Ce n’est pas la première fois qu’une pub auto se moque de manière plus ou moins tendre à ses « concurrents » (et sûrement pas la dernière). On pensera par exemple aux railleries adressées au vélo dans les décennies précédentes (dans sa version plutôt mignonne mais aussi carrément abjecte), et toujours utilisées par les agences de com’ en panne d’idées neuves (exemple avec cette indigne publicité Chevrolet datant de 2011)
Mais (à notre connaissance) il est plus rare que le marketing auto s’attaque frontalement aux transports en commun. La récente campagne SEAT Mii, déployée en France avec la catchline « Vous seriez mieux en Mii », s’est pourtant positionné sur ce terrain glissant… Inutile de dire qu’on a eu envie d’éclater notre écran (et un publicitaire par la même occasion) quand on l’a découverte.
Cette auto sans-gêne : insultes, subventions, sexisme et pubs de merde…
Non content de s’afficher en couverture du journal gratuit 20 Minutes (distribué dans le métro…) cette semaine, la marque espagnole s’est enorgueilli d’une intelligente campagne in real life imaginée par l’agence Zone France, qui aura connu un certain succès cette semaine :
Pendant deux jours, les parisiens ont été interpellés dans des lieux stratégiques de la capitale par une curieuse invitation. On leur proposait de vivre l’expérience Mii en se rendant à la destination de leur choix au volant de la petite citadine.
Convaincue que la cible visée par la Mii, une clientèle féminine urbaine et active, préférerait se déplacer en Mii que d’attendre le bus sous la pluie ou se retrouver serrer dans les transports en commun, SEAT propose de faire tester sa Mii durant toute une journée en région parisienne.
C’est ainsi que l’on a pu voir par exemple la Mii truster sans vergogne des places de stationnement aux stations Autolib’. De même, on l’a vu aux heures de pointe à la sortie du métro, aux arrêts de bus ou encore dans une file de taxis. Les situations de la vie urbaine ont été détournées pour montrer que la vie, c’est mieux en Mii.
La campagne a d’ailleurs su profiter de la grève des transports tombée au moment de l’opération, élargissant son dispositif à vingt véhicules au lieu de quinze, sur une plage horaire élargie. Enfin, trois spots sont venus illustrer la campagne en prenant pour cible les petits tracas des transports en commun : les musiciens (NB : les auteurs ont au moins eu la décence de ne pas mettre des roms…), les courses, et les gens qui puent :
Les blogs de marketing auto saluent l’initiative de concert, parlant « d’impertinence » et d’ingéniosité. De notre côté, on préférera parler d’arrogance et de puérilité. Evidemment, SEAT reste son créneau (le plaisir individuel, au détriment de toute logique éthique), mais était-il nécessaire de narguer les concurrents avec autant d’insistance futile ?
En réalité, cette ultime provocation démontre à quel point la voiture se retrouve dos au mur, sous les coups de butoir qu’elle subit directement (régulation de l’espace alloué à l’automobile, crise économique…) ou indirectement (multiplication et diversification de l’offre des transports urbains, donc de concurrents potentiels, et la communication intensive qui va avec). On l’avait déjà mesuré dans les célèbres pubs Nissan Qashqai, dans lesquelles la voiture se présentait comme la victime d’une ville qui en aurait après elle (d’où le slogan : « à l’épreuve de la ville »)
Avec cette campagne SEAT, la voiture dépasse allègrement l’attitude vengeresse observée dans les pubs Qashqai : l’auto se veut maintenant belligérante, prenant les armes pour partir à la reconquête de « son » territoire depuis longtemps perdu – ou plutôt, depuis longtemps reconquis par ses propriétaires véritables, les passants. Et peu importe que les moyens utilisés ne soient pas des plus classes (la raillerie graveleuse, voire le mépris), pourvu qu’elle arrive à ses fins.
Mais cette campagne SEAT raconte aussi le cruel manque d’armes dont disposent les transports publics pour organiser la riposte. Car le marketing des transports, pour de nombreuses raisons assez compréhensibles (dimension publique, collective et institutionnelle, notamment), se refuse toujours à attaquer l’automobile sur son propre terrain. Il y aurait pourtant fort à faire. Et cela passe notamment par une positivation des divers clichés (souvent réalistes) dont se servent SEAT et d’autres pour dénigrer les transports en commun. On en avait déjà formulé quelques propositions en tentant de montrer comment revaloriser les « frictions de la foule » – en particulier sur le terrain de l’érotisme et de la sensualité, pré carré de l’automobile… Alors que la vérité est toute autre : métro bondé = métro bandant !
La culture populaire, en particulier, regorge d’exemples plus valorisants que les leviers actuellement utilisés dans la communication des transports publics, comme en témoigne le court-métrage ci-dessus et bien d’autres scènes du même acabit (<3 Clara et moi <3).
Il y a donc suffisamment de matière pour contre-attaquer face à l’empire automobile, et ne pas se contenter d’une résistance mollassonne. Et pourtant, rien n’est fait, ou si peu. Pire, on a parfois l’impression que les transports se tirent eux-mêmes une balle dans le pied. Exemple avec la campagne Cher voisin de transport, qui nous avait fait grincer des dents (malgré toute la tendresse qu’on a pour ses auteurs…) : n’est-ce pas donner le bâton pour se faire battre que de stigmatiser les petits tracas des transports collectifs, ceux-là mêmes qui seront par la suite réexploités par SEAT ou un autre ? Pour info, on se retrouve quand même avec des contributions passives-agressives visant le parfums des autres passagers ou l’éducation de leurs enfants… Pas franchement très vendeur, ni très intelligent dans la guerre que les transports doivent aujourd’hui mener contre le Goliath automobile.
Dans les années récentes en France, et à notre connaissance, seul Transilien SNCF a osé railler la sacro-sainte voiture individuelle, avec des publicités merveilleuses que l’on ne saurait taxer de méprisantes (car l’arrogance des dominants ≠ la fierté des minorités),
… mais qui prennent un tout autre sens avec la crise auto actuelle. Evidemment, on pourra nous reprocher de tirer sur une ambulance (malade de ses propres excès, faut-il le rappeler). Mais ce serait faire fi de son hégémonie et de son emprise qui perdurent, malgré la crise. On a d’ailleurs beaucoup de tendresse pour cette voiture qui peine à se réinventer ; mais selon nous, le marketing auto mérite un bon coup de pied au cul pour sortir – enfin ! – des imaginaires éculés qui sont les siens.
Heureusement, certains s’y collent avec plus ou moins d’ambition (cf. Google, les médias et l’automobile), mais le marketing auto semble toujours rattrapé par ses vieux démons. Malheureuse coïncidence, SEAT Pologne vient de sortir une publicité synthétisant tout ce qu’on peut reprocher à la voiture contemporaine : sexisme et réification de la femme, panne d’imaginaires et mauvais goût se combinent dans ce spot ridicule. A mettre en parallèle des déclarations de SEAT France sur la « cible féminine urbaine et active » qu’ils tentent de capter avec Mieux en Mii, pour saisir la triste ironie de la situation…
EDIT : la vidéo a été supprimée suite à une réclamation de SEAT. Le film aurait été commandée par un prestataire local, et non par la marque elle-même, qui ne se retrouve pas dans ces imaginaires. Tant mieux… (mais on ne s’empêchera pas de penser que le timing était significatif)
Evidemment, on pourra nous reprocher de jeter de l’huile sur le feu, à l’heure où l’hybridation des modes devrait au contraire se traduire par un discours plus apaisant. Mais ce serait 1/ mal nous connaître, et 2/ être bien trop indulgent à l’égard de l’automobile. Qu’elle soit acculée, malheureuse ou en plein questionnement existentiel, ne doit pas rentrer dans le débat.
Ses provocations adolescentes doivent cesser, de même que doit s’organiser la riposte agressive de la part des transports qu’elle foule chaque jour de sa roue écrasante. Une bonne paire de claque, en somme, pour que le marketing automobile apprenne l’humilité et le respect. Et ensuite, seulement, on pourra causer tranquillement.
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Le problème, c’est que ce sont les clients des transports collectifs qui en font la plus mauvaise pub : cf. par exemple http://sublyn.com/ qui recense tous les tweets sur les transports parisiens….ça donne plutôt envie d’acheter une Mii que de prendre sa carte Navigo Gold ;)
Est-ce que les automobilistes dans les bouchons twittent en se plaignant de la voiture ?
Excellente remarque… Voilà un autre paradoxe : l’information collaborative a ses vertus, mais la frontière avec l’auto-dénigrement des services de transports est ténue…! (c’est justement ce qu’on reprochait à la campagne « Cher voisin de transport »)