[Tribune de haut vol par Benoît Vicart, géographe et donc ex-compagnon d’infortune, qui nous avait déjà fait part des étrangetés de l’urbanité namibienne…]
La ville est une réalité politique (autorités locales, etc.), économique (les fameuses fonctions urbaines), morphologique (verticalité, densité). Mais l’urbain ? La définition est vague : « ce qui se rapporte à la ville ». Or, la question fondamentale en sciences sociales, c’est de mettre des réalités derrière ce terme, cette notion vague. Il est absolument essentiel de se poser la question de la nature exacte de ce sur quoi on travaille. L’urbain est désormais indissociable de représentations, de pratiques, de discours, qui interagissent avec les bases conceptuelles des sciences sociales : toujours, la ville a été utilisée comme métaphore de la société.
La ville est une réalité, l’urbain, l’urbanité, ou plutôt une grande partie des éléments qu’on leur attribue, le sont aussi, mais il s’agit de réalités construites, à travers des théories, de discours, de représentations qui participent à créer la ville et ses composantes comme objet de recherche (en sciences sociales), comme objet politique, artistique, et urbanistique. L’urbanisme donc, dont l’existence même repose donc sur la reconnaissance d’un certain paradigme… urbain. La ville, l’urbain, la société ont évolué certes, mais les représentations qu’elles portent et qu’elles créent évoluent également, ces éléments se reflètent l’un l’autre et se redéfinissent indéfiniment.
En cela, il s’agit presque d’un discours performatif : la création en tant qu’objet de recherche est influencée par les représentations, qui se répercutent sur la nature de la ville comme objet politique, de recherche, comme élément de la vie quotidienne, qui s’influencent mutuellement, contribuent à nourrir la ville et l’urbain comme objet de recherche, et contribuent en dernier recours, à changer les réalités (par exemple, en inspirant de nouvelles pratiques, de nouvelles politiques, de nouvelles théories…).
Pour aller au bout du raisonnement, l’urbanité a bien été créée, et si elle n’était pas forcément une réalité, elle l’est devenue par un processus performatif : en inventant le concept, on lui a trouvé un champ d’application, l’urbanisme. Et les urbanistes ne doivent pas oublier que leur discipline (comme les autres d’ailleurs) n’existe que parce qu’elle SE pense plutôt qu’elle ne pense la ville, parce qu’elle se pense un objet et qu’elle l’a imposé au reste de la société. Et c’est ce qu’il faudrait rappeler aux urbanistes.
Sur la ville comme réalité sociale, politique, économique, ont été surimposées des représentations, des théories, des mythes (ne parle-t-on pas de légende urbaine ?), des discours, des métaphores. Plus que ça, la ville est elle-même devenue discours, métaphore, mythe, théorie, elle est devenue objet de recherche, de fantasme. Ce processus performatif qui surimpose à la ville (donc à la réalité sociale, politique, économique, morphologique à laquelle elle correspond) autre chose, qui l’a transformée en objet de recherche, en métaphore, en mythe, en fantasme, c’est peut-être ce qu’on pourrait appeler l’urbanité.
L’urbanité, c’est la ville réappropriée par la société, mais aussi la société devenue urbaine, la société qui se (re-)pense, se (re-)découvre à travers la ville. L’urbanité, c’est le processus qui a créé la ville artistique, la ville théorisée, la ville fantasmée, la ville conceptualisée. Et ce processus est avant tout social, avec comme acteurs tous les membres de la société, dont les urbanistes, mais pas uniquement.
Le problème avec toutes les approches urbanistiques actuelles, c’est qu’elles s’inscrivent dans une démarche très appliquée, qui ne relie pas forcément bien la réalité du terrain à la théorie, elle s’efforce surtout de répondre à des problématiques sans mettre en question les présupposés théoriques de ces dernières1
Surtout, il faudrait que les urbanistes sachent se situer dans un système complexe et prendre ses éléments en compte, à l’image de la ville qu’ils sont censés penser. En clair, il faudrait que les urbanistes soient peut-être un peu plus aptes à comprendre ce processus performatif, et à devenir par là même un peu plus…urbains ?
- Il manque une réflexion d’ensemble sur la ville et l’urbain, on raisonne sans remettre en question des concepts et des notions pourtant relativement floues parfois. Par exemple, concernant la thématique des mobilités, la réflexion théorique menée sur la mobilité et ses définitions, notamment par Vincent Kaufmann, pourrait servir de base à la redéfinition de la manière dont on conçoit la ville. [↩]
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