Pour un profane comme moi, l’héritage de Robert Venturi et Denise Scott Brown pourrait se résumer en un mot : canard, en référence à l’architecture « canard » qu’ils définissent dans leur ouvrage Learning from Las Vegas (1972). L’architecture « canard » désigne principalement ces bâtiments, échoppes ou magasins dont le contenu se confond avec le contenant ; plus largement, on étendra le terme à l’ensemble des productions dont le kitsch assumé laisse perplexe (exemples).
Dans le dernier numéro de criticat, revue d’architecture dont je vous toucherais mot en fin d’article, l’architecte et historien Valéry Didelon revient sur cette problématique en la confrontant à quelques superproductions récentes :
« Aujourd’hui, à l’heure de la circulation en temps réel des données, l’architecture semble bien au contraire définitivement passée de l’autre côté de l’écran. La plupart des bâtiments conçus par les artistes mentionnés [dans l’article cité] ne sont pas des machines à communiquer, mais l’objet même de la communication. Ce ne sont plus des supports d’image, comme dans les années quatre-vingt dix, mais des icônes en soi, imaginées dès l’origine de manière à circuler dans les revues et magazines, à la télévision et sur Internet. L’architecture devient un contenu plutôt qu’un contenant, une pure information promotionnelle et auto-référentielle dont la fiabilité pose de plus en plus problème. »
Note : si le sujet est bel et bien différent, ces propos résonnent fortement avec les problématiques pointées il y a quelques mois dans l’article Ecrans et ravalement de façade, où je revenais sur le concept « d’architecture en streaming ». On nage ici en plein dedans, au sens littéral. On retrouve notamment dans ces deux analyses l’idée peu réjouissante d’un effacement de l’architecture en tant qu’objet « bavard » :
« Dans ce contexte de médiatisation extrême […], on peut s’interroger sur les moyens qui s’offrent aux maîtres d’oeuvre pour éviter un repli funeste de l’architecture sur elle-même. Comme les Venturi l’ont fait il y a quarante ans en plaidant pour l’étude du paysage ordinaire, c’est probablement hors de la discipline [l’architecture] qu’il faut chercher de quoi la renouveler. Et c’est grâce à la capacité des édifices à communiquer directement avec le public, et non par médias interposés, que l’architecture pourra continuer de jouer un rôle social singulier. »
Valéry Didelon, « L’architecture crève l’écran »
Je ne peux évidemment que souscrire à cette conclusion, appartenant moi-même à cet environnement disciplinaire autre ;-)
Un mot sur criticat : éditée par l’association éponyme, la revue criticat propose une analyse critique et engagée des enjeux de l’architecture moderne. Le numéro 5 (mars 2010), dans lequel j’ai pioché cette citation, propose notamment un excellent dossier sur le retour du « faux en architecture » :
« Face aux métropoles émergentes, les capitales du Vieux Monde s’efforcent aujourd’hui de consolider leur identité et leur notoriété. Lorsqu’elles ne font pas appel à l’imagination futuriste des « starchitectes » du moment, elles se retournent vers leur passé. Ici et là fleurissent les reproductions « à l’identique » de monuments disparus, certains depuis très longtemps. Ce phénomène pose de nombreux problèmes historiques et esthétiques, et révèle bien des paradoxes. »
Avec des titres aussi alléchants que « La résurrection des Tuileries, ou la tentation de l’hyperréalité » , il est évident que vous y trouverez votre bonheur !
Un grand merci à Pierre Chabard, l’un des membres de Criticat, rencontré lors d’un séminaire de l’ENSA Nantes.