Nous avons beaucoup écrit, ces dernières semaines, sur la place croissantes qu’occupaient les marques extra-urbaines dans la fabrique effective de la ville : en s’interrogeant sur la rentabilisation du temps de déplacement, vendu aux publicitaires par les opérateurs de transport ; ou en s’inspirant du mémoire d’Aude Castan, sur la réappropriation des imaginaires en vogue par le marketing situationnel.
C’est probablement sur ce dernier terrain que les marques sont le plus présentes. Véritables éléments de la « culture populaire » entendue au sens large, ils sont par-là même d’excellents révélateurs de tendances contemporaines. Les références sont parfois évidentes, voire grossières ; mais elles savent aussi se faire plus subtiles et n’apparaître que furtivement, au détour d’une image. Exemple avec cette pub Guerlain, où l’on retrouve tous les clichés de l’élégance parisienne… et plus si urbanités :
Ce n’est qu’un détail, mais il est porteur de sens. La scène de la balançoire sous l’Arc de Triomphe décrit en effet la fameuse « mainstreamisation » (quel terme horrible !) de la ville ludique dans l’imaginaire populaire, et de l’agilité qui va nécessairement avec.
Car cette saynète ne dit pas autre chose : il s’agit bel et bien d’un détournement de l’usage traditionnel d’un bâtiment vieillissant, soit la définition exacte que nous donnons du « hacking urbain ». Et ce n’est pas une coïncidence si la balançoire est l’un des symboles des hacktivismes depuis plusieurs années maintenant :
Sur le sujet, on lira d’ailleurs cette « brève histoire des balançoires urbaines », qui fourmille d’exemples ingénieux – parfois même portés par des anti-pubs :
Surtout, les hacktivistes ont inspiré de véritables projets institutionnalisés : on pensera par exemple à ces balançoires géantes, imaginées par des designers allemands et installés dans un parc dédié à l’automobile (décidément, toujours dans les bons coups) :
Les balançoires urbaines ne datent donc pas d’hier ; mais à partir du moment où une marque telle que Guerlain se les réapproprie1, celles-ci prennent une toute autre dimension. Le parfumeur contribue ainsi à démocratiser un peu plus les préceptes de la ville ludique et astucieuse… en les épurant au passage de toute leur subversivité.
they take a bit of rope, plastic crates,anything they can find.carpet scraps, abandoned tires,wooden boards people leave behind.they hang the junk from bridges.tie it tight to traffic signs.so you can swing into oncoming trafficand wave to people passing by.the city is your playground.do you need to ask them why?Urban Recreation – The Barsky Brothers
C’est tout le paradoxe de cette « imaginophagie » des marques : si elles participent du renouvellement de la ville (cf. Aude Castan), elles tendent aussi à en transformer les messages, voire à les dénaturer. Pillage, ou hommage ?
Le débat est éternel, et ne trouvera pas sa réponse dans ces colonnes. Mais il témoigne quoiqu’il arrive d’un symptôme : les marques sont désormais des acteurs urbains comme les autres ; il est temps de s’interroger sur la place qu’on souhaite leur offrir dans la structuration de nos territoires.
- ici au niveau de l’image, mais il pourrait très bien en installer physiquement dans l’espace public, à l’instar de Volkswagen et sa Fun Theory [↩]
Un autre projet de balançoires urbaines que j’aime beaucoup : « Mouna Andraos et Melissa Mongiat de Daily Tous Les Jours nous dévoilent cette installation interactive « 21 Swings » proposée à Montréal dans le Quartier des Spectacles. Laissant à disposition des passants 21 balançoires musicales, cette création invite les gens de tous âges à jouer ensemble au centre de la ville. » http://www.fubiz.net/2012/09/17/musical-swing/