En octobre 2018, pour fêter ses un an, L’U Arena de Nanterre (92) – premier mégaprojet du Grand Paris – accueillera Booba célèbre rappeur aussi originaire des Hauts-de-Seine, l’occasion d’interroger la nature de cette infrastructure illustrant du renouveau urbain impulsé par le Grand Paris. L’U Arena, projet économique ? projet urbain ? ou projet vitrine ?
Grand Paris cherche grand projet
Un dimanche de mai sous le cagnard à Nanterre, longeant les Terrasses – corridor d’espaces verts de La Défense à Nanterre – les seuls êtres vivants croisés sont un chien qui tire son maître à l’ombre d’un bâtiment imposant, pile à la jointure entre Nanterre et La Défense : l’U Arena, premier mégaprojet du Grand Paris. L’U Arena est un projet d’envergure par sa dimension – 55 000m² -, et par sa contenance – pouvant accueillir jusqu’à 40 000 spectateurs ce qui en fait la plus grande salle de spectacle couvert en Europe.
© Agence Elizabeth et Christian de Portzamparc
Le projet est un espace hybride, à la fois complexe sportif (il accueillera notamment certaines épreuves des Jeux Olympiques de 2024), culturel (avec la tenue de concerts : les Rolling Stones pour son inauguration en octobre 2017, Kendrick Lamar, IAM dans les mois à venir), espace de travail avec les bureaux du Conseil départemental, et de consommation (restaurant, commerces). C’est aussi un modèle novateur dans le renouvellement urbain puisqu’à l’initiative du secteur privé.
Lancé en 2009, le complexe a finalement ouvert en octobre 2017 avec entre temps la naissance du Grand Paris (Loi relative au Grand Paris publiée en juin 2010). Contexte et enjeux s’entremêlent dans ce projet de renouvellement urbain dont certains éléments sont communs à d’autres mégaprojets en Île-de-France et à l’étranger. L’U Arena révèle d’abord l’influence croissante du secteur privé aux manettes de la conception d’espaces en ville (voir les travaux de David Harvey). De manière plus locale, il incarne l’évolution physique d’un territoire situé dans l’ère d’influence d’un des principaux quartiers d’affaires au monde, celui de La Défense qui cherche à agrandir son périmètre. En témoigne le projet de destruction partielle de certaines tours d’habitation du quartier Pablo Picasso à quelques mètres de La Défense, où s’érigeront peut-être de nouveaux gratte-ciels de bureaux.
Comme un au revoir aux célèbres « Tours Nuage », ces dernières semblent apparaître de plus en plus comme décor dans les clips de rap français
L’U Arena s’insère dans un espace en transformation (création d’un nouveau quartier, les Groues) et stratégique, aujourd’hui accessible par le RER A, et la ligne 1 ; il sera demain (d’ici 2030) desservi par le Grand Paris Express (voir schéma 1). Ainsi, l’U Arena s’inscrit dans un territoire en mutation qui souhaite diversifier ses activités et tirer profit de cette nouvelle connectivité promue par le Grand Paris Expresse pour attirer nouveaux investisseurs et habitants. Bien des aspects du complexe font écho aux enjeux du programme régional du Grand Paris dont les futurs aménagements du territoire francilien visent à amplifier son attractivité sur la scène économique mondiale comme souhaité par Nicolas Sarkozy alors instigateur du Grand Paris lors de son discours de juin 2009 : « Paris est une ville monde et une économie. […] Le Grand Paris, c’est Paris qui veut jouer un rôle dans l’économie européenne et dans l’économie mondiale ».
Localisation de l’U Arena, entre Nanterre et La Défense
Du marketing territorial en privé
Aux manettes de ce programme se trouve en premier lieu un acteur privé, Jacky Lorenzetti, directeur du Racing 92 club de rugby du département des Hauts-de-Seine qui, comme cadeau pour son équipe, décide de lui construire un stade. L’avancée du projet est fermement portée par cette alliance public / privé incarnée par deux hommes, Jacky Lorenzetti et Patrick Jarry, maire de Nanterre. Selon les dires de ces deux-là, tout le monde y trouve son compte. D’un côté, le Racing 92 dispose d’un stade majestueux, conçu par un architecte à la renommée internationale (Christian de Portzamparc) accueillant divers événements sportifs et culturels (compétitions, matchs, concerts), sur un emplacement stratégique.
U Arena configuration stade © Christian de Portzamparc
De l’autre, la municipalité vante les impacts positifs générés par une telle infrastructure qui n’aurait pas coûté un centime au contribuable puisque financé à 100% par le secteur privé à hauteur de 351 million d’euros. Or, en y regardant de plus près il semblerait que le département ait contribué au financement à hauteur de 47% pour la construction des bureaux accolés à l’U Arena devant accueillir les employés départementaux. Autres impacts bénéfiques mis en avant, les emplois locaux engendrés par la construction du site et sa gestion (hôte·sse·s, caissier.ère·s, agents d’entretien…) dont 40% est réservé aux habitant·e·s de la ville et l’accroissement des revenus pour la ville grâce à la taxe foncière.
Le maire de Nanterre justifie aussi ce projet en termes d’image, puisqu’il doit contribuer à rompre avec une certaine représentation de Nanterre, « une ville de relégation, la ville des chiffonniers, des ferrailleurs et des bidonvilles » (Journal municipal, octobre 2017). Visuellement et en termes d’offres proposées, l’U Arena opère un rapprochement assez remarquable avec le quartier d’affaires voisin (esthétique du bâtiment, cafés et restaurants ‘standing’…). En outre, avec la tenue notamment de certaines épreuves des Jeux Olympiques 2024, la nouvelle enceinte sportive semble regarder dans la même direction que la Défense, celle du rayonnement international.
Quel impact sur les urbanités locales ?
Quant à l’accueil du projet au niveau municipal, certaines associations locales et quelques résidents, se sont élevés contre celui-ci exprimant principalement trois griefs : la pollution sonore engendrée par les événements, l’encombrement de l’axe desservant l’U Arena – inadapté à une arrivée massive de spectateurs par la route -, et l’abandon du projet de couloir vert devant traverser l’endroit sur lequel trône aujourd’hui l’U Arena… En quelques mots, ces oppositions expriment la non-préparation de l’espace environnant à l’accueil d’une telle infrastructure, le renoncement de mener à bien le projet d’axe vert depuis longtemps discuté pour la zone, et le profit tiré par le secteur privé d’un tel endroit stratégique sans avoir à se préoccuper de l’aménagement alentour. Cette contestation a finalement été réduite à une opposition décrite comme des « tentatives politiques pour faire échouer le projet » (Journal municipal, octobre 2017). En fin de compte, ce projet n’a pas soulevé des réactions décisives, tant du côté des opposants, que de celui des défenseurs.
« Les six cents écailles de verre et d’acier qui recouvrent la façade s’éclairent de l’intérieur. Elles offrent ainsi la possibilité d’une multitude de jeux d’éclairage. » (source)
Sur le plan urbain, deux principaux bénéfices de la nouvelle infrastructure ont été mis en avant : sa fonction de rotule entre deux espaces avec peu d’interactions, son rôle d’animation en soirée. En ce qui concerne le premier argument, du côté Est se trouve le quartier d’affaires de La Défense et son flot de travailleurs rejoignant quotidiennement les tours de verre. De l’autre, Nanterre dans la partie Ouest, avec son couloir vert dans l’axe de la Grande Arche qui sépare deux lignées d’immeubles, principalement d’habitations. Aux tours des groupes du CAC 40 basés à la Défense, répondent les Tours Aillaud du quartier Pablo Picasso côté Nanterre, souvent associé à un contexte d’insalubrité et de délinquance. Le deuxième objectif mis en avant par les concepteurs du projet est celui d’impulser une animation diurne dans un quartier qui vit quasi-exclusivement en journée et en semaine. Ainsi, se pose la question des bénéficiaires d’une telle opération de renouveau urbain conduite par le secteur privé… Le schéma ci-dessous propose une synthèse des impacts de ce projet selon les points de vue social, économique, urbain, écologique ainsi que de l’image véhiculée.
A moins d’un an de fonctionnement de l’U Arena, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur les impacts d’une telle infrastructure. Quoiqu’il en soit, ce projet illustre le renouvellement urbain par le marché privé, mouvement commun à de nombreux projets du Grand Paris1 et tendance mondiale. L’impact social pourra être, au mieux, une conséquence de cette nouvelle infrastructure qui n’a pas été conçue pour les Nanterrois mais vise à attirer une population francilienne, voire internationale, selon les événements. Ainsi, la place de l’innovation sociale et du bénéfice local restent des sujets à interroger au sein de ce grand projet dans les années à venir…
- En complément, écouter l’émission « Grand Paris quel avenir pour les quartiers populaires ? » LSD la série documentaire, France Culture [↩]