[Note de Philippe G. : Quatrième chronique de The Best Place republiée dans ces colonnes. Après les super-héros urbains, le slalom urbain et le livre numérique, Matthias partage ici son regard décalé sur l’expérience Vélib’.
Pertinent et impertinent, il nous embarque loin des clichés habituels (= le Vélib’ écolo-bobo) pour nous dévoiler la vraie valeur du vélo en partage : le sentiment, si précieux, d’appartenir à un club. Un club de losers, certes, mais un club quand même, qui cimente la communauté des vélibeurs nocturnes. Si les communicants pouvaient s’en rendre compte…
Au passage, on retrouve des thématiques qui me sont chères, notamment la dimension « ludique » des courses urbaines, petits défis persos lancés pour s’enchanter le quotidien. Bref, que du bon. Cliquez ici pour lire le billet original, et n’hésitez pas à faire part de vos commentaires !]
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Deux heures du matin. Je peine à rouler droit le long du boulevard Richard Lenoir, perché sur mon Vélib’ à usage unique. Je manque de me vautrer chaque fois que je me retourne pour vérifier si je ne suis pas sur le point de me faire emboutir par un conducteur trop imbibé. C’est là que je me fais dépasser par un trio de vingtenaires en t-shirts. Ils me font un signe de remerciement. Merci de quoi ? D’être une loque qui avance au ralenti ? Mon corps se réveille, la réserve d’urgence d’adrénaline réveille mes muscles et je me mets à pédaler, en danseuse, pour les rattraper. Le trio de me voir venir et se redresse comme un seul homme. La chaussée est mouillée, les feux derrière nous au vert, mais une course s’est lancée jusqu’au bout de la ligne droite. Game ON !
Je me suis fait fumer de quelques secondes par le plus grand de la bande. A l’arrêt au carrefour suivant, j’ôte mon casque et échange quelques mots avec mes concurrents du soir. Des types avec qui je n’aurais jamais parlé en temps normal. On se marre un peu. On se souhaite bonne soirée, chacun repartant dans son coin. On ne va pas parler de la pub débile pour le Vélib’ qui rampe mollement sur le net ces derniers temps. Le vrai truc cool du Vélib’, c’est que ça met un tas de gens différents au même niveau.
Une fois que les métros parisiens sont endormis, soit t’es thuné et tu prends un taxi, soit t’es patient et t’attends LE Noctilien de l’heure en chopant la crève à ton arrêt de bus. Ou alors tu ravales ta dignité et tu te déplaces avec le vélo le plus moche du monde (oui techniquement il faut qu’il soit pas sexy pour qu’on n’aie pas envie de le voler, et lourd pour pas qu’il crève trop vite).
N’empêche, le Vélib’ unit les losers de la nuit, et c’est BEAU.
Par exemple je suis certain que des dizaines de dealers vont livrer en Vélib’ de quoi rouler quelques joints. On doit aussi pouvoir croiser tous les mecs qui décident post-baise de pas rester dormir avec leur plan cul, des fois que ça se transforme en plan tout court avec le lever du soleil. Gosses de riche sortant de boîte ou branleurs rentrant chez eux, on a tous le même volé [sic] de merde. C’est ce qui explique les sourires un peu gênés aux feux rouges, ou les speedruns improvisés. J’ai encore jamais vu deux chevaucheurs de Vélib’ se taper au milieu de la nuit. Parce que la lose est notre patrie, notre gang. On aura bien le temps de s’ignorer de nouveau le lendemain, de se foutre sur la tronche un autre jour. Là, on est trop occupé à aller où on doit être, et reposer le tank à roulettes qu’on se trimballe.
Généralement après avoir dérivé sur un demi-kilomètre pour trouver une borne libre.
Thug life.
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[Edit de Philippe G. : Non content d’être original, le regard de Matthias est de surcroît pleinement dans l’air du temps. J’en prends pour témoin la toute récente Vélib’ race, organisée organisée par Playstation il y a quelques jours à peine.
On assiste ainsi au « basculement de l’imaginaire de la performance et de la vitesse habituellement associé à la voiture, au profit du piéton [et ici du vélo]« , comme l’écrit Transit-City. J’avais déjà évoqué cette évolution dans mon introduction à son texte sur la marche urbaine sous endorphines… Un nouveau zeitgeist de la mobilité urbaine !
Il y a des utilisateurs de vélib’ roulant à jeun? Plus sérieusement, je me souviens aussi de joyeux (c’est bien le mot, vu notre niveau d’alcoolémie respectif à ce moment là) échanges avec des gars rentrant chez eux, avant de me taper en solitaire la morne traversée du 15ème.
Le vélib’ est entré dans la culture nocturne parisienne. Faut bien dire que c’est à peu près le seul moyen de faire une « dérive » (sens deborien du terme) nocturne dans Paris, avec ses aléas de tout genre, ses rencontres imprévues, le tout dans un grincement de mécanique mal huilée en fin de course. Aventuriers urbains, tentez la traversée de Paris en vélib’ et en janvier…
Si je peux vous donner un conseil, faîtes du vélib la nuit ;) http://grooveshark.com/s/Pariv+lib+/3gLvWx?src=5