anxiogènes, que proposent Snowpiercer ou même Inception (à partir de 1’20 », dans une superbe séquence décortiquée par Transit-City) :
Ces deux visions cinématographiques ont en commun de présenter un train-bulldozer mu par une vitesse folle, qui s’impose donc aux territoires qu’il traverse. Une vision effectivement bien éloignée de la doucereuse poésie qui domine aujourd’hui les représentations marketing, loin d’un imaginaire de la vitesse longtemps réservée à l’automobile. EDIT : En complément, on se délectera d’un top 5 de quelques récents trains cinématographiques (Chihiro, Retour vers le futur, Harry Potter ou le Pôle Express), auxquels ont ajoutera le « Train des mers » du manga One Piece – version liquéfiée du Transperceneige.
Sa récurrence dans la pop-culture le démontre, cette idée du train-bulldozer est loin d’être anodine. Rappelons d’abord que l’imaginaire du ferroviaire, dans la culture populaire, a longtemps été rattaché à celui de la conquête des Nouveaux Mondes, et plus particulièrement du far-west. On pensera par exemple aux bande-dessinées de Lucky Luke, telles que Des rails dans la prairie (1957), ou à des jeux de société comme Les aventuriers du rail (2004), qui matérialisent très concrètement cette vocation du rail à défricher les terres inconnues.
C’est d’ailleurs cette idée précise qui nous avait amené, il y a quelques années maintenant, à formuler notre proposition pour le futur du train avec Edouard Fouquier et Nicolas Ruiz Gonzalez (avec qui j’avais déjà travaillé sur le projet Kubikopedia). Nous avions ainsi souhaité partager notre vision du « train à grande vitesse en 2041 », dans le cadre d’un concours étudiant organisé en 2010 par la SNCF : Ideaflow Future speed.
Afin de proposer un regard plus décalé que les habituelles représentations prospectives des mobilités, souvent trop aseptisées, nous nous étions inspirés de films post-apocalyptiques tels que Mad Max (1979), New York 1997 (1981) ou Le dernier combat (1983), sans oublier de nombreuses références vidéoludiques dont la liste serait trop longue à dérouler ici.
Notons que nous ne connaissions pas à l’époque l’intrigue de Transperceneige, faute de culture bédé digne de ce nom. Notre pitch reprenait pourtant peu ou prou la même trame, en rebondissant sur un réchauffement climatique ayant amené une grave crise humanitaire à l’échelle du globe. Nous avions alors imaginé un « railroad movie » – ce qu’est aussi Snowpiercer -, en rédigeant l’ébauche d’un scénario de film prenant pour unique décor… un train se déplaçant inlassablement à travers le globe :
2041 is a sci-fi « railroad movie », presented through an extract of its script. The film is a realistic dystopia in which the energy crisis impulses new ways of living… and moving. Due to the extinction of cars and planes, trains take the lead in what could be called : tomorrow’s heterotopia.
A la différence de Transperceneige, le train que nous avions alors imaginé ne connaissait pas de lutte des classes ; celle-ci se déroulait à l’extérieur, dans des villes en désolation durement frappées par une crise énergétique sans précédent inspirée par Mad Max 2. « L’Humanitrain », c’était son nom, avait donc vocation à se déplacer de ville en ville sur des voies sauvages (à l’instar du Monde inverti) afin de porter assistance aux populations délaissées. Une vocation humanitaire qui permettait de concilier le ton corrosif que nous souhaitions donner au projet, avec l’imaginaire plus positiviste voulu par la SNCF.
Mis en image par Nicolas Ruiz Gonzalez dans une vraie-fausse jaquette DVD éditée pour l’occasion (ici en version dépliée), le train prenait ainsi la forme ci-dessous. Vous noterez la proximité avec l’imaginaire de Transpercerneige, à une différence près : la jungle luxuriante a ici remplacé la banquise, symbole d’une « ville fertile » enfin rendue à la nature…
Les plus curieux pourront lire le script de la scène d’introduction que nous avions proposé (avec d’importantes contraintes en termes de signes)… et qui n’a malheureusement pas rencontré le succès espéré. Ô, tristesse ! Le jury présidé par Philippe Starck n’a semble-t-il pas été sensible à nos projections post-apocalyptiques, malheureusement pour nous. Le site du concours étant bizarrement inaccessible, nous ne pourrons pas vous rediriger vers les trois projets lauréats (réalisés par des architectes et designers professionnels), histoire de vous faire une idée des résultats. C’est ce qui explique que nous n’ayons pas souhaité publier ces contenus à l’époque.
La sortie de Snowpiercer nous offre donc une belle occasion de ressortir ce vieux projet de nos poussiéreux tiroirs. Il permet aussi surtout de vous poser la question : vous l’aimeriez comment, votre train du futur ?
Mon train ressemblerait à un TGV 2n2 (Euroduplex) en beaucoup plus futuriste avec autant de voitures, un confort plus avancé et une vitesse stupéfiante.