17 juin 2013
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Fermes urbaines : et l’éthique animale, dans tout ça ?

Le 17 juin 2013 - Par qui vous parle de ,

Nos abattoirs ruraux sont déjà bien remplis ; a-t-on vraiment besoin d’en construire de nouveaux, cette fois dans l’enceinte même de nos villes ?

La question ne se pose pas encore en France, où l’agriculture urbaine commence à peine à faire son trou. Elle se fait déjà plus prégnante aux Etats-Unis, opposant les promoteurs des fermes urbaines – souvent d’authentiques écolos -, et les opposants à la cruauté animale qui voient d’un mauvais œil le regain d’acceptabilité de ces boucheries à ciel ouvert (Concerns With Urban Animal Slaughter).

Rien ne semble justifier, en effet, cet énième mode de production animale qu’on drape dans un discours pavé de bonnes intentions. Ce serait une manière de s’assurer du bien-être des animaux, disent ses défenseurs : mieux vaut une porc tué de manière « artisanale » dans l’arrière-cour d’un pavillon périurbain, que dans la triste pénombre d’un abattoir industriel. Une justification qui passe sous silence de nombreux vices de procédures.

Car ces apprentis-éleveurs n’ont que rarement les formations requises pour tuer un animal dans une moindre douleur. Les abatteurs professionnel eux-mêmes n’y arrivent toujours pas ; pourquoi en irait-il autrement pour un citadin en mal de Mère Nature ? (Are « DIY Slaughter Hobbyists » Destroying Your City?), Mais sans même aller jusqu’à l’abattage, la problématique est tout aussi valable pour la « simple » production de lait ou d’oeufs.

Rappelons que « le bien-être d’un animal exige pour lui la possibilité d’exprimer l’éventail de ses comportements spécifiques », correspondant « à un besoin de l’animal de vivre dans un état de plein satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux » (Les droits de l’animal, Jean-Marie Coulon et Jean-Claude Nouët).

Et ni le jardin pavillonnaire le plus vaste et le mieux entretenu, ni les éleveurs les plus doux et attentionnés, ne suffiront à satisfaire l’ensemble de ces besoins fondamentaux : présence d’autres animaux de la même espèce, espace naturel suffisant pour courir librement, accès autonome à une alimentation diversifiée, etc.

Inutile de dire qu’un dispositif tel que cette Aquaponie belge a peu de chances d’offrir ce niveau de satisfaction aux truites qu’elle exploite pour produire quelques légumes urbanophiles, elles qui vivent en surpopulation et sans lumière naturelle. Comment qualifier cela « d’écologique » ?

Sans parler des spécificités de la vie urbaine ou périurbaine, qui génèrent inévitablement une forme de souffrance pour les animaux qui y sont élevés : pollution, stress lié à la présence de véhicules voire de voisins bruyants, réduction des plages nocturnes dues à l’éclairage permanent, cohabitation difficile avec les autres animaux domestiques, présence de nombreux objets nocifs ou contondants, transport des bêtes non-réglementé, etc. (cf. un exemple des dérives occasionnées par la réintroduction de poules pondeuses à Montréal)

Ces éléments ont d’ailleurs des effets pervers pour les citadins eux-mêmes. Aux Etats-Unis, nombreux sont les voisins (y compris non-végétariens) qui montent au créneau pour dénoncer les cris des animaux apeurés ou égorgés dans leur quartier (Backyard Farming Troubles Neighbors). Sans parler maladies que cette proximité est susceptible de générer, ou du moins d’inquiéter les riverains.

De fait, il est strictement impossible de garantir le bien-être d’un animal d’élevage en milieu urbain. S’il s’agit peut-être d’un « moindre mal » comparé à l’élevage industriel, il s’agit malgré tout d’un générateur supplémentaire de souffrance animale, qui plus est non encore réglementé et donc propice à toutes les dérives (The deregulation of non-human animal agriculture and urban farming).

A l’heure où un nombre croissant de consommateurs s’interrogent sur la pertinence de la consommation de viandes, et notamment sur les dérives de la production industrielle, on peut s’étonner de voir émerger ce type d’élevages semi-industriels sans que personne n’y trouve rien à redire. Le cachet de la sacro-sainte « production locale » permet-il de tout justifier ? (The locavore movement’s mistake : deregulating urban slaughter)

En France, la situation n’est pas encore à ce niveau de débat. De surcroît, le tissu urbanistique et les fondamentaux culturels laissent supposer que le problème se posera différemment. Mais n’est-ce pas la mission de la prospective, que de prévenir pour ne pas avoir à guérir ? La question des fermes urbaines pose des problèmes éthiques et moraux, auquel devra répondre un cadre réglementaire précis et volontaire.

Car au final, ces élevages urbains n’ont qu’une seule véritable légitimité : celle de montrer au grand jour l’horreur de l’exploitation animale. Une bien maigre consolation.

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